Anais Touchot x Anne-Lou Vicente, Copie Carbone Critique

Anais Touchot x Anne-Lou Vicente, Copie Carbone Critique

De: Anne-Lou Vicente 
à: Anais Touchot
Date: 4 août 2019 14h52
Objet: En avant !

Chère Anaïs

Le caractère aoûtien de la correspondance que ce mail inaugure semble être un parfait alibi pour ne pas écrire comme à l’année longue. Faire partir l’écriture en vacances… et tiens, pourquoi ne pas l’envoyer dans un centre de remise en forme ? Ça ne lui ferait vraiment pas de mal de se détendre un coup !

Il y a un an, nous nous rencontrions dans les effluves estivaux de ton exposition « Senteur Lavande » avec Vincent Malassis à la Galerie Céline Arnal, à Monfort-sur-Meu. Un an plus tard — donc — ce parfum bleuté se fait en quelque sorte toujours sentir car c’est, une fois encore, l’été. Mais les « patates » ont depuis germé, et se sont multipliées sous des formes, des tailles et des matériaux divers. Je pense notamment à celle, en métal, produite avec les étudiants de la section ferronnerie d’art du Lycée professionnel Le Mont-Châtelet à Varzy et le Parc Saint léger – Centre d’art contemporain de Pougues-les-Eaux, et exposée depuis fin mai à l’occasion de Rendez-vous à Saint-Briac.

Cet été, tu présentes aussi l’exposition « J’y laisserai ma vieille peau » à L’Aparté à Iffendic, transformé en station thermale — fictive, cela va sans dire, l’eau du lac du domaine de Trémelin où est implanté le lieu étant dépourvue à ce jour de quelconques vertus curatives.

Un bar à eau estampillé « Fontaine de jouvence » accueille le visiteur évoluant parmi peignoirs, assises et sculptures « pompées » (ou, devrais-je plutôt dire, pumpées) d’après des appareils de soin, dans une veine quasi science-fictionnelle, du moins surréaliste.

Si tu ne détournes pas l’eau du lac pour abreuver ici ton dispositif, tu sembles détourner en revanche, non sans dérision, toute une mécanique ne datant pas d’hier qui repose paisiblement sur l’idée — que dis-je, le leurre ! — d’un corps éternellement jeune. 

Alternativement pris en mains propres ou roulé dans la boue, faisant l’objet culte de tous les petits soins, force est de constater que le corps vieillit au fil du temps (plus ou moins vite certes) et court à sa perte…

Je rêve d’une écriture qui jamais ne se flétrisse. 

Take care.

Anne-Lou

De: Anais Touchot 
à: Anne-Lou Vicente
Date: 10 août 2019 09h35
Objet: En avant !

Chère Anne-Lou

Ne serions-nous pas bien, à nous encanailler autour d’un verre, à Trémelin-les-Bains ? Recherchant l’ivresse dans l’eau. Acceptant la supercherie, la promesse et la déception qui s’en suit. Sous mes airs de gourou en peignoir, je t’inviterais à mettre tes mains, ta tête, là où d’autres les ont mises avant. Dans des bassines où la boue est dite « affinée », des saunas de visages peinturlurés, dans de géantes narines, éloignant petit à petit nos barrières liées à la propreté. Entre attraction et répulsion, tu pourrais y laisser les tensions de l’année comme j’y ai laissé mes vieilles croûtes. Pour preuves ces quelques autoportraits bricolés, plus ou moins affectés. Tout cela dans la plus grande liberté, car comme il est précisé dès l’entrée : « Le maillot ne sert à rien ».

Mais l’heure d’été nous conduit vers d’autres horizons et c’est au bruit des tambours des machines à laver que je t’écris.

Je profite de cette escale, fraîcheur-blancheur, pour trouver quelques inspirations. Devrais-je être rassurée, il se trouve que dans cette laverie chaque machine est estampillée : N°1 mondial. TOP QUALITÉ. 

De quoi plagier quelques affirmations, pour ce qui est devenu systématique dans mon travail depuis mon séjour en Colombie : le slogan.

En parlant de slogan, je ne peux que noter l’objet de ton mail « En avant », qui n’est pas sans me rappeler la devise du club de football de Guingamp. 

C’est un peu après tout le monde que je commence à m’intéresser au monde du ballon rond. 

À l’occasion de l’invitation de Morgane Besnard et de Marie l’Hours dans le cadre du festival Setu, festival de performances à Elliant, qui se déroulera fin août, je propose d’organiser un tournoi de football. J’ai décidé de le pimenter, en proposant qu’il soit joué en sabots, avec ballon en bois, sur un terrain en pente, en quelque sorte une saboterie.  

Sabots artisanaux, sabots de secondes mains, sabots faits par mes mains, se mélangeront pour transformer ce tournoi non sans ironie en véritable partie de jambes en l’air. C’est l’esprit rempli de crashs et de roulés-boulés que je te laisse, me questionnant sur le sort que je dois réserver aux maillots, persuadée qu’ils feront une jolie toile de fond. Peut-être que mes joueurs seront comme les vêtements colorés que je vois tournoyer au travers du hublot de la machine.

Bien à toi, 

Anaïs

De: Anne-Lou Vicente 
à: Anais Touchot
Date: 12 août 2019 14h41
Objet: En avant !

« En avant Guingamp ! » Il m’arrive souvent d’utiliser cette entraînante devise alors que mes connaissances (et mon intérêt) pour le monde du ballon rond sont à peu près aussi ovales qu’un 0. Ce n’est d’ailleurs que dernièrement que j’ai appris que l’équipe de Guingamp s’appelait l’En avant, c’est dire. Pas de hasard, plus de secret.

Ton invitation à Trémelin-les-Bains me mettrait presque l’eau à la bouche si je n’avais pas ce sale petit côté hygiéniste. Oh et puis mince ! Cessons de jeter l’eau propre sur les miasmes, rien ne vaut ni m’empêchera un bon décrassage TOP QUALITÉ, après tout.

Dans la série des slogans et autres expressions invasives et contaminantes, « laver plus blanc que blanc » a eu son heure de gloire et semble résister au passage du temps et aux températures élevées.

Alors que tu évoques ton projet de partie de foot en bois depuis une laverie automatique, j’imagine des paires de sabots dépareillées s’entrechoquer à l’intérieur du tambour métallique. Il paraîtrait que l’origine du terme « sabotage » viendrait du fait que les ouvriers jetaient leurs sabots dans les machines pour les mettre en péril en signe de contestation. 

Si, comme je l’ai confessé plus haut, mes connaissances footballistiques sont quasi nulles, nul n’ignore l’ampleur des enjeux notamment économiques et commerciaux que draine ce sport ultra populaire faisant régulièrement l’objet de grands-messes audiovisuelles. Passement de jambes rime avec placement de produits.

Comptes-tu affubler de slogans aguicheurs les maillots des poules se prêtant à ton petit jeu périlleux ?

Cela me fait penser, au passage, que tu vas prochainement investir, lors d’une nouvelle exposition personnelle, un ancien magasin de Monfort-sur-Meu reconverti en lieu d’art (non commercial) inauguré à cette occasion. Sais-tu d’ores et déjà ce que tu vas y « emmagasiner » ?

À vite pour la suite de la partie.

Anne-Lou

De: Anais Touchot
à: Anne-Lou Vicente
Date: 18 août 2019 12h35
Objet: Une vision de confort moderne

Match nul alors, mes connaissances ne sont guère meilleures que les tiennes puisqu’elles se sont limitées à collectionner des petites icônes de joueurs dans mon album Panini. 

Album qui, au passage, se lit comme un ABC d’Hair

À la manière des petites vignettes, il va falloir reconstituer des équipes, l’occasion de les dépareiller. 

Pourquoi ne pas en faire de même des maillots ? 

Les mots d’encouragement aiguisant plus ma curiosité que les chiffres, les noms et les sponsors, c’est sûrement eux qui apparaîtront sur les joueurs de quoi partager une bonne dose de courage. 

Sélectionner des prétendants selon leur pointure… C’est très Cendrillon, non ?

Ce petit côté quelque peu rustique me ramène au tournoi de joute, de longs maillots flottant au vent…

Si ce n’est pas une mise à mort, c’est au moins une mise en défaut.

Cette fois-ci pas de produits dérivés, seulement le trophée. Mais tu fais bien d’en parler puisque j’imagine, entre autres, une boutique du stade de bois dans mon exposition à Quinconce.

J’ai envie de transformer l’ancien local commercial de cette galerie non commerciale en centre commercial. 

Comme on dit « deux salles, deux ambiances », j’ai envie de mélanger les enseignes, les services, les rayonnages, les manèges.

De l’espace lingerie à l’espace restauration, tout en passant pourquoi pas par quelques articles funéraires, sportifs et évidemment la perle dans ce domaine, l’électroménager. J’ai des envies de créatures mécaniques, de rachat d’or passé au mixeur, de peintures qui tournent à la vitesse des hélices des ventilateurs, de confort physique et psychique passé au micro-ondes…

Peut-être que ces trois semaines passées en fourgon ont ouvert en moi un côté camping-cariste, à la recherche de sécurité matérielle. 

Un espace de bonheur collectif bien qu’au bord de la faillite. Mes sculptures avec leurs aspects bricolés, improvisés ne pourront que teinter le centre d’activités d’une odeur de contrefaçon, où malgré une assurance qualité, le goût des objets est à rebours de l’énoncé, presque contre-moderne…

Heureusement que vous pourrez y être accompagné. J’imagine Pam à la lingerie, l’occasion d’ouvrir de vieux tiroirs et de sortir mes slips kangourou en porcelaine. Barbara à l’onglerie, de quoi proposer une version non performative de ma pièce Travailleur de beauté.  

Tout cela sous les parfums de la pizzeria Del Arte contemporaneo. 

Je te laisse avec ces quelques idées, je rentre demain à l’atelier de quoi mesurer si tout cela est réalisable.

Bien à toi,

Anaïs

P.-S. : souvenirs de vacances griffonnés en noir et blanc.

De: Anne-Lou Vicente 
à: Anais Touchot
Date: 21 août 2019 15h57
Objet: Une vision de confort moderne

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se mélange…

Me flottent dans la tête des odeurs de panini sous vide, de vernis à faux ongles et de ballon d’or déliquescent. Un vrai carnaval du fake puissance maximale.

De manière totalement hasardeuse, je suis tombée hier sur un livre consacré aux multiples réalisés par Claes Oldenburg entre 1964 et 1990. Dans le texte qu’il contient, Thomas Lawson évoque l’installation-boutique The Store, logée sur la Second Street, dans le Lower East Side à New York, pendant environ une année à partir de Noël 1961. L’artiste pop y « vendait des objets fabriqués à l’image des choses les plus ordinaires de la culture américaine — vêtements, chaussures de gymnastique, pneus de voitures, hamburgers, parts de tarte. Ces produits, décrit l’auteur, faits avec de la toile imbibée de plâtre et peints à l’émail Duco déposé par dripping et dégoulinement à la manière pollockienne homologuée, étaient vendus comme des objets. Le magasin remplaçait la galerie, le hamburger l’abstraction, l’artiste le marchand. […] Ainsi, The Store copiait son environnement, métamorphosant la réalité des rues sordides en un théâtre aux représentations joyeuses, dans lequel l’exposition résolument familière de répliques, fabriquées à la main, d’objets produits en série faisait naître une lueur d’espoir ». 

On imagine bien la charge ironique de l’entreprise d’Oldenburg qui s’emploie à singer grossièrement et allègrement les biens et les rituels de la société de consommation — (super)marché de l’art inclus — dans laquelle baigne alors l’Amérique, tout en convoquant le populaire, le vernaculaire, l’artisanal, le low-tech, le mauvais goût, etc.

Tu me vois venir avec mes gros sabots ? 

J’ai drôlement hâte de (sa)voir ce qui figurera en têtes de gondole de ton futur centre commercial.

À bientôt,

Anne-Lou

De: Anaïs Touchot
à: Anne-Lou Vicente
Date: 26 août 2019 01h44
Objet: C.C.C.

Chère Anne-Lou,

C’est le coeur rempli de bonheur en façade et d’émotions en cascade que je t’envoie cette suggestion de présentation :

C.C.C. :
Canapé Cuir Convertible 
Classic Car Club 
Comité Contre les Chats 
Combien CCoûte 
Centre de Création Contemporaine 
Chlorure de Calcium Comestible  
Centre Culturel Chinois
Convention Collective Comptable
Communauté de Commune Cholet 
Chaos Chaos Chaos
Courtepaille Commodité Chimique
Cadre Cascade Créatif 
Certifié Copie Conforme
Café Crème Cigarillos
Client Content Certifié
Coiffure Cheveux Courts
Corpus Comédie Classique
Camping Car Compact 
Calculette Crédit Conso
Cérémonie Civile Commémorative
Chiot Chihuahua Croisé 
Circulaire Changement Complet
Cerveau Connecté Conscient
Camp Célibataire Chrétien
Centre Commercial Cheap 
Communauté de Consommateurs Cachés

Bien à toi, 

Anais

De: Anne-Lou Vicente
à: Anais Touchot
Date: 26 août 2019 09h38
Objet: C.C.C.

Tiens, ça me donne une idée pour le titre de cet entretien…

Copie Carbone Critique ?

ANAÏS TOUCHOT, C.C.C  EN DIRECT / Exposition C.C.C d’Anaïs Touchot, du 27 septembre au 27 décembre 2019, à la galerie Quinconce – Montfort-sur-Meupar

EN DIRECT / Exposition C.C.C d’Anaïs Touchot
du 27 septembre au 27 décembre 2019
galerie Quinconce – Montfort-sur-Meupar