BAPTISTE CÉSAR, LE RÂ D’Ô PARISIS

BAPTISTE CÉSAR, LE RÂ D’Ô PARISIS

« Le principe de ma démarche est de travailler à travers le territoire dans lequel j’évolue en utilisant les outils qui sont à ma disposition et en m’adaptant au contexte. » Baptiste César

 

Baptiste César développe en réponse à chaque invitation qui lui est faite un projet spécifique. Plutôt que d’amener et d’exposer une œuvre déjà réalisée, il préfère questionner le contexte et parler de « situation ». L’œuvre créée s’appuie directement sur les espaces paysagers et architecturaux qui l’environnent, en révèle les particularités et tisse ainsi un lien sincère et poétique avec l’identité du quartier, installe un dialogue avec les habitants. En résidence pendant six mois à la Villa Belleville – Résidence de Paris Belleville, l’artiste a conçu un radeau de fortune en vue d’effectuer une traversée de Paris. Une épopée qui a suscité une véritable émulation et qui a créé une interaction avec les passants. Un projet nourrit de hasards et de surprises qui répond à un besoin de ne plus subir la ville, ses transports et ses galères, et que l’artiste conçoit comme une alternative, une « dérive », à la standardisation de l’espace public.

Comment est née l’idée de concevoir un « radeau de fortune » ?

L’utopie était de créer un véhicule construit avec des éléments de récupération, capable de se déplacer de la Villa Belleville où j’étais en résidence jusqu’à la Seine, faire une traversée de Paris par la voie fluviale. Concevoir ce radeau rejoint des préoccupations qui sont centrales à ma démarche comme la déambulation à pied dans la ville, sur les toits ou dans des lieux abandonnés et l’adaptation à un contexte toujours identifié et réfléchi, la production d’une œuvre à la fois alternative et poétique. 

Un projet entièrement conçu à la Villa Belleville ?

C’est un projet que je mûrissais depuis longtemps et que j’ai pu concrétiser à la Villa Belleville parce qu’elle est pourvue d’un atelier menuiserie, d’un atelier gravure, de grands espaces de travail et d’une salle de monstration où j’ai pu présenter au public lors de l’exposition de fin de résidence le radeau achevé. Elle est de plus située dans un quartier toujours émaillé de nombreux chantiers où Il y est facile d’y récupérer des matériaux. Je travaille toujours in situ avec les éléments et outils qui existent autour de moi, dans un temps donné comme ici la durée de six mois de la résidence.

Quelles ont été les phases de sa construction ?

Le projet a nécessité un temps important de préparation, car tout en se devant d’être un engin alternatif, poétique, le radeau devait pouvoir être manoeuvré à la rame et à la voile par deux personnes en toute sécurité sur la Seine et pouvoir recevoir toutes les autorisations pour emprunter une voie fluviale. J’ai travaillé à sa conception avec Yoni Doukhan qui a rendu effective sa capacité à naviguer car je ne voulais pas qu’il ne soit qu’un décor. Par l’étude de sa portance, son équilibre, sa résistance, il est capable de franchir une grande distance sans se disloquer ou sombrer.

Par le fait qu’on pouvait suivre en direct son élaboration sur les réseaux sociaux, n’y avait-il pas cette dimension du do it yourself avec en fond la notion d’économie solidaire ?

Dès le commencement du projet, j’ai créé une page Facebook comme une sorte de carnet de bord pour que les internautes puissent suivre étape par étape sa construction. Ils ont pu assister à la quête des matériaux dans la ville jusqu’à leur transformation dans l’atelier, aux travaux préparatoires comme à sa finition. Toutefois comme la forme finale du radeau est en partie due à des trouvailles dans l’espace public, il n’est pas possible pour un adapte du DIY d’en faire la réplique exacte. Mais il répond en effet à un principe d’économie solidaire par le fait que les coûts sont assez faibles et qu’il n’a bénéficié d’aucune subvention. 

Quelles ont été tes craintes ou difficultés au fur et à mesure que le projet avançait ?

La principale a été de ne pas pouvoir manœuvrer le radeau qui pèse près de 300 kg pour le sortir de la Villa Belleville, une véritable performance ! Une autre difficulté et non la moindre a été d’obtenir les autorisations nécessaires pour lui faire emprunter la voie publique et la voie fluviale. L’itinéraire initial était d’atteindre le canal Saint-Martin puis de le descendre jusqu’au port de l’Arsenal avant de naviguer sur la Seine. Même si le projet a suscité un intérêt auprès des services publics, les codes routiers et fluviaux ne laissent aucune liberté pour ce type d’épopée. Nous avons donc dû choisir un nouvel itinéraire.

L’ambition du projet n’est-elle pas justement de générer un espace de liberté, d’être un acte de résistance et de susciter une cohésion dans un cadre social de plus en plus contraignant et normalisé ?

Ce projet a été mené de manière complètement pirate, quitte à être dans l’illégalité. Et un de mes objectifs reste de le faire naviguer sur la Seine. Lors de sa sortie, l’itinéraire emprunté nous a amené par les rues jusqu’à la Maison des Canaux du bassin de La Villette qui est un lieu d’économie sociale et solidaire. Cette première parade dans la ville a suscité un véritable enthousiasme. Dès que les gens voyaient le bateau, ils posaient des tas de questions, le prenaient en photo, même les forces de l’ordre s’amusaient de voir circuler ce véhicule étonnant.

 

« Il me suffit que quelqu’un croit en l’art pour que j’ai envie de faire quelque chose et que je le réalise. » Baptiste César

 

N’y a-t-il pas aussi une dimension carnavalesque dans cette « parade » dans les rues de Paris ?

Oui elle est clairement visible par ce renversement des valeurs établies, cette manière de bousculer les règles mais aussi par la déambulation de cet engin à la physionomie un peu destroy dans la ville. C’est une façon de s’approprier l’espace public et d’y faire une action qui va modifier le rapport à l’environnement et créer une émulation. Beaucoup de passants ont accompagné le périple, des Parisiens mais aussi des gens du monde entier car Paris a cette particularité d’être une vitrine du monde. 

Le radeau n’est-il pas un monde flottant, avec une existence propre ?

Ce projet est comme une métaphore, un morceau de Paris qui se serait détaché et dériverait sur la Seine. On y retrouve un banc à l’esthétique de ceux présents dans les squares parisiens. Sa structure est en palettes récupérées et l’assise provient du mobilier urbain. Quand on le regarde attentivement, élément par élément, on y voit des choses familières pour tous ceux qui ont l’habitude de circuler dans les villes.

Par son caractère précaire, il rappelle aussi une actualité…

Un radeau de fortune fait de bric et de broc fait évidemment penser aux Cubains qui ont tenté de rejoindre les États-Unis ou les réfugiés en Méditerranée. Il évoque ce danger couru, et l’espoir d’atteindre une autre rive pour avoir une vie meilleure.

Le projet est-il appelé à évoluer ?

Il est encore en cours, je n’en ai présenté que la première étape. Le radeau devrait poursuivre sa déambulation sur de nouveaux terrains, en forêt, sur un étang… avec toujours pour objectif de poursuivre cet itinéraire qui était la traversée urbaine de la Seine. Certaines parties du projet seront aussi exposées comme la vidéo de la performance, les gravures réalisées à la Villa Belleville mais aussi une photographie du radeau pris dans une sorte de tempête revisitée.

Entretien avec Baptiste César réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru dans la revue Point contemporain #10 © Point contemporain 2018

 

 

Le Râ d’Ô Parisis Vue de l’exposition « How do you know tomorrow has started if there’s no night ? » Villa Belleville, Paris 2017
Le Râ d’Ô Parisis
Vue de l’exposition « How do you know tomorrow has started if there’s no night ? »
Villa Belleville, Paris 2017

 

 

Le Râ d’Ô Parisis. Déambulation de Belleville jusqu’au Bassin de la Villette, Paris 2017
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