Charles-Henry de Pimodan [FOCUS]

Charles-Henry de Pimodan [FOCUS]

« Même si l’enjeu de mes dessins se situe dans la compréhension d’une histoire que je perçois dans sa totalité, je me retrouve dans l’impossibilité de le faire car très vite je me laisse dépasser par le récit lui-même. » Charles-Henry de Pimodan

La mise en place du langage graphique de Charles-Henri de Pimodan est, comme chacune de ses histoires dessinées, comparable à un récit cosmogonique. Sur la feuille blanche ou à partir d’une boule noire, émergent dans le big-bang d’une explosion, de multiples personnages qui s’engagent dans la narration d’histoires relevant tout autant du livre de la Genèse que du poète Hésiode. Si les premières représentations de ces mondes miniatures étaient, nous avoue l’artiste, « grossières », elles se sont affinées, sophistiquées avec le temps et sont devenues l’affirmation d’un langage qui s’est enrichi dans le vocabulaire comme dans la syntaxe. Ses récits racontent la grande histoire, notre Histoire, celles des mythologies, des épopées mais aussi des histoires individuelles et plus immédiates. Elles narrent dans le détail et avec minutie comment un récit en contient de multiples autres, formant ainsi une totalité qui rend cet ensemble un peu plus lisible.

Charles-Henri de Pimodan nous entraîne dans son fil narratif à travers un ensemble de figures microscopiques. Ici point de véracité historique, mais un mouvement d’ensemble comparable à celui qui nourrit les grands changements de l’humanité, les moments marquant de son histoire, ses croyances. Règne dans ses dessins un semblant de désordre, celle d’une histoire réimaginée, provenant de souvenirs, de ses lectures ou des tableaux qu’il a contemplé, de la renaissance florentine de Botticelli au romantisme historique de Delacroix. 

Les mondes de Charles-Henri de Pimodan sont le résultat de plusieurs croisements, celui de son travail de peintre quand il raconte dans des figurations parfois cachemardesques l’avènement de drames ou de catastrophes qui depuis toujours rythment l’histoire de l’humanité mais aussi celle, individuelle et multiple, des vies minuscules. Raconter une histoire est pour lui prélever dans un continuum du temps un moment particulier et signifiant qui lui paraît important de fixer, de rendre tangible mais aussi compréhensible. Alors qu’il était en école préparatoire , il a véritablement commencé à travailler à partir de « morcellements et d’accumulations à raconter des histoires. » Un moment important a été l’étude d’un paysage chinois dans lequel était perceptible la forme minuscule d’un personnage sous la forme d’une ombre dans une barque. L’artiste a commencé à forger des histoires non plus écrites par des individualités mais portées par l’élan plus puissant d’une multitude. Une manière d’échapper à un égocentrisme pour atteindre une forme de pureté dans le récit, une sorte de méta récit. 

Ce petit personnage sur une barque lui a rappelé les multiples collections de miniatures de son père (flacons de parfum, petits soldats), qu’il accumulait par centaine. Leur manipulation, classement et agencement apportant un apaisement et une forme de lisibilité d’un monde qu’il est possible d’appréhender dans sa totalité.

En réduisant le monde à un état microscopique, Charles-Henry de Pimodan le met à notre échelle permettant sa complète exploration. Dans ce désir de circonscrire l’espace, l’artiste le représente de forme circulaire, ce qui lui permet d’en avoir une vision cohérente. Un concentré proche dans sa représentation des visions médiévales. Un cercle primordial, un « bouillon de culture » comme il le nomme lui-même, où naissent un à un « des personnages qui dans mon esprit, ont des fonctions précises ». 

Tous les personnages pré-existent à l’histoire et forment un répertoire dans lequel vient puiser l’artiste. Tous ont un rôle prédéterminé par leur posture et assurent comme le décrit Vladimir Propp une « fonction1 » bien précise dans l’esprit de l’artiste. Tandis que certains concourent au bon déroulement du récit, d’autres l’entravent, quelques-uns demeurant de simples figurants ou échappant même parfois complètement à l’histoire. En résidence au Collège des Bernardins, les personnages qui entreront en lice pour narrer l’histoire en cours de tous les résidents se concentrent au tout début d’une frise de plusieurs mètres de long que l’artiste déroulera au fur et à mesure de la narration. Le dessin est pour l’artiste un langage, participe à une écriture car comme dans les alphabets anthropomorphisés, ses personnages formant un alphabet dont les caractères assemblés constituent un véritable lexique. 

Comme dans tout langage, il y a une précision dans leur mise en place par l’association signifiante de personnages aux caractéristiques spécifiques. Un agencement qui est susceptible de créer des rebondissements, des ruptures ou une continuité dans la narration. Des mutations de l’ordre de l’hybridation avec l’insertion de formes hiéroglyphiques se sont opérées dans l’écriture de l’artiste, ajoutant une force symbolique. Une nécessité d’évolution qui répond au besoin de ne pas figer le récit au seul niveau de l’histoire elle-même, qui parfois comme dans les cartouches égyptiens sont très sommaires, mais de la déployer  dans d’autres dimensions. Comme dans toutes les histoires, il demeure dans les dessins de Charles-Henri de Pimodan un caractère un peu surnaturel, parfois même magique. Ses compositions ne viennent pas d’images mais de souvenirs, de l’imaginaire, elles habitent longuement leur auteur avant de se matérialiser sur le papier. L’introduction de la couleur, venue de sa pratique de la peinture, a été un vrai challenge car elle a nécessité beaucoup de précision. Elle est venue s’immiscer dans les interstices laissés par les personnages. Elle renforce le dessin d’un espace, ajoute à la cohérence de l’histoire.

Les motifs minuscules peuvent parfois prendre place sur de très grands formats et, dans un jeu d’échelle et de distance, composent une forme de dentelle. L’artiste nous place ainsi dans un rapport direct à l’infiniment petit, à l’échelle la plus petite du visible. Un ordre cellulaire qui nous rappelle ce rapport à la nature, à la fois individuel, multiple et autonome, qui nous compose et qui crée un corps social. Un corps mouvant, avançant dans un ordre tout autant que dans un véritable « fouilli ». Charles-Henri de Pimodan veut donner l’idée de la progression plutôt que de la figurer de manière explicite, gardant en mémoire que rien n’est déterminé et que l’histoire est à même de rebondir et de muer en de nouvelles. L’important pour lui étant que chacun « puisse y lire quelque chose » et non pas une chose.

Morphologie du conte ; Les transformations des contes merveilleux. L’étude structurale et typologique du conte / E. Mélétinski. Trad. de Marguerite Derrida, Tzvetan Todorov et Claude Kahn

Texte Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2018 Point contemporain

 

Actualités

09/03▷08/07 – DEVENIR – COLLÈGE DES BERNARDINS PARIS

En partenariat avec l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris.

 

Charles-Henry de Pimodan
Né en 1985.
Vit et travaille à Paris.

Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieur des Beaux -Arts de Paris (2013)

Visuel de présentation : Charles-Henry de Pimodan, table de dessin, Collège des Bernardins, 2018.

 

©Charles-Henri de Pimodan
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©Charles-Henri de Pimodan
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©Charles-Henri de Pimodan
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