[EN DIRECT] ÉMILIE SÉVÈRE, Qui dira notre nuit, Galerie 1618 Paris

[EN DIRECT] ÉMILIE SÉVÈRE, Qui dira notre nuit, Galerie 1618 Paris

Il est toujours très étonnant de voir la palette d’une peintre car sur sa surface se devine déjà tous les enjeux, les tourments, les questionnements qui traversent ses compositions.

C’est ce que nous révèlent les photographies de près de 200 palettes de grands peintres (Kandinsky, Matisse, Picasso, Twombly, Chagall, Bacon…) de Matthias Schaller, une collection qu’il a présentée en 2015 à la Fondation Giorgio Cini  lors de la Biennale de Venise et que l’on peut retrouver dans son ouvrage Das Meisterstück.

Que dire alors de celle d’Emilie Sévère qui a près d’une dizaine de centimètres d’épaisseur et se partage en des zones clairement identifiées de jaune, de bleu, de rouge ? Elle nous oriente sur le fait que cette masse compacte de pigments colorés devra s’affranchir des frontières qui la délimitent, opérer une transformation de la matière. Elle s’apparente à la maquette d’une zone montagneuse. On comprend dès lors que sa peinture témoignera d’un relief, abritera des cavités, sera un territoire mouvant concentrant une multitude de formes qu’il sera passionnant d’arpenter !

Qui dira notre nuit est-elle ta première exposition personnelle ?

Non, j’ai exposé en 2014, deux ans après ma sortie de l’École des Beaux-Arts de Paris, à la galerie Intuiti, toutefois je n’avais jamais eu l’occasion de travailler avec un commissaire lors d’une exposition personnelle. Baozhong Cui a fait le choix des œuvres, du titre de l’exposition et de la scénographie. Avec le collectif Inconnaissance nous avons l’expérience de commissariats participatifs assurés par les artistes, ici je me suis laissée guider afin de profiter d’un point de vue extérieur sur mon travail.

Quelles orientations le commissaire a t-il suggérées dans tes habitudes de travail ?

Sa principale suggestion a été que j’introduise une plus grande diversité dans mes formats. Il m’a incité à réduire la taille de mes toiles afin que les variations rendent dynamique l’attitude du visiteur.

Peux-tu nous parler de l’œuvre introductive Disparition qui contraste avec l’ensemble de l’exposition ?

Disparition qui ouvre l’exposition est une œuvre datant de 2012. Elle témoigne de la transition avec une période de travail antérieure lorsque j’étais à l’école des Beaux-Arts de Rennes avant que je n’intègre celle de Paris. Pendant cette période, j’étais très influencée par le mouvement Support Surface ou l’approche minimale. Je suivais les interventions de certains artistes tels qu’Olivier Mosset ou François Perrodin. Je faisais alors des monochromes ainsi que des « tableaux sandwiches » ou « tableaux prisons ». J’utilisais pour cela tout type de support, carton, toile ou bois, sur lequel je posais une peinture très vive, très mouvementée que je recouvrai ensuite d’une nouvelle couche reprenant la couleur du support initial. De la première surface peinte, on ne percevait plus que quelques parcelles de couleurs sur les bords. J’ai fais ce type de production pendant un an. Quand je suis arrivée aux Beaux-Arts de Paris, la couleur emprisonnée est revenue au premier plan de la toile.

N’y avait il pas une dimension qui était de l’ordre de la fresque ou de la peinture murale avec les différentes couches d’enduit ?

Il s’agissait pour moi de peintures-objets. Certains aspects de cette période ont perduré comme le principe de peindre un motif puis de le cacher, ou comme l’attention portée aux éléments constituant le tableau : la toile écrue, la matérialité de la peinture … Ici la toile de lin est devenue un motif. Le terme de disparition fait lui directement référence à ma manière de peindre qui procède par strates successives. Je commence par peindre une espèce de brouillard avec des gestes tumultueux puis, petits à petits, je m’accroche à des accidents pour créer des formes. Ils me permettent de construire le tableau au fil des multiples couches. Il y a beaucoup de repentirs. Je laisse plus ou moins consciemment toujours un indice de ce qui arrive, ça fait partie de l’histoire du tableau. Par exemple il y a plein de personnages, d’animaux, de lieux qui sont enfouis, recouverts. Le tableau contient une mémoire.

La toile Disparition exprime bien que c’est en cachant une forme qu’on la révèle. J’ai été très marquée par la peinture de Timanthe à Pompéi qui représente Agamemnon entièrement masqué par un drapé. J’aime aussi dans la peinture antique qu’elle ne montre pas le drame mais donne des indices de celui-ci.

Tu n’es donc pas dans un dessin qui introduit la peinture…

C’est la peinture qui guide les formes. Je ne dessine pas d’esquisse sur la toile avant de commencer une peinture. Je n’ai pas de modèle, pas de plans, j’essaie même de ne pas construire d’idée au moment de peindre. Je fais très vite apparaître des masses. J’utilise souvent le ton local dans les toiles les plus anciennes de l’exposition, qui ont évoluées progressivement vers plus de mélanges. Au départ l’organisation se faisait par zone plutôt distinctes : bleue d’un côté, orange de l’autre et enfin jaune. Trois couleurs qui sont très caractéristiques de ma palette.

Ce qui me pousse à peindre, se sont les couleurs. Il y a une jouissance à poser la couleur sur la toile, comme un enfant.

Peut-être y a t-il dans toute peinture ce désir de retrouver cette joie première de l’enfant qui donne vie par la couleur à un support ?

La peinture Al-Zahr marque un tournant dans mon travail, les couleurs s’animent et deviennent le sujet même du tableau. Dans tous les tableaux qui suivent « je peins de la peinture ». Les bleus donnent des directions, les jaunes sont plus éclatés et donnent des lumières, les rouges la matière… Je travaille beaucoup les couleurs jusqu’à en être satisfaite, pour atteindre une profondeur et une intensité.

Quand on a découvert le quadriptyque que tu as présenté au 6b nous avons eu l’impression que tu voulais créer un sentiment d’enfermement…

Plusieurs de mes polyptyques peuvent se moduler en fonction de l’espace. Par leurs grands formats et la disposition en angle, je cherche à provoquer une immersion dans la couleur. J’affectionne les grands formats car ils provoquent un ralentissement de mes gestes et jouent sur le temps de la création. Lorsque je peins, je suis dans un état spécial très réceptif, j’absorbe à la fois ce qui vient de l’extérieur tout en étant à l’écoute de mon intériorité. La radio est souvent allumée, je suis traversée par ce que j’entends tout en essayant de ne pas donner plus d’importance à un élément qu’à un autre, au point de ne plus penser à ce que je peins.

Mots, phrases s’entrechoquent, apparaissent et disparaissent dans les peintures…

Il y a des formes récurrentes dans mes peintures : cavernes, forêts, campements. Je ne cherche pas à représenter des formes réelles mais à peindre l’idée, quelque chose qu’elle suscite. Par exemple la grotte – que l’on retrouve dans plusieurs de mes tableaux – contient, protège et m’aide à cerner le sujet.

Quels liens fais-tu entre le motif figuratif qui parfois apparaît dans une peinture et l’ensemble qui porte exclusivement sur un traitement de couleurs ?

Pour moi les deux apparaissent de la même manière intuitive. Lorsque je peins j’accepte tout ce qui arrive. Je cherche un état ouvert, un certain type de concentration. Tout est alors sur un même plan, figures, matières, gestes et j’essaie de n’en privilégier aucun. Je recherche un état pour ainsi dire « aconceptuel ».

Texte Point contemporain © 2017

 

Faille, huile sur toile, 46 x 56 cm, 2017
Faille, huile sur toile, 46 x 56 cm, 2017

 

 

Émilie Sévère, Vue 2, huile sur toile, 40 x 20 cm, 2017
Vue 2, huile sur toile, 40 x 20 cm, 2017

 

Émilie Sévère Topos 2, huile sur toile, 240 x 200 cm, 2016
Topos 2, huile sur toile, 240 x 200 cm, 2016

 

 

Émilie Sévère, Campement, huile sur toile, 54 x 81 cm, 2016
Campement, huile sur toile, 54 x 81 cm, 2016

 

Émilie Sévère, Figure, huile sur toile, 200 x 300 cm, 2013
Figure, huile sur toile, 200 x 300 cm, 2013

 

Infos pratiques
Exposition Qui dira notre nuit
Du 30 mars au 19 mai 2017
Galerie 1618
16 rue Richer 75009 Paris
www.galerie1618.com

 

 

Visuel de présentation : Topos 1, huile sur toile, 240 x 200 cm, 2016. Courtesy artiste