[EN DIRECT] Dessins perturbateurs, Galerie Metropolis Paris

[EN DIRECT] Dessins perturbateurs, Galerie Metropolis Paris

Alors qu’elle a toujours participé, depuis sa création, à Drawing Now Paris le Salon International du dessin contemporain, la Galerie Metropolis ne figure pas dans la liste des galeries au programme de cette 11e édition.

En contre-point, elle présente l’exposition Dessins perturbateurs qui regroupe les oeuvres d’une vingtaine d’artistes exploitant le médium dans toutes ses dimensions.

Dans sa programmation, la Galerie Métropolis aime emprunter des « chemins de de traverse » et ne rien céder à l’évidence. Une caractéristique que l’on retrouve dans le choix des œuvres présentées qui ont cette capacité à nous surprendre. Une force impactante, parfois même déstabilisante, due à leur pouvoir d’émerveillement, à ce contenu qui n’est pas forcément visible au premier contact mais qui nous entraîne dans une profondeur de l’oeuvre. Échapper à toute forme de catégorisation ou à toute définition et ouvrir sur différentes de significations.

Quel est le lien de la galerie avec le médium du dessin ?

Le rapport de la galerie avec le dessin est simple et compliqué à la fois sans doute parce que le médium n’a aucune importance. L’œuvre, quel que soit le médium, doit être renversante.

Je pense que nous sommes aujourd’hui à l’heure sociale du dessin parce qu’il répond complètement à l’internationalisation des échanges, à leur spontanéité et à leur immédiateté.

Une rapidité que l’on retrouve dans les smileys, les esquisses, tous ces pictogrammes qui font qu’un message devient instantanément signifiant, sans utiliser beaucoup de mots, voire aucun. Le langage se fait désormais à travers des sigles. les pictogrammes sont compréhensibles par tout le monde et dans tous les pays. Notre mode de communication passe par un langage visuel auquel le dessin correspond complètement.

 

Malachi Farrel - Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Malachi Farrell – Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris

 

N’est-on pas justement avec Malachi Farrell dans ce caractère visuel de la communication ?

Ses dessins, tout en étant épurés, sont très efficaces. Il a vraiment un dessin d’agitateur d’idées, porteur de pensées sans toutefois tomber dans le slogan. Ce dépouillement contraste avec ses installations complexes que l’on pourrait même qualifier de baroques. De manière très peu visible, il insère des matériaux pauvres dans ses dessins, des bouts de fil électrique, des morceaux de scotch, des fils barbelés qui viennent donner une matière au dessin.

Est-ce ce rapport direct au message qui t’intéresse ?

Nous sommes dans l’ère du dessin et les artistes s’emparent de ce médium pour s’exprimer. Il est peut-être en ce moment le terrain le plus fécond de l’art contemporain. Sans doute est-ce dû au fait que, socialement, tout le monde dessine quel que soit le support employé. Le terme même de digital signifie avant tout que l’on utilise ses doigts. L’éclatement des genres participent à la mise en avant du dessin. Dessins de mode, architectural, de bande-dessiné, de mise en scène, et si on rajoute le dessin de design, technique ou de graphiste, toutes les formes de dessins sont mises à l’honneur et exposées au travers de nombreux événements. Le dessin est le terrain le plus approprié pour s’exprimer en ce moment, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans. Cela est aussi dû au fait que la hiérarchie des genres n’existe plus. L’exposition la plus incroyable du moment est celle de William Kentridge chez Marian Goodman qui mélange, dans l’esprit des affiches de l’utopie révolutionnaire, vidéo et dessin.

 

Isabelle Levenez - Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Isabelle Levenez – Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris

 

La scénographie de l’exposition Dessins perturbateurs ne joue-t-elle pas aussi sur l’association des médiums ?

Complètement. Isabelle Lévénez présente une vidéo et un travail récent sur les migrants qui côtoie des dessins d’indiens faits à la chaux sur un papier enduit de bouse de vache. Photographie, vidéo, gravure, les médiums se retrouvent autour d’un point central qui est le dessin. Il y a entre dessin et écriture un lien très fort comme dans le diptyque de l’artiste coréen Dae Jin Choi qui est un maître de calligraphie mais aussi et d’abord un artiste contemporain.

N’y a-t-il pas dans l’exposition une circulation entre des temporalités très diverses ?

Les temporalités convoquées dans les oeuvres présentées sont très diverses. Certaines font directement références à l’actualité tandis que d’autres nous parlent d’un temps immémorial. Cette question du temps se retrouve dans les thématiques mais aussi dans les matériaux. L’utilisation de déchets produits par l’homme ou les animaux domestiqués, notamment fécaux, fait partie de l’histoire de l’art tant dans les arts primitifs, que dans certains courants artistiques du XVIIe siècle que, plus récemment, pour ne citer que lui par Manzoni. La bouse de vache est pour les indiens Warli, un matériau immédiatement disponible, économique. Au-delà des matériaux, ces œuvres nous parlent de l’humanité, de la circulation des peuples et de leur sédentarisation.

 

Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris

 

Peux-tu nous en dire un peu plus sur les Warli ?

Les dessins des Warli, qui est un terme qui désigne les primitifs en Inde, on été découvert par Richard Long lors d’un voyage mystique en Inde. Il a été un des artisans de leur popularité. Actuellement présentés dans les musées ethnographiques, on en oublie que c’est un artiste contemporain qui a ouvert leur art à l’occident, qui s’est passionné pour leur travail. Il est très intéressant de confronter leur production au dessin contemporain et ainsi de les propulser dans un autre espace-temps. Il est vraiment dommage que le lien ne soit pas fait avec le dessin contemporain que nous connaissons. Il faut les sortir de leur contexte exotique et les faire dialoguer avec le présent.

Les travaux de Shadi Al Zaqzouq incarnent cette rencontre du contemporain avec la tradition…

Puisque d’un côté et de l’autre de la Méditerranée nous nous appelons respectivement Musulmans ou Chrétiens, Shadi se décrit lui-même comme un punk musulman. Il porte un regard sur la contre-culture dans les pays musulmans qui est très importante. Il a un dessin très classique, ingresque même, mais compose des scènes très actuelles montrant des formes de cassure dans le monde arabe avec l’intérêt grandissant pour le mouvement punk ou rock ‘n’ roll. Shadi a développé un dessin complètement strident. Il a participé à l’exposition Dismaland, l’anti-Disneyland de Banksy et a fait les affiches Palestine à l’Institut du Monde Arabe. Étonnamment ses œuvres sont encore très peu visibles. Et si Banksy, qui est au demeurant un très bon communicant, l’a invité, c’est sans doute parce qu’il a décelé en lui quelque chose de nouveau.

Longtemps la figuration a porté le message politique. Peut-on dire que c’est le dessin qui assure ce rôle ?

Le dessin est en lui-même un discours visuel. Comme il n’est pas figé, il n’impose aucune orientation et offre une interprétation libre au point que l’on peut en faire ce que l’on en veut. A la différence d’une peinture qui est figée, vernie, il est facile de croiser les techniques autour du dessin. L’exposition rassemble poésie, écriture, dessin et art pauvre, tout se rejoint encore dans les petits fragments en bois. Par cette capacité de rassembler les pratiques, on a une espèce de quintessence de la création qui passe actuellement par le dessin. Aujourd’hui le dessin est le support du sens, le porteur du langage du début du XXIe siècle.

Quelles sont les nouvelles tendances du dessins ?

On a là une nouvelle tendance avec une jeune artiste qui s’appelle Émilie Satre et c’est vrai que nous avons remarqué qu’il y avait une tendance au retour à l’abstraction géométrique avec un dessin extrêmement fragile avec des fonds très diffus. Le travail d’Emilie Satre correspond complètement à cette tendance et préfigure sans doute ce qui va se passer dans moins de 10 ans. Le dessin digital connait lui-aussi un bel essort. Nous présentons un projet de dessin digital de Quentin Lefranc qui fait référence à DEVO qui est un groupe américain des années 80-90 qui faisait de la musique conceptuelle. En ne montrant jamais leur visage, ils ont été les premiers à dépersonnaliser le leader du groupe de rock ‘n’ roll et à affirmer que le rock c’est d’abord des idées. Quentin Lefranc s’est intéressé au mythe de DEVO et à l’idée de l’incarnation anonyme de l’idée.

 

Arditi - Loustal - Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Arditi – Loustal – Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris

 

Les dessins présentés nous amènent dans des univers très différents…

C’est notre volonté. De la bande-dessiné de Loustal, artiste très connu dans ce milieu, qui nous plonge dans des atmosphères feutrées des années 40-50 rappelant le carnet de voyage et des univers imaginaires, à Frédéric Arditi qui, dans une même silhouette, associe des références très variées dans un esprit DADA rappelant les figures mécaniques de Picabia, mais aussi renvoyant à l’underground avec le tatouage, au film d’animation. Dans un registre tout aussi visuel, Zevs, qui a fait récemment une importante exposition personnelle au Château de Vincennes sous le commissariat de Stéphane Chatry où il présentait une installation qui détruisaient des assiettes sur lesquelles figuraient des personnages guillotinés. Nous présentons quelques exemplaires des assiettes cassées, sans la machine mais avec un encadrement en forme de couperet. La pièce renvoie à un épisode très intéressant de l’histoire de France, la Terreur, où a été guillotiné la fine fleur de la pensée française qu’elle soit révolutionnaire, philosophique, de séduction, religieuse,… au point de laisser un grand désert intellectuel au début du XIXe siècle. Dans une dimension tout autre, Céline Marin présente trois dessins poétiques. Elle a une façon très particulière de dessiner des scènes que l’on pourrait croire issues de folklores pour interroger la question du féminin-masculin.

Le dessin perturbateur n’est-il pas celui susceptible de nous choquer, comme les Combas ?

Les deux dessins de Combas datent de 2001 et 2002. Ils ont été présentés lors de l’exposition Les vieux dégueulasses qui a fait un scandale à l’époque. Une exposition qui questionnait la liberté d’expression et pour laquelle nous avions édité un livre. Il est très rare qu’il y ait autant de texte dans les dessins de Combas. Ils sont une référence aux compositions classiques par les poses mais confèrent à l’outrage et au-delà portent au sublime ! Cette forme d’outrage se retrouve encore dans ses productions.

Et le titre de dessins perturbateurs ?

La perturbation est dans tous les sens ! Certaines formes de dessins sont perturbantes, tout comme certaines confrontations entre artistes que l’on ne voit que rarement ensemble, certains procédés forment eux-mêmes des sortes de contresens. Il n’y a pas de lecture univoque dans les œuvres présentées. Elles perturbent le classicisme de la pensée. En leur temps, cette perturbation venait du rock’n’roll, du cinéma et maintenant du dessin. À un certain moment, tous les genres créatifs se retrouvent sur un seul et même secteur. Marx dit qu’une idée ne vient jamais seule et que ce sont des circonstances qui rendent une idée technologique ou philosophique possible. Si celle-ci arrive trop tôt tout le monde s’en moque car la société n’est pas en état de la recevoir. Il y a des conditions objectives du développement de la société qui rendent certaines idées inévitables. Et on s’aperçoit qu’il y a des moments où tous les talents de l’art se réunissent avec une grande variété de création qui est internationale et concerne tous les domaines du dessin, du plus classique au digital.

La galerie est le lieu qui permet de mettre en lumière toute cette variété et ce caractère expérimental ?

La galerie est le seul endroit qui, par son organisation, sa taille, les moyens qu’elle développe, réponde à la réalité artistique d’une époque. Pour les salons ou foires, il est nécessaire de faire des dossiers un an avant, quatre ans pour les institutions,… des événements pour lesquels il faut prévoir à l’avance les accrochages, tout budgétiser, fabriquer des maquettes… alors que nous sommes dans une société où le temps et l’espace sont abolis. Cette façon de travailler ne fonctionne plus du tout. La galerie a cette faculté d’être immédiatement réactive et cette capacité à gérer cette instabilité pour prendre finalement les variations comme elles viennent. Elle peut se permettre d’avoir ce côté expérimental. De par le développement des technologies, des réseaux, nous sommes dans un oubli permanent et nous devons rester opérationnels. Or, beaucoup de structures de l’ancien monde continuent de perdurer. En tant que galeriste, je ne fais plus de programmation à long terme, je ne sais pas quelle exposition je vais monter le mois prochain. Ce n’est pas une forme de négligence, j’ai plusieurs idées et je prendrai celle qui me paraît la plus pertinente et qui correspondra le mieux à l’état d’esprit du moment. Et ce n’est pas en fabriquant des maquettes, dans un monde qui est complètement administré, où la prévoyance est devenu le maître mot, mais qui est en un même temps complètement mouvant, qu’on pourra intéresser le visiteur.

Il ne faut jamais oublier que l’art est chose mentale, l’expression plastique d’une idée, qui n’est pas du passé mais du moment présent.

Texte Point contemporain © 2017

 

Infos pratiques
Exposition Dessins perturbateurs
du 24 mars au 30 mai 2017
Avec Malachi Farrell, D. Le Sergent, Robert Combas, F. Arditi, Shadi Al Zaqzouq, Zevs, Thomas Léon, Mahasundari Devi, Yashoda Devi, Kishor Masche, Delphine Gigoux‐Martin, Dae Jin Choi, Isabelle Lévénez, Alain Declercq, Emilie Satre, Quentin Lefranc, Sandra Lorenzi, Pierre Tilman, Céline Marin, Loustal, Vuillemin

Galerie Metropolis
16, rue de Montmorency 75003 Paris

+33 (0)1 42 74 64 17

Ouvert de mardi à samedi – 14h > 19h et sur rdv
http://galeriemetropolis.com

 

Emilie Satre - Sandra Lorenzi - Celine Marin - Isabelle Levenez - Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Emilie Satre – Sandra Lorenzi – Celine Marin – Isabelle Levenez – Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris

 

Dae Jin Choi - Vuillemin - Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Dae Jin Choi – Vuillemin – Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris

 

Quentin Lefranc - Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Quentin Lefranc – Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris

 

Vue d'exposition Dessins perturbateurs - Galerie Metropolis Paris
Vue d’exposition Dessins perturbateurs – Galerie Metropolis Paris