Cartographie de l’inconscient : Anatomy of a Fairy Tale au Château de Pörnbach

Cartographie de l’inconscient : Anatomy of a Fairy Tale au Château de Pörnbach

Natacha Ivanova, qui est la commissaire de l’exposition Anatomy of a Fairy Tale, est aussi artiste : son oeuvre (d’abord picturale) se développe depuis une quinzaine d’années, explorant avec virtuosité l’univers de l’inconscient et de ses symboles. L’exposition, au sein de laquelle prennent place quelques uns de ses travaux, ramifie et déploie ces thématiques en mettant en regard les oeuvres d’une trentaine d’artistes.

C’est sans doute une gageure que d’élaborer une exposition autour du conte de fée, dans le cadre d’un château bavarois du XVIIe siècle. La facilité aurait été, dans un tel lieu, de tirer l’exposition exclusivement vers l’onirique, le merveilleux, l’évasion — toutes caractéristiques auxquelles on réduit volontiers le conte de fée. Or on sait que l’essence du conte n’est pas seulement là, mais surtout dans la mise en récit des épreuves et de l’accomplissement humains à travers la mobilisation d’objets et d’actions symboliques, récurrents d’un récit à un autre. Ces symboles, qui tapissent notre inconscient, sont revitalisés ici par les travaux des artistes : la variété des médiums, des styles, du propos font de cette « anatomie » du conte de fée une véritable dissection et un fascinant inventaire de l’inconscient.

Les oeuvres, ainsi, convoquent des motifs de conte : le cheval et la tour, dans les sculptures raffinées de Katia Bourdarel, l’arbre, dans une installation complexe de François Réau, la perle, dans les coiffes de Natacha Ivanova. Liza Katrich, elle, donne vie à la Voie Lactée.
Céline Cléron, à travers des figures traditionnelles comme la colombe, manie l’ironie des jeux de mots et d’images. Fabien Verschaere exploite les possibles hasardeux des formes en mouvement, tandis que Françoise Petrovitch restitue le monde trouble de l’enfance.
Le thème du double est exploré par Radu Belcin, dans ses peintures sombres et veloutées, comme dans les dessins très radicaux de Delphine Grenier (conjointement au thème de la chevelure et du monstre) et les installations d’Ekaterina Panikanova, faites à partir de livres. Les photographies de Sabine Pigalle réinventent, dans une esthétique chirurgicale, des figures de la mythologie et de l’histoire de l’art. Il y a aussi ces très belles sculptures constructivistes de Sandra Zech, qui sont comme l’architecture même de la psyché.
On évoquera enfin cette étonnante performance d’Olya Kroytor, restée plusieurs heures allongée nue dans une fosse étroite, fermée par une plaque transparente : Ophélie au milieu des herbages, Blanche-Neige dans son cercueil de verre, Marie-Madeleine vêtue de ses seuls cheveux. Ce sont ces jeux avec les références, leurs condensations, leurs déplacements qui garantissent la vitalité des symboles.

La taille des espaces d’exposition, répartis sur deux bâtiments, permettent plusieurs types d’accrochages : accrochage classique, grandes installations qui jouent sur les effets d’enveloppement et une Wunderkammer, chambre des merveilles, où les oeuvres murmurent toutes ensemble à notre oreille. Le visiteur est ainsi invité à une déambulation où, tour à tour, il éprouve émerveillement, fascination, stupeur, effroi, amusement aussi.

Au-delà de la thématique, les artistes qui sont ici rassemblés forment un tissu de relations que Natacha Ivanova a créées au cours de ses années parisiennes, mais aussi par le biais de ses origines russes et de sa vie actuelle en Allemagne, élargies à un réseau international. L’exposition est ainsi la cartographie d’une génération qui, transversalement, va puiser aux mêmes sources, s’inquiétant de réenchanter l’humanité et recontactant ce que celle-ci possède de plus archaïque, l’effroi et l’émerveillement d’exister.

Texte Anne Malherbe © 2018 Point contemporain

 

Visuel de présentation : Natacha Ivanova, Transition, 2017. Sel, lumiere de néon. Courtesy artiste.

 

Infos pratiques

Exposition Anatomy of a Fairy Tale

Du 09 juin au 30 septembre 2018

Avec Olga Afanasieva (RUS), Radu Belcin (RUM), Stephan Bentzel (DE), Corine Borgnet (FR), Katia Bourdarel (FR), Jean Baptiste Boyer (FR), Thomas Breitenfeld (DE), Céline Cléron (FR), Ekaterina Dronova (RUS), Ekaterina Filipenko (RUS), Peter Freitag (DE), Hell Gette (KAZ), Delphine Grenier  (FR), Melina Hennicker (DE), Natacha Ivanova (RUS), Liza Katrich (RUS), Taisia Korotkova (RUS), Olya Kroytor (RUS), Florence Obrecht (FR), Axel Pahlavi (IRN), Ekaterina Panikanova (RUS), Françoise Pétrovitch (FR), Sabine Pigalle (FR), Natalia Pivko (RUS), Denis Prasolov (UKR), François Réau (FR), Dieter Rehm (DE), Jan Rybnicek (CZ), Michael Schmidt (DE), Fabien Verschaere (FR), Jakob Wanninger (DE), Max Weisthoff (DE), Sandra Zech (DE), Wu Zhi (CHIN)

Schloss Pörnbach
Schlossplatz 1
D – 85309 Pörnbach (Germany)

pornbach-contemporary.com

 

Radu Belcin, Stillness, 2018. Huile sur toile 80 x 85 cm
Radu Belcin, Stillness, 2018. Huile sur toile 80 x 85 cm

 

Katia Bourdarel
Katia Bourdarel

 

François Réau
François Réau

 

Ekatarina Panikanova
Ekatarina Panikanova

 

Céline Cléron
Céline Cléron