Coline Gaulot

Coline Gaulot

Coline Gaulot, Rosa Parks, 2018
Acrylique sur toile, 150 x 200 cm
Courtesy artiste. Photo Claire Baudou

ENTRETIEN / Propos de Coline Gaulot recueillis par Élise Girardot initialement parus dans la revue Point contemporain #14-automne 2019

« C’est par la parole
que je produis des images. »

Coline Gaulot tisse des narrations, s’empare du souvenir et de l’anecdote. Ses portraits en creux prennent l’apparence de piscines, de bouquets ou de gâteaux d’anniversaire. Elle cherche à retranscrire la couleur d’instants fugaces, à retrouver la sensation de ces apparitions quotidiennes et banales par des visions de couleurs.

Quelle place occupe la narration dans ton travail ?

Quand je peins, j’écoute des émissions de radio. C’est par la parole que je produis des images. Parallèlement à la peinture, j’ai toujours écrit. En développant la série des Femmes piscines, les rencontres avec les personnes propriétaires de piscines sont devenues primordiales. Les discussions ont réveillé des envies de couleurs et d’images.

En travaillant sur les bleus, les « vraies » histoires sont apparues derrière ces piscines. Le récit de la personne est devenu le sujet de ma peinture.

Que s’est-il passé lors de ta résidence à La manufacture Atlantique ?

J’étais attirée par la couleur des piscines éclairées qui brillent dans la nuit. Je peignais les piscines qui provoquaient un effet sensoriel étrange. Puis, j’ai cherché à m’éloigner du châssis qui me semblait contraignant après mes études. J’ai matérialisé une piscine en plus grand. Pendant trois mois, je peignais des fragments d’eau sur des feuilles que je gardais sous mon lit. C’était une recherche sur la matière et la couleur. J’avais mesuré la surface de la scène de La Manufacture pour fabriquer une piscine à partir de rien : de l’eau et du papier. Je voulais que le spectateur ressente cette impression d’étrangeté à propos de l’eau et sa couleur dans la nuit. 

Ta pratique de l’entretien rappelle un procédé plutôt lié à la presse, comme une enquête.

Oui, je me rends chez des personnes et je leur demande de me livrer des informations sur leur piscine. À partir de là, les portes de l’intimité s’ouvrent. Ces histoires ont fabriqué des images de piscines et de peintures. Quand je me suis aperçue que j’avais besoin de rencontrer des gens pour peindre, l’entrevue est devenue la condition préalable au geste. 

Pourquoi rencontres-tu surtout des femmes ?

C’était un peu un hasard, les femmes sont très présentes autour de moi. J’ai été marquée par la figure d’Artemisia Lomi Gentileschi, l’une des premières femmes à avoir réalisé des sujets historiques et religieux. On l’a forcée à avouer qu’elle ne peignait pas elle-même ses tableaux en lui lacérant les mains. Aux Beaux-Arts, je peignais des femmes, des scènes de films porno, mais je cherchais surtout à représenter la peau. On m’a dit pendant longtemps de ne pas peindre de mains car ce serait mal fait. Lors de mon diplôme, Élisabeth Lebovici, qui était membre du jury, m’a glissé discrètement que j’aurai à m’accrocher en tant que femme peintre. 

La piscine semble être le catalyseur de la narration. Les personnes ne sont jamais représentées mais suggérées.
Y a-t-il un lien avec tes études théâtrales ?

C’est de l’ordre de la scène et du décor. Je représente des gens et non pas l’objet « piscine » et je nomme les peintures Femmes piscines. Les piscines sont personnifiées, elles portent le prénom de leur propriétaire. Avant les Beaux-Arts, j’ai fait trois ans de théâtre à l’Université. Je m’intéressais surtout à la matérialisation d’un espace, à la spatialité en réponse à une idée. J’ai tenté le concours des Beaux-Arts. J’ai commencé à peindre des captures d’écran du générique de Dexter, ça me plaisait d’arrêter l’image et de la figer dans le temps. 

« La peinture est un moyen de donner du temps
à une image qu’on ne voit pas. »

Le lien avec le théâtre est apparu rapidement, la peinture est toujours théâtrale pour moi, comme les travaux d’Armleder disposés sur un podium au Palais de Tokyo. 

Ne trouves-tu pas que ça propulse la peinture à un statut ultra-spectaculaire ?

Je ne pense pas. L’année dernière, lors d’une conférence de Nina Childress à Toulouse, une personne du public a demandé si l’installation n’était pas le seul moyen actuel de redonner ses lettres de noblesse à la peinture pour la rendre plus « art contemporain compatible ». On accepte difficilement que la peinture seule raconte sa narration. Ce dilemme me traverse constamment. 

Tu sembles dire que la peinture doit être appréciée pour ce qu’elle est, mais tu parles des podiums d’Armleder…

On n’a pas à faire de choix. Il n’y a pas une réponse unilatérale, tout dépend de la peinture. La spatialité peut être une réponse à la peinture. Puis dans une autre série, elle n’en a plus besoin. On peut faire une chose et son contraire. Mettre des peintures sur un podium n’empêche pas d’accrocher des peintures au mur. Faire les deux, c’est assez logique. 

Y a-t-il une part de fiction dans ces récits que tu mets en forme ?

J’aime le passage de l’anecdote à la fiction car l’histoire devient celle de tout le monde. Pour la piscine Zara, une maîtresse d’école m’a raconté qu’elle avait quitté Fès où elle était étudiante pour revenir dans l’oasis où elle est née et apprendre à lire aux femmes. Le texte écrit en lien avec cette peinture, c’est l’histoire de Zara si elle était restée à Fès. 

Tu n’élabores pas une entreprise mémorielle, c’est plutôt la narration en tant que telle qui t’interpelle et devient le sujet de la peinture ?

Oui, et c’est toujours l’intime qui va engendrer des histoires. Une autre femme, Ineka, m’a dit que son mari a creusé une piscine pour elle. Un chevreuil s’est quasi noyé un jour dans cette piscine. Elle a alors mis du mobilier dans l’eau pour le sauver. Je ne savais plus si elle parlait de son mari ou du chevreuil, le récit était confus, entre fiction et réalité. 

Tu imagines des pièces sonores, des volumes aussi…

J’ai mis du temps à accepter mes textes, leur mode de présentation n’est pas clair encore. Ils pourraient être lus, car j’écris à voix haute. En ce moment, je développe un travail de porcelaine autour des gâteaux d’anniversaire. Lors d’un événement familial, j’ai pris conscience que ce rituel cristallise la complexité des familles. L’anniversaire est un moment banal qu’on fige dans le temps par la photographie. Ça m’a rappelé ce qui m’intéresse dans la peinture : l’instant figé. J’ai alors récupéré la totalité des photos de mes gâteaux d’anniversaire que j’ai redessinés en porcelaine. La porcelaine cristallise, arrête le temps. 

Ton travail sur les bouquets aborde un symbole social lié à la célébration. Tu dresses le portrait de certains habitus ou rituels de la société occidentale.

J’aurais du mal à donner mon avis sur des choses extérieures à ma culture, je me sentirais mal placée. Les piscines de nuit c’est beau mais très angoissant, et je joue sur cette lisière, ce basculement entre les choses. C’est en parlant de la vie de tous les jours que les femmes m’ont parlé de ce qu’elles ressentent, plus que de leur condition sociale.

C’est le kairos qui m’a permis d’évacuer des questions qui n’étaient pas les miennes.

Peux-tu développer sur la notion de kairos ?

C’est un moment où tout peut basculer, quand le temps est marqué par un événement. Les gâteaux en porcelaine sont un condensé de cet événement figé. Ils rappellent l’acmé en narration. 

On reparle de théâtre…

Oui, je peins aussi des feux d’artifice, le moment précis où la lumière va retomber par terre, comme un point culminant insaisissable. C’est toujours une couleur qui définit ces moments. Quand on m’offre un bouquet, je suis fascinée par la mise en lumière des pétales. Cela me rappelle cette phrase de Degas qui parlait d’un point culminant dans la vie du bouquet qui resplendit et meurt ensuite, d’un coup. On a beaucoup peint les bouquets pour figer cet instant d’extrême beauté fugace. J’aime aussi le lieu commun contenu dans le bouquet, qui marque un évènement, une histoire d’amour par exemple. 

La couleur a-t-elle une importance primordiale pour matérialiser ce kairos ?

La mise en lumière d’une couleur m’absorbe. J’ai envie d’arrêter ce moment éblouissant.

Cette quête demande d’être de plus en plus précise. Je suis sans cesse à la recherche de la bonne couleur. Dans la série Brasiers, la couleur rouge d’une tente brille dans la nuit et fige le temps. La lumière rouge évoque l’image de la cabane. Contenue sous la tente, elle rappelle un feu rassurant. La couleur casse la froideur de la nuit, comme une flamme à entretenir et à protéger. La nuit est très présente dans mon travail car elle fait apparaître la couleur. 

Comme une entreprise de chimie ou de magie, tu cherches à formuler une réponse à cette sensation de couleur ?

J’aime bien ce que dit le peintre Olivier Masmonteil sur le spectateur qui appréhende le tableau de manière sensible grâce à la couleur. 

Propos recueillis par Élise Girardot

« Face à la peinture, la couleur met le spectateur en action.
Il se positionne et regarde la peinture en fonction du rythme de la couleur. » 

Coline Gaulot, Zara, 2018. Acrylique sur toile, 100 x 140 cm. Courtesy artiste. Photo Claire Baudou
Coline Gaulot, Zara, 2018
Acrylique sur toile, 100 x 140 cm
Courtesy artiste. Photo Claire Baudou
Coline Gaulot, Artémisia, 2012 Huile sur toile, 115 x 160 cm Courtesy artiste. Photo Claire Baudou
Coline Gaulot, Artémisia, 2012
Huile sur toile, 115 x 160 cm
Courtesy artiste. Photo Claire Baudou
Coline Gaulot, Laure, 2018. Acrylique sur toile, 80 x 120 cm Courtesy artiste. Photo Claire Baudou
Coline Gaulot, Laure, 2018
Acrylique sur toile, 80 x 120 cm
Courtesy artiste. Photo Claire Baudou

Coline Gaulot
Née en 1986 en France
Vit et travaille à Bordeaux

www.colinegaulot.com