BENOÎT GÉHANNE [ENTRETIEN]

BENOÎT GÉHANNE [ENTRETIEN]

« Je suis dans un jeu permanent de références au réel qui trouvent leur origine en dehors de l’atelier et qu’en même temps je cherche à contredire. » Benoît Géhanne

La pratique de la photogravure, la recherche de correspondances entre éléments industriels ou architecturaux avec les images ou la manière dont elles peuvent être présentées, ont amené Benoît Géhanne à tendre progressivement d’un transfert de l’image plane vers l’objet photographique et pictural. Ses recherches consistent à trouver des points d’articulation afin de « construire » des images dont la finalité ne se résume pas à être seulement vues mais qui existent dans l’espace, produisent un effet, et orientent la circulation des visiteurs. Des pièces toujours en lien avec un contexte ou un ancrage dans le concret. Ses travaux récents, portant sur l’étude d’immeubles ou de barrages, prennent appui sur l’espace d’exposition. Des œuvres qui, même si elles naissent de l’image, échappent à son orthodoxie. Des réflexions qui se construisent à travers des séries de dessins, peintures et « peintures installées » qu’il poursuit simultanément.

Comment la dimension photographique se manifeste-t-elle dans tes travaux ?

Elle est toujours très présente. Sans doute est-ce dû au fait que je travaille à partir de photographies et que persistent des notions qui sont de l’ordre de l’impression et de la révélation. Dans mes productions, je cherche de plus en plus un lien plastique, même décalé ou en rupture, avec un réel bien concret ou à une forme de contexte. La plupart des projets prennent forme autour d’un principe de série dont les titres mêmes relatent les processus sans toutefois les définir. J’établis des règles qui accompagnent la production d’un certain nombre de pièces.

Deux exemples concrets sont cette étude sur un hôtel social et sur les barrages, des édifices qui répondent à des codifications architecturales ?

En effet, j’ai présenté une photographie de paysage à la mairie du XIe arrondissement de Paris dont la gamme chromatique renvoyait à celle des étages de logements sociaux où j’étais en résidence. Mon travail porte sur la référence tout en la déplaçant. Ainsi, lors de mon exposition en 2013 à Vitry, dans le cadre du Prix de Novembre, j’ai profité du vaste espace d’exposition pour présenter une pièce monumentale format paysage obstruant le champ de vision comme peut le faire un barrage. Mes tableaux s’inscrivent complètement dans les enjeux de telles constructions. Rabattement de la forme, pliage, changement d’orientation, formes concaves ou convexes, même le changement de la ligne d’horizon qu’il génère, sont réinterrogés dans mes productions. Une partie rabattue dégage un arrière-plan avec des décrochements. De même, dans la question des formats, on retrouve ces plans horizontaux très cinématographiques.

La pièce À plat, l’horizon, ne porte-t-elle pas aussi sur une perception qui serait contrainte ? 

Cette œuvre parle d’une forme de basculement et de jeux de regards par une ligne d’horizon d’un bleu standard qui traverse la surface des pièces et détermine ainsi une partie supérieure. Le positionnement des pièces, posées les unes au-dessus des autres et orientées vers l’avant pour devenir progressivement horizontales, donne au spectateur le sentiment d’être submergé dans une succession continue d’images.

« Mes réflexions portent sur les plans, les stratifications, et la manière dont les éléments viennent se superposer et même s’empiler. » 

Par leur aspect, leur forme, peut-on dire que tes travaux ont un caractère technologique ?

Mon processus de travail traduit une aspiration vers une forme de géométrie, exploitée non pour elle-même, mais potentiellement pour le format qui lui est donné d’occuper. La technicité, je la situe plutôt dans l’usage de matériaux et dans les préoccupations de fabrication. Tous deux renvoient à ce qui est perçu dans la réalité notamment à des ouvrages du bâtiment, à certaines réverbérations visibles sur les surfaces en aluminium dans le métro ou dans une cuisine. Mes œuvres induisent une relation avec des espaces fonctionnels, industriels, mais en soi elles ne sont pas technologiques.

Par cette relation n’est-on pas alors dans une forme d’expérience ?

Transformer, régler, ajuster, sont des considérations qui sont aussi celles du minimalisme, avec cette préoccupation de faire dialoguer les pièces entre elles pour favoriser cette relation physique du corps par rapport à l’objet. Des pièces qui ont un haut, un bas, et qui puissent être appréhendées tout autant par la droite que par la gauche, qui ont un devant et un arrière. Je travaille avec beaucoup de soin ces enjeux de position ou d’orientation.

Un principe dynamique que l’on retrouve dans tes « peintures installées » ?

Elles sont en effet des volumes peints qui s’intègrent dans l’espace qui les accueille. Mes pièces sont conçues en interaction avec leur environnement, deviennent tout autre chose que ce qui pourrait les définir. Je suis dans une préoccupation de continuité entre le tableau, la fenêtre, le mur et au-delà dans un rapport très direct avec l’architecture. Quand des éléments de mes pièces sortent du mur, elles en deviennent des excroissances qui agissent directement sur les mouvements des visiteurs, qui les guident, les forcent au contournement, au déplacement en agissant sur l’orientation de leur propre corps.

Des choix de présentation et d’accrochage qui sont spécifiques à ces productions ?

Je conserve pour les tableaux une certaine frontalité, dans un rapport similaire à une fenêtre ou à un mur, avec un certain confort pour le spectateur. Pour les « peintures installées », je cherche à occuper l’espace et à générer au contraire jusqu’à un certain inconfort. Je fais en sorte qu’il soit nécessaire que s’instaure un rapport dynamique pour les découvrir dans leur entièreté comme pour la série Biais.

Quel type de peinture utilises-tu ?

Ils dépendent directement des projets. Je peux utiliser des mélanges de peintures, à l’huile pour les dégradés ou industrielles. Le choix s’effectue en fonction des surfaces. J’utilise des laques industrielles polyuréthanes que je choisis sur nuancier, qui me permettent de travailler l’épaisseur et qui ont une grande élasticité. L’emploi de la peinture à l’huile est un rappel aux références des gestes de peintre et qui sont en lien avec l’histoire du tableau.

« Diversifier les qualités des peintures, revient à choisir d’autres types de préoccupations et à ne pas se limiter à celles de la grande peinture. »

 

Texte initialement paru dans la revue Point contemporain #6 © Point contemporain 2017

 

EN SAVOIR PLUS SUR L’ARTISTE

 

Benoît Géhanne, retenue #2, 2017. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.
Benoît Géhanne, retenue #2, 2017. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.

 

Benoît Géhanne, retenue #5, 2017. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.
Benoît Géhanne, retenue #5, 2017. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.

 

Benoît Géhanne, retenue #7, 2017. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.
Benoît Géhanne, retenue #7, 2017. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.

 

Benoît Géhanne, recul #1 2015. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.
Benoît Géhanne, recul #1, 2015. 100 x 80 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.

 

Benoît Géhanne, recul #2, 2015. 120 x 100 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.
Benoît Géhanne, recul #2, 2015. 120 x 100 cm, huile sur aluminium. Courtesy artiste.

 

Benoît Géhanne, biais #20, 2014. Bois, peinture acrylique, photographies, 168 x 134 x 25 cm. Courtesy artiste.
Benoît Géhanne, biais #20, 2014. Bois, peinture acrylique, photographies, 168 x 134 x 25 cm. Courtesy artiste.

 

Benoît Géhanne, biais #14, 2014. Vue de l’exposition Niches, Galerie du Haut-Pavé. Courtesy artiste.
Benoît Géhanne, biais #14, 2014. Vue de l’exposition Niches, Galerie du Haut-Pavé. Courtesy artiste.

 

 

Visuel de présentation : Benoît Géhanne, Recul #08, 2016. Huile sur aluminium, 120 x 100 cm. Courtesy artiste.