[EN DIRECT] Axel Pahlavi, Peindre dans tes yeux, Galerie Eva Hober Paris

[EN DIRECT] Axel Pahlavi, Peindre dans tes yeux, Galerie Eva Hober Paris

Dans tes yeux, oui, mais dans quel regard ? Le tien ? Le mien ? Le sien… Peindre dans ce tutoiement, dans cet entre-soi qui révèle la chair du regard. Un regard si accru qu’il brûlerait celui qui le reçoit. Un regard aux yeux fermés qui se pose à l’intérieur. En soi, au travers de soi. Ce regard que reçoit le peintre est aussi celui qu’il pose sur ce qu’il peint, comme possédé par le mystère clairement révélé dans sa vision. Alors voir, dans ton regard, porté par son regard. Accéder humblement à la part intime des plus fines parcelles des êtres, de leur tendresse infinie, de leur douleur sous-jacente, légèrement saillante. La forme et le geste s’incarnent dans la pâte, dans le pigment, dans l’huile. Lors de rencontres avec certains êtres, dans l’intimité des relations, irradie parfois une énergie particulière. Comme un maillage de liens qui semble s’inscrire au dessus du monde sensible. Non un monde des Idées au sens platonicien mais un espace poreux, ouvert et libre au cœur duquel il s’agit d’entrer dans la relation, ce que certains qualifieraient d’entrer en Amour. Un seuil mouvant qui ouvre sur cette porte sourde et lumineuse. C’est ainsi que je reçois et découvre les œuvres récentes d’Axel Pahlavi. 

Un geste, le bout d’un doigt qui délicatement pousse la matière et bascule dans l’espace inouï du don. De cet espace une lumière tendre émane et se pose sur les êtres. Des gestes s’esquissent à peine qui dessinent le pourtour des corps. Les mouvements et les respirations s’inscrivent dans la matière, cette matière qui constitue les hommes et où ils se rencontrent. Un geste subtil, délicatement posé, tendrement révélé par la peinture. On y sent les légères pulsations des corps. Celui d’un père tenant sa petite fille de quelques mois tout contre lui, juste à peine serrée et tant aimée, si protégée. Le front plissé d’une douleur, un père étreint par la tendresse et l’amour qu’il lui porte. Les deux corps semblent comme tressés, distincts mais unis : innocence tendre des chairs pures et des textiles pastels, gravité du corps sculptural et des étoffes lourdes de l’uniforme. Les mains s’animent et s’agrippent l’une à l’autre, puis l’une, puis l’autre. Sur cet horizon qui partage de façon égale le champ du tableau pointe un soleil dont on ne sait s’il est une aurore ou un coucher mais dont la lumière fait contrepoint à la lumière du premier plan, une lumière plus blanche qui se dépose sur le cavalier et l’enfant. D’où vient cette lumière ? Le soleil s’inscrit subtilement dans la réserve de la gorge du cheval blanc. Comme s’il y avait deux temps, comme s’il y avait un passage, une temporalité suspendue voire une atemporalité. S’opère une cristallisation de ce temps suspendu dans la blancheur soyeuse de la robe du cheval qui irradie. Une troisième lumière peut-être, qui porte le père et l’enfant. La délicatesse de l’herbe dont la tendresse terreuse des verts s’incline sous la brise fine sertit ce joyau d’amour pur. Le format  de cette œuvre est monumental, le plus grand peint par Axel Pahlavi jusqu’à ce jour. Déployant dans ce paysage immense de petits gestes retenus et discrets, le peintre met chaque trace laissée au service de l’intense émotion qui guide le pinceau. Et nous nous trouvons en face, dedans, autour, pris dans ce mouvement, dans ce souffle. Epris dans cette étendue. C’est un chef-d’œuvre qui transcende les références historiques et artistiques qui le nourrissent pourtant.

 

Vue de l'exposition personnelle Peindre dans tes yeux d'Axel Pahlavi - Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage
Vue de l’exposition personnelle Peindre dans tes yeux d’Axel Pahlavi – Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage

 

Les peintures respirent, s’élèvent, l’air y circule, elles ouvrent vers un hors-champ. Elles offrent une présence au delà des êtres qui y sont figurés. La question du champ et du hors-champ dilate la figure. Ce qui se figure. Pensée séparément mais dans l’unité – car cette exposition lie ce qui semble distinct – le Polyptyque des Amours concentre en lui tout ce que la simplicité nue des êtres peut contenir. Faisant face au Cavalier (pardonne-nous à tous) il déplie en cinq petits formats les visions du peintre dont l’efficace prend corps dans la sobriété. Les êtres représentés, qu’ils ferment les yeux ou qu’ils ouvrent leur regard, lèvent leur face, déclinent des orientations dans l’espace contraint des toiles de petite taille. Les visages s’offrent à la lumière, la reçoivent. Une légère présence auratique semble les effleurer, voire, peut-être, en émaner. Mais derrière ces paupières closes et ces yeux implorants toute l’humanité s’incarne. Sont-ils confiants ? Aiment-ils à être regardés ? Ont-ils besoin d’être aimés ? Aimés en tant que pécheurs, aimés en tant qu’êtres grimés, fardés. Un visage qui présente sa face à un regard qui dissout les masques. Et brûle sous cette lumière, fond sous elle, révélant les êtres sensibles qui s’y logent en toute pudeur. Le regard au sein de la foi catholique a cette fonction singulière : il distingue. La créature est distinguée du Créateur pour pouvoir être regardée par ce dernier. Pour pouvoir justement rencontrer ce regard. Dans cet ensemble de petites peintures il n’y a que peu d’intercesseurs entre la lumière qui les irradie et les êtres. De la tendresse qui se dépose en poudre. Le fond subtil des petits tableaux absorbe et dissout la lumière tout autant qu’il la produit. Elle point dans la nuque du peintre, forçant l’inclinaison légère mais humble de sa tête dans une posture d’accueil.

Lorsqu’il peint le portrait de son ami Melvin Neumann,  il décèle une présence divine. Il y voit Jésus, il y voit le flamboiement lumineux du divin, il y lit l’amour et la générosité incarné dans la chair. Le rouge intense du drap au second plan enveloppe telle une robe le corps de Melvin. Un léger sourire, le regard baissé, timide, pudique, amusé, l’homme a le visage taché de peinture jaune, de taches de lumières qui zèbrent sa marinière rayée de larges bandes rouges. Le contrastes des jambes juste vêtues d’un collant bleu pétrole laisse aux mains une autonomie singulière. Presque démesurées, elles acquièrent une force et une lumière dans l’image. Posées l’une contre l’autre, la pulpe du bout des doigts à peine pressée, les tendons des phalanges à fleur de peau, les mains dessinent un cœur. Elles offrent tout autant qu’elles accueillent. La pause semble juste là, elle vient de se faire et chaque main pourrait reprendre son mouvement, à ce moment, dans l’instant. Pourtant le temps d’élaboration du tableau est aux antipodes de cette sensation. Il faut du temps pour voir un geste subtil, il faut du temps pour sentir la délicatesse d’un toucher, d’une main qui s’ouvre. Franz, dit le Clown céleste. Ce sont aussi les mains, cette fois-ci ouvertes, qui font le centre du tableau. Autour d’elles le corps, l’espace, la lumière trouvent leur place, dans un lien entre horizontalité et verticalité. La blancheur crayeuse du fond blanc libère une luminosité flottante, presque floue qui fait contrepoint à l’extrême précision des figures dont la densité colorée traduit les infimes pulsations du vivant. De toutes petites touches déposent la chair, la peau et les textiles. Tout petits gestes qui peignent la matière de l’air qui entoure la figure. Les deux personnages assis sont comme installés dans une pause classique du portrait traditionnel et sont tout autant saisis dans un instant. De l’un à l’autre, la foi circule, habite ou s’absente. Les  gestes  du peintres épousent les mains et la gestuelle des deux amis. Chaque touche semble avoir prélevé un peu de chair, un peu de corps de leur monde, de leur être. 

 

Vue de l'exposition personnelle Peindre dans tes yeux d'Axel Pahlavi - Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage
Vue de l’exposition personnelle Peindre dans tes yeux d’Axel Pahlavi – Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage

 

L’hommage au torero mort de Manet est une déclaration de son si bel amour pour sa femme. La subtile tendresse qui émane du tableau est liée au regard qu’il porte sur elle et qui se manifeste particulièrement dans le raffinement des lumières que le peintre a déposées progressivement mais puissamment sur le visage, la poitrine et la camisa blanche. La chevelure est amoureusement peinte, la touche du pinceau semble caresser le soyeux de leur blondeur et dessine chaque mèche dans ses nuances les plus fines… C’est une résurrection qui nous est donnée à voir, de la peinture, de cette femme, de l’amour. Amour que l’on perçoit jusque dans le regard posé sur l’or lustré des chaussons qui couvrent le bout des petits pieds cambrés. Requiem pour une résurrection libère ce beau corps dont la grâce presque italienne flotte dans l’espace du tableau, et le dépose avec légèreté dans le nôtre. Le renversement à la verticale de l’œuvre détache le corps de la matérialité de ce qui l’environne et le laisse en suspension, flotter dans un  lieu indéfini entre le tableau et nous. Par ce geste de renversement le peintre invente un espace pictural et ouvre un chemin de perceptions, une zone poreuse, que nous évoquions précédemment, au cœur de laquelle s’inventent les alcôves d’une humanité encore préservée. 

Puis il y a l’icône, la face qui happe et instaure dans une autre posture celui qui accepte ce regard. Ces yeux, cette chair faite œil dans un face-à-face délicieux, brûlant d’amour. Cette face vous regarde, vous sait, vous sent. En cette peinture s’inscrit et s’incarne la figure de Jésus. Peindre ses yeux, dans ses yeux, sous ses yeux, peindre dans son regard. Le visage du Christ surgit et le réalisme pictural du peintre semble n’être que le vecteur de cette surprésence incarnée dans cette toile de taille modeste. Surprésence au cœur de laquelle la toile est le Christ, devient la chair du Christ sous le pinceau du peintre. Chaque touche pose un bout de l’incarnation, chaque  geste dépose un lambeau de chair du Christ. Et la figure surgit d’un néant et soulève ceux qui lui offrent leurs yeux. 

Vue de l'exposition personnelle Peindre dans tes yeux d'Axel Pahlavi - Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage
Vue de l’exposition personnelle Peindre dans tes yeux d’Axel Pahlavi – Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage

 

Au cœur de ce réalisme si poussé vient se loger une douceur tendre. Ce réalisme n’est en fait que le vecteur de ces émotions et de ce regard si fin. La vision qui est à l’origine de chaque œuvre, ce pouvoir de la vue intérieure, engage un mouvement de la représentation et développe celle-ci d’œuvre en œuvre. Peindre au plus près des émotions, peindre au plus près du cœur, peindre le cœur. Le regard que porte le peintre sur les êtres qui l’entourent génère l’amour, au sens noble, au sens propre et premier. Une passion que lui même qualifie d’un peu folle. Dans le temps, les peintures, touche-à-touche, peignent des êtres émouvants qui prennent corps dans une délectation charnelle dont les fragiles grâces respirent. Rencontrer ce peintre, sous ce regard, sous cette richesse. Sous cette qualité interpersonnelle, car la voie fertile du peintre, celle qui produit et donne forme et figure, cœur et sens… c’est d’avoir su regarder et écouter. Regarder et écouter, certes, mais aussi donner.  « Il leur dit: «Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez.» Ils le jetèrent donc et ils ne parvinrent plus à le retirer, tant il y avait de poissons. ». Il y a quelque chose de cet ordre-là qui nourrit l’œuvre et particulièrement cette exposition. La richesse irrigue l’œuvre. Mais c’est une richesse qui va droit dans le cœur de celui qui regarde. Le spectateur finit par être non seulement en tête-à-tête avec les œuvres mais surtout en cœur-à-cœur.

Texte Laurence Gossart pour Point contemporain © 2017

 

Vue de l'exposition personnelle Peindre dans tes yeux d'Axel Pahlavi - Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage
Vue de l’exposition personnelle Peindre dans tes yeux d’Axel Pahlavi – Galerie Eva Hober Paris. Photo : Marc Domage

 

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[AGENDA] 28.01→25.02 – Axel Pahlavi – Peindre dans tes yeux – Galerie Eva Hober Paris