[EN DIRECT] CONFRONTATION, Haeji Lim et Kun Kang Galerie du CROUS Paris

« L’Homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et se définit ensuite » – Sartre.

Si la distinction entre le « Je » et « l’Autre » a toujours régi nos rapports entre individus, les réflexions qu’elle entraîne se renouvellent constamment. Changeantes et évolutives, les relations que nous entretenons les uns avec les autres suivent les transformations de nos sociétés et de nos modes de pensée. De nouvelles interrogations surgissent alors continuellement : dans quelle mesure l’irruption des nouvelles technologies et leur place de plus en plus prépondérante dans notre quotidien, entraîne-t-elle des rapports plus hostiles, plus superficiels entre les individus ? Comment s’affirmer dans une société de plus en plus normalisée ? Quand commence l’espace privé, où finit-il ? À travers une série de peintures et de dessins, c’est toute une réflexion sur le corps social qui est posée par Kun Kang et Haeji Lim.

Ces deux artistes originaires de la Corée du Sud ne travaillent pourtant pas en duo. Nourris de leur propre expérience en tant qu’expatriés, ils nous livrent chacun à leur manière un journal intime imagé de ce voyage intérieur parcouru depuis leur arrivée en France. Des oeuvres de l’ordre de la confidence, exutoires à leurs angoisses, qui évoquent les problématiques relatives aux rapports que nous entretenons avec nous-mêmes, ainsi qu’avec les autres. 

Barrières, murs, caméras, espaces fermés… les éléments constitutifs de la narration chez Haeji Lim nous plongent dans un huis clos aseptisé. Il est la représentation de l’espace public, cette zone délimitée dans laquelle chaque individu doit se conformer aux règles qui régissent la vie en société. Les plots, murs et barrières limitent les espaces dans lesquels l’individu peut pénétrer ; les panneaux nous indiquent les directions à prendre : le libre arbitre dont nous pensons disposer est en réalité sous contrôle. Haeji Lim nous parle ainsi de l’humain sans pourtant presque jamais le représenter. Les objets ou les situations dépeintes nous renvoient à nos peurs et à nos gestes obsessionnels qui au quotidien nous rassurent, nous réconfortent. La conscience individuelle se voit être ainsi conditionnée par le schéma qui nous est imposé par la société. Obnubilé par son rapport aux objets plus qu’à l’humain, l’individu perd en spontanéité tant dans ses gestes que dans ses relations avec autrui. Une perte de confiance s’instaure : il faut se protéger de l’Autre, de son regard et de ses malveillances (piratages, vols, escroqueries). 

C’est pourtant « l’Autre » qui définit le « Je ». L’autre n’est autre que parce qu’il n’est pas soi. Individu et société sont en ce sens indissociables : l’un se définit par rapport à l’autre et vice-versa, dans une relation oscillant entre rejet et assimilation. Soumis au regard d’autrui, chaque individu subit ainsi le jugement des autres. À travers toute une série d’autoportraits, Kun Kang retranscrit ce sentiment d’être épié ; l’image qu’il a de lui-même variant en fonction de ce que les autres pensent de lui. Chez l’artiste, l’identification de soi passe alors par le regard d’autrui. Il se représente en pleurs, cagoulé, masqué : le « moi » est dans une lutte permanente pour s’affirmer et se protéger. L’individu lutte pour sa liberté, qui serait nulle si exclusivement conditionnée par les autres. Kun Kang nous prouve que la conscience individuelle relève de l’ordre de l’intime, malgré la pression exercée par le corps social.

Haeji Lim et Kun Kang apportent ainsi, chacun à leur manière, une réflexion sur la façon dont notre confrontation aux autres peut conditionner et influencer notre personnalité. En ce sens, cette exposition invite le spectateur à (re)considérer l’existence comme une lutte constante pour l’affirmation de soi.

Texte de L T, commissaire de l’exposition

Courtesy des oeuvres : Haeji Lim et Kun Kang