[EN DIRECT] Andoni Maillard, Un Point de vue, Galerie ALB Anouk Le Bourdiec Paris

[EN DIRECT] Andoni Maillard, Un Point de vue, Galerie ALB Anouk Le Bourdiec Paris

Avec Andoni Maillard, ne pensez plus la campagne comme un refuge de silence, mais plutôt comme le terrain d’expérimentation d’une jeunesse fougueuse, avide de sexe, de bruit et d’aventure. Il traduit le changement de nos paysages ruraux pris dans la mutation d’une économie désormais plutôt axée sur les activités de loisirs que sur la production agricole. Les procédés d’Andoni Maillard, pour donner un caractère poétique, à la fois vivant et sensible, aux images populaires, sont multiples. Il axe son travail sur  le détournement, faisant perdre de vue les catégories dont les représentations sont issues. Il utilise des supports et techniques comme le canevas, le point de croix et la pyrogravure pour libérer de leur contexte des motifs dits « populaires »  et leur donner une dimension métaphorique, onirique même. L’artiste traduit ainsi de manière très pertinente un déplacement, celui dans les pratiques artistiques contemporaines qui est symptomatique de recherches nouvelles dépassant les cadres et les limites. Andoni Maillard est lui-même acteur de ces glissements, sans doute avec un temps d’avance et une audace qui le caractérise, par cette entreprise de dénaturer l’objet initial pour mieux l’analyser mais aussi l’animer et lui donner vie.

As-tu toujours pratiqué le détournement d’images ? 

Toujours. Les images qui servent de toile de fond à mes compositions sont issues des médias télévisuels ou Internet. Elles sont toutes formatées pour le grand public. Je réinterprète leur contenu, les détourne de leur discours initial et leur enlève toute charge tragique. La fonction même du détournement est de les sortir de ce que l’on attend d’elles car avant même qu’elles ne soient visionnées intégralement, on en connaît déjà le contenu. Dans mes compositions,  je construis une narration toute autre !

 

Andoni Maillard, Medevac, 2009. Aquarelle et gouache sur papier, 106cm x 75,5cm.
Medevac, 2009. Aquarelle et gouache sur papier, 106cm x 75,5cm.

 

Comment construis-tu ces détournements ?

Je procède par des suppressions ou ajouts d’éléments. Dans mes pièces militaires de 2009, je remplaçais déjà les armes des soldats par des jouets d’enfant. Sur les pages de magazines pornographiques ou sur les canevas que je déniche à Emmaüs, je rajoute en surimpression des motifs. Les techniques et supports que j’utilise participent à cette relecture de l’image.

L’emploi du canevas, de la pyrogravure, ou du point de croix qui, loin des arts dits classiques, font partie de ce l’on nomme les loisirs créatifs, est une façon pour moi de démystifier le sérieux de l’art et de donner une nouvelle force à l’image en la libérant des carcans.

À quel moment as-tu commencé à pratiquer ces arts dits populaires ?

J’ai commencé à l’âge de 10 ans à faire des points de croix avec ma cousine à l’aide de kits pour enfants dont le procédé est simple car il suffit de retranscrire un patron puis d’effectuer le remplissage avec des fils de couleur. J’ai abandonné cette activité qui reste fastidieuse avant de la reprendre alors que j’étais en deuxième année aux Beaux-Arts de Rennes. Dans cet univers très formaté, j’ai voulu introduire ces pratiques populaires mais cela a été assez mal reçu. Après une troisième année particulièrement difficile, j’ai tout de même persisté dans ce qui est devenu ma manière de m’exprimer.

Quels sont les supports sur lesquels tu pratiques ces arts populaires et en particulier le canevas ?

Très vite, j’ai commencé à détourner le canevas de son registre, tant dans les thématiques que les supports. À partir de canevas déjà existant, je crée une nouvelle composition d’où naissent de nouvelles histoires. Je m’attache à respecter complètement les couleurs imposées par le canevas me servant de fond tout en ajoutant une composition personnelle par-dessus au point de croix. Je travaille aussi sur du papier et sur du bois, notamment sur des planches de skate. Même sur bois, je respecte la technique du tissage car je ne colle pas le motif sur la planche mais prépare au préalable celle-ci en faisant de multiples micro perçages afin de réaliser un vrai canevas.

 

Truck, 2016. Feutre et broderie sur papier, 117 x 270 cm.
Truck, 2016. Feutre et broderie sur papier, 117 x 270 cm. Courtesy Galerie ALB Anouk le Bourdiec Paris.

 

Peut-on dire que tu travailles à partir d’une trame de points, qui comme autant de pixels, rappelle le maillage de l’image des médias ?

Exactement. Je travaille toujours à partir d’un quadrillage que je remplis. Travailler sur un maillage donne une fragilité au support qui ajoute un contraste supplémentaire au motif. C’est le cas pour l’oeuvre Truck que j’ai présentée avec la galerie ALB à Art Paris Art Fair en 2016. Une œuvre coloriée au feutre sur laquelle un tracteur pull-in vient prendre place en son centre. Il y a un surgissement du motif, auquel le point de croix donne en plus du relief dans la sérénité de la campagne. 

Le motif de la campagne est récurrent dans tes productions. Quel regard ou analyse portes-tu sur elle ? N’exprimes-tu pas là aussi une forme de rupture entre une tradition et une aspiration de sa jeunesse qui dépasse le cadre ? 

C’est vrai que je m’intéresse à ce que peut vivre la jeunesse dans les zones rurales. Je montre ce à quoi elle est sensible dans des territoires parfois assez reculés, son désir de rompre avec cette identité campagnarde… moi-même je viens de la campagne. J’aime exploiter ces images champêtres mais en même temps, je montre les envies d’évasion de la jeunesse, ce désir perpétuel de bousculer la vie monotone des parents et d’enfreindre les règles. Je montre aussi à travers le tuning, les paysages en flamme, des jeunes encapuchonnés, l’envie de rébellion inhérente à la jeunesse. On peut dire que je procède à une sorte d’analyse de la vie dans les campagnes en mettant en scène des désirs dans des paysages que l’on pourrait définir comme très sages, besogneux. J’essaye d’exprimer leur tentative de s’extirper de cette vie de campagne très isolée. Cela peut être à travers des vêtements, de s’approprier les espaces, mais aussi de faire des conneries ou du bruit, tout ce qui peut être le prétexte pour créer un décalage ! En plaquant une image de nu, une bande de jeunes de la culture board, je produis un contraste fort qui répond à cette rupture.  Je révèle aussi les cultures auxquelles est connectée cette jeunesse et qui détonne dans nos campagnes comme la culture skate, le tuning… 

 

Breizh Point de croix sur canevas, 70 x 40 cm, 2014
Breizh, 2014. Point de croix sur canevas, 70 x 40 cm. Courtesy Galerie ALB Anouk le Bourdiec Paris.

 

Les motifs très colorés du flaming rompent avec les sempiternelles couleurs vertes et marrons des campagnes…

Ce motif fait directement référence à la culture tuning qui est très en vogue dans les campagnes. Je présente à la galerie ALB mon premier motif de bâtisse en flamme. J’ai fait d’autres flamming tel qu’on les retrouve sur des stickers de tuning. Dans certaines pièces, c’est plus réaliste comme cet aigle qui traverse la pièce et la lacère avec ses griffes. On est là véritablement dans une technique du collage auquel correspond complètement mon travail. 

N’y a-t-il pas aussi une dimension sonore dans tes compositions ?

Certains personnages crient pour effrayer des biches, un tracteur Pull-in traverse l’image, un loup qui hurle, sont des façons de donner une forme de relief à un paysage attendu et lisse. Le motif tissé rajoute lui-aussi du relief au support. J’amène de la surprise et de l’inattendu. 

Andoni Maillard, Shoot, 2016. Point de croix sur page de magazine, 21cm x 29,7cm.
Shoot, 2016. Point de croix sur page de magazine, 21cm x 29,7cm.

 

C’est aussi le cas pour le traitement des images pornographiques… 

Quand on voit une scène de porno on a l’impression d’en avoir vu 10 000, j’amène là-aussi une forme de surprise d’autant plus vive que j’utilise volontairement des magazines que l’on trouve facilement dans des bureaux de tabac. C’est une pornographie très crue et très axée pour les hommes. Le but est d’amener le canevas sur des pistes où il n’est jamais allé et de le faire rencontrer des sujets auxquels il n’a jamais été confronté. Il y a aussi tout un jeu avec le point de X. J’aimerais ouvrir ce travail sur de la pornographie gay et ne pas me contenter de magazines hétérosexuels.

Ne joues-tu pas aussi entre le masculin et le féminin et finalement sur la question du genre ?

Bien entendu.  Il y a aussi ce contraste entre un savoir-faire et une minutie que l’on associe au féminin et des images pornographiques dédiées au masculin. Il y a aussi cette image de mains d’homme qui exécutent un ouvrage typiquement féminin lié à la décoration intérieure comme le canevas ou la pyrogravure. Mais mes mains d’homme font aussi en sorte que le motif rajouté s’intègre le mieux possible au motif initial du canevas. C’est le cas du Bunny avec un alignement parfait des courbes humaines et animales ! J’ai longtemps travaillé dans un cinéma et en attendant la fin des séances je brodais, ce qui étonnait les dames d’un certain âge. Il est difficile de concevoir qu’un homme puisse se consacrer à un travail très long et très fastidieux, et qui demande tant d’application. Si elles avaient su ce que je brodais alors !

 

Andoni Maillard, Elle, 2016 © courtesy galerie Anouk le Bourdiec
Elle, 2016. Courtesy Galerie ALB Anouk le Bourdiec Paris

 

En terme de courbes, il y a aussi une adéquation très juste entre les courbes de Laetitia et le loup !

Cette pièce fait directement référence avec la publication que j’ai eu dans la rubrique L’Art du marché de Lui Magazine. Le loup fait écho aux tatouage de Johnny mais aussi à ceux des rockers en général. Le motif animal fonctionne bien par un jeu de multiples associations. Pour les canevas sur les pages pornographiques, les motifs qui viennent se superposer évoquent les différents surnoms donnés au sexe féminin et aux qualificatifs parfois très vulgaires et sexistes donnés aux femmes dites de mœurs légères. C’est une façon de remettre un peu de poésie dans tout cela ! 

Ne joues-tu pas aussi sur la distance entre la toile de fond et le motif incrusté ? La poésie est-elle justement ce point de bascule entre le motif commun et celui qui inspire ?

Ma volonté est de générer une histoire et pour cela le motif que je superpose à la scène peut s’y intégrer plus ou moins pour justement créer tout un cheminement de pensée. À certains moment je suis dans des jeux plus réalistes, plus plausibles comme ce tracteur qui traverse la campagne ou ce bâtiment en flammes, parfois le registre convoqué est plus poétique comme l’oiseau bleu et le bouquet de fleurs. Alors la scène graveleuse, quasi mécanique de l’image pornographique, prend une tournure plus symbolique avec l’ouverture de la fleur. Il y a même une envie tactile, de toucher et de caresser le motif… s’il n’était pas protégé par la vitre.

Texte Point contemporain © 2017

Visuel de présentation : Andoni Maillard, Les Racailles à Barbizon, 2017. Courtesy galerie Anouk le Bourdiec.

 

 

Andoni Maillard, Redlightdistrict, 2014. Point de croix sur canevas, 70 x 43 cm.
Redlightdistrict, 2014.
Point de croix sur canevas, 70 x 43 cm.

 

Andoni Maillard, Attack, 2014. Point de croix sur canevas, 106 x 48 cm. Courtesy Galerie ALB Anouk le Bourdiec Paris.
Attack, 2014. Point de croix sur canevas, 106 x 48 cm. Courtesy Galerie ALB Anouk le Bourdiec Paris.

 

Né en 1985.
Vit et travaille à Bayonne.
Représenté par la Galerie ALB Anouk Le Bourdiec Paris.
http://andonimy-art.com/index.html 
Infos pratiques
Exposition du 11 mars au 18 avril 2017
Communiqué de presse : [AGENDA] 11.03→18.04 – Andoni Maillard – Un point de vue – Galerie ALB Paris

Galerie ALB – Anouk Le Bourdiec
47, Rue Chapon 75003 Paris
Du mardi au samedi / 11h-19h

http://www.galeriealb.com