Charlotte Le Bon, Pickle Melancholia [EN DIRECT DE L’EXPOSITION]

Charlotte Le Bon, Pickle Melancholia [EN DIRECT DE L’EXPOSITION]

Invitée d’honneur de la 9e édition de Docks Art Fair Lyon, Charlotte Le Bon nous livre une série de dessins très personnels qui marquent sa volonté, après une première exposition parisienne à la galerie Cinéma en 2016, de se raconter de manière plus intime.

Chacune des 40 pièces de Pickle Melancholia, présentées dans un alignement continu occupant deux monolithes du plateau du bâtiment signé Odile Decq, nous plongent, au travers de saynètes d’une absolue efficacité, dans l’atmosphère d’un théâtre intérieur, pris dans l’absurde des situations et de la vie. A contrario d’une visée illustratrice, terme dont sa pratique artistique est souvent définie par les médias et qui peut donner l’image d’une certaine légèreté, Charlotte Le Bon nous entraîne dans une narration sombre, sans concessions, tragique même. Un tragique dont la force comme la beauté nous impliquent dans les tourments qu’il raconte. Et plus le spectateur progresse dans cette histoire, plus il est pris d’attachement pour la présence de son auteur qui flotte à travers ces œuvres. Une Pickle Melancholia que nous pouvons découvrir jusqu’au 14 octobre à la Galerie Item à Paris.

À quel moment de ta vie professionnelle est arrivée l’invitation de Patricia Houg à participer à l’édition 2017 du Docks Art Fair ?

J’étais à Los Angeles quand Patricia m’a appelée. Je sortais d’un très long tunnel de tournage. Je venais d’enchaîner six tournages de films, autant de sorties. J’étais épuisée et, pour être très honnête, j’en étais à un point où je n’arrivais même plus à trouver le plaisir dans le jeu. Me posant beaucoup de questions sur la suite de ma carrière, j’ai décidé de provoquer le vide en étant plus sélective sur les projets cinématographiques qui m’étaient proposés. Qui dit sélection, dit que l’on ne travaille plus. Je me suis donc retrouvée dans cette période de vide qui force à l’introspection. Quand on n’est plus entraîné avec une équipe par un projet, on se retrouve face à soi-même et on se pose les vraies questions : qu’est-ce que j’aime ? Qu’est-ce que j’ai envie de faire ? Ai-je envie de faire cela toute ma vie ? Prise dans cette inertie un peu étrange où je n’avais envie de rien, je n’arrivais même plus à dessiner. Finalement j’étais sans but.

Qu’est-ce qui a motivé ton choix de présenter une série de petits dessins ?

Patricia m’a d’abord proposé d’exposer des dessins qu’éventuellement je n’avais pas vendus lors de ma première exposition à la galerie Cinéma ou bien de réaliser des rééditions et même des reproductions. Comme il ne me restait au final que très peu de pièces originales car la plupart avaient été vendues et que replonger dans l’idée de quelque chose de connu provoquait en moi une sorte de rejet, je lui ai dit, sans savoir vraiment pourquoi, que j’allais dessiner 40 pièces. Pourquoi 40, je ne sais pas. Je savais juste que je voulais faire des petites pièces parce que j’avais récemment vu de tout petits formats dans la maison du réalisateur Quentin Dupieux et que j’avais trouvé cela fascinant. J’aime le fait que le format des dessins oblige le spectateur à se rapprocher pour en découvrir les détails.

Comment s’est décidée la scénographie sur deux monolithes gris ?

L’accrochage s’est fait naturellement. Patricia, la directrice artistique, a placé un premier dessin sur un monolithe puis le positionnement des suivants s’est fait instinctivement, sans numérotation préalable même si j’avais pensé, au départ, tous les numéroter. Une idée que j’ai vite abandonnée car certains, se répondant, méritent d’être accrochés côte à côte. Nous n’avons pas voulu figer la série dans une narration qui aurait été seulement la mienne. Nous avons fait en sorte qu’elle se crée toute seule en ponctuant l’accrochage de dessins plus ou moins denses.

Tes dessins laissent apparaître, par des scènes ou des motifs qui ne sont pas sans rappeler le théâtre de l’absurde de Beckett ou d’Ionesco, un aspect plutôt sombre et éloigné de ce terme d’illustration dont est souvent qualifié ton travail…

Cette série est en effet très différente de celle que j’ai présentée à la Galerie Cinéma et que les gens avaient jugée « ludique », ce qui m’avait d’ailleurs profondément énervée. J’ai voulu présenter ici une nouvelle série, plus sombre. Je ne suis pas du tout d’accord avec le qualificatif d’ « illustratrice » et je suis ravie que vous ayez eu cette approche car les gens en général se perdent très facilement avec les termes. Il persiste toujours cette obsession de vouloir mettre une étiquette sur le travail de quelqu’un. Il est toutefois vrai que j’ai commencé à travailler en tant qu’illustratrice après avoir obtenu au Québec un diplôme en arts plastiques. Parallèlement au mannequinat, j’ai travaillé en tant qu’illustratrice pour un magazine digital français. C’est une longue histoire, mais c’est le dessin qui m’a amené à devenir présentatrice météo puis à entamer une carrière au cinéma. Je me suis toujours considérée comme une artiste étant sûre que j’allais faire du dessin toute ma vie. C’est avec le dessin que je veux gagner ma vie.

Le dessin est aussi un moyen de te réapproprier ses moments intimes qui ne t’appartiennent parfois plus… 

Quand on a l’âme d’un artiste, le cinéma peut être très frustrant car la performance très personnelle que l’on livre passe à travers plusieurs filtres : celui de l’opinion du réalisateur sur ce qu’il considère comme les meilleures prises, celui du monteur, celui de la musique qui est apposée sur l’image, sur l’image elle-même qui change ton visage jusqu’à parfois le déformer, puis sur la façon dans le film est présenté, vendu, et enfin s’ajoutent à tout cela les jugements des critiques. D’une performance d’acteur qui est au départ très intime, on arrive à un produit qui peut être complètement dépersonnalisé. Quelquefois notre jeu est sublimé, et d’autres fois il est saboté. Dans les deux cas, il nous faut le défendre parce que, en tant qu’acteur, il nous incombe d’en faire la promotion. Nous, les acteurs, ne sommes qu’un des éléments d’une fresque gigantesque. Le film n’est pas notre création et nous n’avons pas le contrôle sur tout le processus d’élaboration. C’est quelque chose qui m’a toujours fait souffrir et c’est pour cela que j’aimerais passer à la réalisation.

Avec le dessin, contrairement au cinéma, je contrôle tout : le format et les caractéristiques du papier, les couleurs, l’encadrement. C’est pour moi extrêmement libérateur de ne plus avoir cette succession de filtres. S’établit une relation directe entre mon cerveau, le support et le public.

Ce qui se passe entre les deux premiers ne regarde que moi et ce qui se passe entre les deux autres ne regarde que le public. Que les gens se sentent ou ne se sentent pas touchés, l’important est que le canal de transmission soit pur et que l’on ne soit pas, comme au cinéma ou à la télévision, dans un rapport de séduction.

Pickle Melancholia est l’occasion pour toi de présenter, par touches un peu impressionnistes, une certaine mélancolie…

J’aime beaucoup ce type de commentaire parce qu’il m’est toujours compliqué de dire ce que je souhaite transmettre à travers mes dessins sans être manipulée par ce que va penser le public. Un couple, tout à l’heure, me parlait de l’humour que l’on peut trouver dans mes dessins et qui, soit-disant, me caractérise. Plutôt que d’humour, je parlerai d’une forme de cynisme qui est symptomatique d’une douleur. La source même de ce travail est la douleur ou la colère. Et même si tout le monde la perçoit pas, il y a beaucoup de noirceur dans cette exposition et je l’assume complètement. La société adore coller des étiquettes et, quand vous êtes joyeuse et pétillante à la télévision, penser que vous l’êtes tout autant dans la vie. Je veux défendre le fait que je puisse être aussi sombre et mélancolique. Pour moi le cornichon exprime bien cette dichotomie. Cornichon est un mot que j’adore, il peut être insultant ou tendre. J’aime aussi son histoire : en Amérique, juste avant la prohibition, il incarnait la dépravation car sa consommation était considérée comme pouvant entraîner une forme de folie. Comme souvent dans mon travail, le titre est arrivé en premier et les idées sont venues ensuite pour lui donner une cohérence. Il m’est venu du croquis du dessin du cornichon en slip léopard que j’ai découpé et collé sur un mur pour le filmer en un long zooming. Il s’est alors dégagée de ce pauvre cornichon, tout petit, tout seul, une très grande mélancolie. Même avec ce slip léopard qui signifie pourtant la séduction, du fait de sa condition de cornichon, c’était perdu d’avance. Il m’a émue et a tout naturellement induit le titre « la mélancolie du cornichon ».

Texte Point contemporain © 2017

Infos pratiques

Exposition Pickle Melancholia
Commissariat Patricia Houg

Du 16 au 20 septembre 2017
Docks Art Fair
59 Quai Rambaud, 69002 Lyon

Du 28 septembre au 14 octobre 2017
Galerie Item
51 rue du Montparnasse 75014 Paris


Charlotte Le Bon
Née le 4 septembre 1986 à Montréal (Canada).

https://lebonlebon.com

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