Dans un second temps – Martin Beck – 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine

Le 49 Nord 6 Est FRAC Lorraine consacre à Martin Beck sa première exposition d’envergure en France. L’artiste autrichien présente une sélection de ses projets les plus récents et nous entraîne à sa suite dans une fabrique de l’image au long cours où s’entrechoquent les notions de communautés et d’individus.

Posées comme des météorites dans un white cube, les Conglomerate de Martin Beck interpellent. Ces blocs minéraux que l’artiste a prélevé dans les carrières des environs de Metz ne sont d’aucun usage mais fonctionnent comme des curiosités géologiques. Des pierres de différentes qualités et tailles se sont agglomérés au point de former un ensemble solide mais disparate et friable. L’artiste y voit une métaphore de la société et du fonctionnement des communautés qu’il se plaît à radiographier depuis plusieurs années. Avec les images de la série To establish motives disséminées dans l’exposition, il montre des cristaux en suspension qui renvoient à la même temporalité, la même échelle cosmique. Dans ce chaos primordial, la main humaine trouve une responsabilité particulière, celle de choisir et ordonner comme l’évoque très clairement Flowers, une sélection de photos qui revient sur les enjeux politiques de la tradition néerlandaise du bouquet. Réunir des fleurs qui ne poussent pas aux même endroits et ne fleurissent pas ordinairement en même temps relève de la démonstration de force. Martin Beck de même a développé un art de la composition qui lui permet de prendre le contrôle sur un flux d’images mondialisé en assumant un travail de réappropriation.

Croisant les approches documentaire et conceptuelle, Martin Beck s’intéresse autant à la façon dont les images sont produites qu’à la façon dont un discours se formalise. Plusieurs pièces, tels Desirable et Irritating Behaviours ou encore Index reviennent ainsi sur le rêve communautaire américain des années 1970 ou plutôt sur la façon dont l’expérience hippie a été récupérée par le management. De nombreux membres de ces communautés, revenus à la vie civile en tant que thérapeute ou coach, ont en effet partagé le fruit de leurs expériences avec le monde de l’entreprise. L’artiste, par des exemples choisis et dans une mise à distance lucide, montre comment la gestion des conflits actuelle, la répartition des compliments et des critiques, les séances de parole collectives doivent à ces utopies. Plus que des simples prélèvements dans des manuels ou des posters, Martin Beck superpose avec Le Problème les images d’un powerpoint institutionnalisé (photos, issues de banques d’images, d’employés béat) et des mantras issues de contre cultures. La façon ironique, sinon grinçante, dont il liquide les utopies en mesurant leurs héritages à l’aune des séminaires a de quoi glacer ; l’esthétique corporate qu’il entretient  a en elle-même quelque chose d’inhumain.

Pessimiste revendiqué, Martin Beck propose aux visiteurs une immersion dans son processus créatif. Chaque jour, l’artiste s’oblige à produire une page au format “US letter” de texte ou d’image mais qu’il archive comme témoignage de ses travaux en cours. La sélection qui constitue Working forwards éclaire le parcours parfois austère de la visite et détaille certains projets comme Antonio Canova, Amor and Psyche, plaster model, late 18th century, Gipsoteca Museo Canova, Possagno, Italy ou encore The Last night. Deux vidéos qui proposent une expérience du temps étirée et presque méditative. Dans la première, un cadrage serré insiste sur le moment du don dans la célèbre sculpture de Canova Amour et Psychée tandis que des clous contrastent avec le blanc immaculé du plâtre. Nous sommes face à un modèle de travail utilisé en vue de la reproduction de l’oeuvre originale en marbre et l’on peut voir dans cette vidéo en plan fixe une métaphore de la démarche de Martin Beck qui va chercher à reproduire l’inimitable, à se saisir de détails qu’il va réorganiser dans une quête de sens.

Last Night, son dernier projet, l’a occupé longtemps, une dizaine d’années de recherches, d’addenda et d’erratum à un livre devenu depuis vidéo. Il est finalement parvenu à reconstituer la playlist jouée pour la dernière soirée organisé par David Mancuso dans son loft, dernière soirée de liberté pour toute une communauté new yorkaise rassemblée par la musique et la possibilité d’être eux-mêmes dans un lieu privé. Il en résulte 13h de musique que l’on pourra écouter en laissant passer la nuit et en s’accrochant aux mouvements de microsillons. Martin Beck a su composer l’exposition, aux visiteurs d’en disposer.

Texte Henri Guette © 2018 Point contemporain

Visuel de présentation : Martin Beck, « to establish motives », 2018. Courtesy Martin Beck & 47 Canal, New York / Photo : Fred Dott. Vue d’exposition « Martin Beck. Dans un second temps » au 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz 06 juillet – 21 octobre 2018 – Photo: Fred Dott