A SPOONFUL OF SUGAR – II

A SPOONFUL OF SUGAR – II

EN DIRECT / Exposition A spoonful of Sugar II
du 1er février au 7 mars 2020
Galerie Jeune Création / Médiathèque Romain-Rolland / XVIIIème arrondissement
par Diamètre (commissariat et texte)

Les paysages créés par les sociétés ultralibérales et globalisées, dans lesquels nous évoluons, pluriels, chaotiques et incertains, sont parsemés d’injonctions à s’adapter, être mobile, flexible, efficace. Si de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour les contester, nos comportements en adoptent les pratiques, et, parfois, s’en accommodent. 

Le point de départ de ce projet, la notion d’adaptabilité, est aussi polyphonique que le résultat que peut voir aujourd’hui le visiteur. Sa complexité se lit dans l’hétérogénéité des échelles, des temporalités, des acteurs et des spécificités des lieux qui nous accueillent. Il est alors nécessaire d’en effeuiller les contextes. A spoonful of sugar tient place à la galerie Jeune Création, sur le site de Komunuma, proposé par la fondation du groupe Fiminco, promoteur immobilier. Nouveau terrain artistique situé à Romainville, habité des fantômes des anciennes usines pharmaceutiques qui s’y dressaient auparavant. L’exposition se déroule sur un site en travaux où le béton semble croître à mesure que le « Grand Paris » s’étend. Les spectres de la paupérisation et d’une gentrification qui se confirment y côtoient ceux de la précarité des artistes et des travailleur.se.s de l’art et du désengagement du secteur public au profit d’une privatisation grandissante de la culture. 

Alors qu’une semaine à peine avant l’ouverture de cette exposition, certains artistes exposant.e.s de la 69ème édition de Jeune Création, accompagné.e.s par Art en Grève, venaient perturber leur vernissage pour dénoncer les conditions financières et de travail qui leur étaient proposées1, une nouvelle strate s’ajoute à son contexte, matière même du travail du collectif. Que faire ensuite ? Telle fut la question que se posèrent artistes et curatrices. La diversité des réponses apportées se doit d’être ici relatée, puisque Diamètre choisit de donner une place aux différentes formes d’engagements qui en ont découlé : le retrait pour certain.e.s dont ni les noms ni les œuvres n’occupent plus l’espace d’exposition, où subsistent seulement des emplacements vides, témoins silencieux de ce qui n’a pu être2. Une présence fantôme pour d’autres, que nous vous invitons à trouver, à rencontrer en dehors de ces murs. Le choix des mots aussi, mi-tracts, mi poèmes, pour continuer d’explorer la porosité entre poétique et politique. Enfin, bien sûr, les œuvres présentes, qui embrassent dans leurs formes et leurs fonds les enjeux qui nous occupent, esquissant la variété des récits qui s’y cachent.

Dans Il faut s’adapter (2019), Barbara Stiegler analyse les sources de la pensée néolibérale des années 1930 au prisme du darwinisme et de son champ lexical, examinant de près les notions d’évolution des espèces, de progrès, de survie. Ainsi elle expose la manière avec laquelle le naturel est convoqué pour justifier les mécanismes qui œuvrent à lisser les nuances et les disparités de ce monde. Les territoires deviennent donc des témoins, porteurs de résistances inattendues. La transmission de leur histoire permet de réfléchir à de nouveaux possibles. S’y lisent en négatif les inégalités économiques et politiques ; les tentatives de transgression des frontières physiques et symboliques, comme autant de gestes politiques individuels et collectifs. À un discours universalisant répondent ainsi en chœur les microhistoires. Ces récits, multiples, aussi diffus que singuliers, forment une constellation alternative au discours dominant, ouvrant de multiples pistes de résistances. Du rejet de cette injonction à s’adapter qui nous vulnérabilise, à celle, plus lente, de la résilience. A mi-chemin, peut-être, l’assimilation de la contrainte, à l’instar des cellules-mémoires se trouvant dans nos organismes. Elles enregistrent les caractéristiques de l’agresseur, ses modes d’actions, débusquent les moyens de l’éliminer et transmettent ensuite aux autres leur mémoire, dans une « chorégraphie complexe qui alterne contacts éphémères et étreintes prolongées3 ». 

Ce sont ces histoires, ces récits, ces discours que portent les artistes présenté.e.s ici, ailleurs, plus tard et pas du tout : de la mémoire cachée des plantes, à la condition de l’artiste émergent.e en passant par la mutation des corps et des espaces face à l’industrialisation et la déshumanisation de nos modes de vie, chacun.e nous renvoie, parfois avec humour, parfois avec douceur, parfois impérieusement, à notre propre intimité et à nos propres choix.

A spoonful of sugar est une exposition pensée par le collectif Diamètre comme une expérience organique. Elle prend vit ici pour trente-six jours, dans un contexte aux multiples strates, mais vise à s’inscrire dans un projet en trois temps, aux temporalités élastiques : une journée de discussions et de projections en décembre 2019 conçue comme un temps de réflexion au milieu du processus créatif ; une exposition dans la galerie de Jeune Création ; puis une restitution, à la fois trace et le récit de cette expérience collective et mouvante. A spoonful of sugar est un projet vivant qui entend renouveler l’engagement et l’intérêt du collectif Diamètre pour les artistes contemporain.e.s, explorer différents formats curatoriaux et épuiser le concept d’adaptabilité.

1 Magali Lesauvage, « A la Fondation Fiminco, l’inauguration de Jeune Création chahutée », Le Quotidien de l’Art, publié le 30/01/2020
2 « Pourquoi nous n’exposons pas à Komunuma », documentations.art, tribune parue le 01/02/2020
3 La mémoire « affective » des lymphocytes T, techno-science.net, publié le 01/03/2008

Antoine Nessi, Cantine, 2020 vue de l'exposition A spoonful of sugar Photo Romain Darnaud
Antoine Nessi, Cantine, 2020
vue de l’exposition A spoonful of sugar
Photo Romain Darnaud
Vue de l'exposition A spoonfull of Sugar II par Diamètre
Au premier plan : Ouassila Arras, Plantations, 2020
Au second plan : Fisdimigré, Émotions, 2019 –2020
Vue de l’exposition A spoonful of sugar
Photo Romain Darnaud
Abdessamad El Montassir, 	Achayef , 2018, vue de l’exposition 	A spoonful of sugar	© Romain  Darnaud
Abdessamad El Montassir, Achayef, 2018
vue de l’exposition A spoonful of sugar
Photo Romain Darnaud
Pauline Pastry, Opus, 2020 vue de l’exposition A spoonful of sugar Photo Romain Darnaud
Pauline Pastry, Opus, 2020
vue de l’exposition A spoonful of sugar
Photo Romain Darnaud
Mounir Ayache, JaffarOne: Parallaxe, 2020 vue de l’exposition A spoonful of sugar Photo Romain Darnaud
Mounir Ayache, JaffarOne: Parallaxe, 2020
vue de l’exposition A spoonful of sugar
Photo Romain Darnaud
Flora Citroën, I feel love, 2020 vue de l’exposition 	A spoonful of sugar Photo Romain Darnaud
Flora Citroën, I feel love, 2020
vue de l’exposition A spoonful of sugar
Photo Romain Darnaud
François Dufeil, Le Vauban, mise en circulation, 2019 vue de l’exposition 	A spoonful of  sugar Photo Romain Darnaud
François Dufeil, Le Vauban, mise en circulation, 2019
vue de l’exposition A spoonful of sugar
Photo Romain Darnaud
Marie Glaize, Jeux des quatre saisons, Hiver : Les 121 euros, 2020, vue de l’exposition 	A  spoonful of sugar Photo  Marie Glaize
Marie Glaize, Jeux des quatre saisons, Hiver : Les 121 euros, 2020
vue de l’exposition A spoonful of sugar (médiathèque Romain Rolland)
Photo Marie Glaize
Mathilde Ganancia, série barbes rousses, 2019 - 2020,  vue de l’exposition  A spoonful of sugar (rues du 18e) Photo Mathilde Ganancia
Mathilde Ganancia, série barbes rousses, 2019 – 2020
vue de l’exposition A spoonful of sugar (rues du 18e)
Photo Mathilde Ganancia