[EN DIRECT DES EXPOSITIONS] Diana Righini, Fabrica Mundi, ALMA Espace d’art Paris

[EN DIRECT DES EXPOSITIONS] Diana Righini, Fabrica Mundi, ALMA Espace d’art Paris

Pour sa deuxième exposition, ALMA Espace d’art, qui a ouvert début janvier 2017 rue de la Bûcherie à Paris, a donné carte blanche à Diana Righini, une artiste italo bosnienne, ayant vécu entre Berlin et Paris. Une invitation qui correspond à la programmation du lieu par une volonté d’ouvrir les frontières de l’art, tant dans les médiums que dans les origines des artistes, car se succéderont des propositions venant de tous les horizons. Artistes brésiliens, curatrice chilienne (Daniela Zuniga), une manière de croiser les points de vue, et d’ouvrir sur de nouvelles perspectives. Une ambition à laquelle Diana Righini, de par sa propre expérience, répond complètement. Accompagnée pour ce projet par François Salmeron qui connaît bien son travail et qui a préfacé sa monographie à paraître et écrit le texte de présentation de l’exposition, Diana Righini mène une réflexion sur la frontière, la notion de territoire et les déplacements de populations. Si les pièces ne sont pas toutes récentes, elles trouvent ici une très forte unité, entrent en dialogue pour constituer une vision claire de ce que peut être au XXIe siècle le grand marché commercial du territoire.

Quel est le propos de l’exposition Fabrica Mundi ?

François Salmeron : Fabriqua Mundi nous parle de territoire, de cartes et de frontières, de déplacements et d’identité, et soulève de nombreuses questions qui sont sous le feu de l’actualité. Des sujets que Diana ne traite pas par opportunisme mais sur lesquels elle travaille depuis plusieurs années maintenant.
Diana Righini : De par mes origines, je suis italienne à moitié bosnienne, je suis, depuis toute petite, habituée à voyager. Je me suis installée à Paris et fait mes études aux Beaux-Arts de Paris, puis j’ai vécu sept ans à Berlin. J’ai passé beaucoup de temps dans les Balkans, séjourné en Ukraine dont la situation avant que le conflit ne débute avec la Russie était déjà très chaotique. Je travaille beaucoup dans le mouvement et, quand je voyage, toutes ces questions ressortent. Celles de l’identité, des déplacements des populations mais aussi des frontières, de savoir qui on est, toutes ces problématiques culturelles qui varient selon les points de vue.

Une multiplicité que l’on retrouve dans les différents médiums que Diana utilise…

F.S. : Dans sa pratique, Diana mélange sérigraphie, travaux sur textile comme les drapeaux, installation qu’elle réalise ici à partir de matériaux pauvres recyclés. On trouve aussi exposé de la documentation historique qui nous renseigne sur l’histoire des pays, des frontières et sur les conflits.
D.R. : Mes réflexions partent toujours de documents. Cette dimension documentaire se retrouve dans la production de sérigraphies. Un procédé qui correspond bien à ma volonté de ne jamais rien figer. De la même manière, le poste frontière que j’ai fabriqué in situ la veille du vernissage, est composé exclusivement de matériaux pauvres récupérés que j’utilise tels quels, sans jamais les retailler. Je considère que chaque élément doit trouver sa place. Mon action est à la fois très spontanée et très rapide. Je constitue une banque d’images soit glanées sur Google, soit prises avec un appareil argentique, que je combine entre elles.

 

Installation « We are all the south of someone else », sérigraphies, matériaux divers récupérés, cuir, 2016-2017
Installation « We are all the south of someone else », sérigraphies, matériaux divers récupérés, cuir, 2016-2017

 

On retrouve ce caractère nomade dans l’installation d’un poste-frontière qui exprime la réglementation, la régulation, l’autorisation ou l’interdiction de circuler…

D.R. : Le déplacement induit le passage d’un territoire à un autre. J’ai conçu des passeports que j’ai placé là sur le guichet du poste-frontière. J’ai fabriqué mon premier passeport directement en lien avec mes origines et en référence aux entretiens que j’ai menés en Bosnie-Herzégovine. J’ai acheté une grande peau en cuir pour les fabriquer parce que je vois le passeport comme une peau, comme une première trace de l’identité d’une personne avec cette dimension un peu charnelle. J’ai fait un premier passeport yougoslave mais comme le pays en tant que tel n’existe plus, j’ai fait les sept nouveaux passeports que j’ai placés à l’intérieur.
F.S. : Elle reconstitue une sorte d’unité. L’ensemble peut être perçu comme un bloc ou peut être effeuillé.
D.R. : Cette pièce traduit la complexité culturelle de cette région qui, comme la communauté européenne, peut être, en même temps, unifiée ou multiple. Quand j’ai composé les 28 passeports de la communauté européenne, je me suis aperçue que l’épaisseur des peaux empêchait que soit refermé l’ensemble. Finalement un passeport unique ne peut exister. Les récents événements, Brexit, montée des nationalismes, explicitent cette impossibilité d’unifier véritablement les nations.

 

Installation « We are all the south of someone else », sérigraphies, matériaux divers récupérés, cuir, 2016-2017

 

F.S. Ce sont des sujets que Diana traite depuis très longtemps. Elle a, d’une certaine manière, pressenti l’actualité. Elle me disait aussi que la Yougoslavie préfigure ce qui va se passer en Europe. On retrouve toute la confusion de la zone des Balkans désormais dans de nombreux pays. Les sérigraphies sur lesquelles se répètent des images de déplacements de populations, des barrières, de la précarité. On ne peut ni les dater, ni les localiser.

 

L’utilisation d’un calque que l’on peut déplacer, et plaquer sur les images rend bien compte de la  multiplication des conflits…

F.S. : Le terme Fabrica Mundi répond à ce monde qui sans cesse évolue et se redessine au fil des guerres. Diana met en évidence les outils qui le façonnent et le processus de sa construction.
D. R. : L’image du camp de réfugiés date de 2010, bien avant leur arrivée massive en Europe.
F.S. : L’inscription en anglais que l’on retrouve à plusieurs endroits sur le mur rappelle que « nous sommes tous le sud de quelqu’un d’autre ». C’est une façon pour Diana de pointer le vocabulaire des médias et des occidentaux de désigner les pays « sous-développés » ou le « tiers-monde ». Une appellation qui dénote toujours une forme de supériorité et de suffisance en se prenant toujours pour le centre et en désignant une périphérie. Son installation invite à une relativité des points de vue.
D. R. : La télévision italienne continue à parler d’Europe à deux vitesses avec les nations du sud toujours économiquement faibles par rapport à celles du nord. Le sud est toujours déprécié dans le vocabulaire. Il faut penser que n’importe quelle nation peut devenir le sud d’une autre.

 

1978-2011. Ce travail intitulé 1978-2011 est composé de 3 photocopies, extraits d’un vieille revue littéraire française appelée Europe datant de 1978.
1978-2011. Ce travail intitulé 1978-2011 est composé de 3 photocopies, extraits d’un vieille revue littéraire française appelée Europe datant de 1978.

 

Le document historique comme la Revue Europe te permet de mettre en perspective cette représentation du monde ?

D. R : Ce numéro de la Revue Europe consacré à la Yougoslavie date de 1978. Il a attiré mon attention parce que dans l’introduction est évoquée la Yougoslavie comme un modèle de l’unité qui, je cite : « a réussi le difficile équilibre de devenir une fédération de républiques engagées dans un destin commun. »
F. S. : La Revue voit la Yougoslavie comme un archétype de la réussite alors que, peu de temps après, elle s’est engagée dans une lutte fratricide.
D. R. : Encore aujourd’hui cette zone est perçue par les médias comme une poudrière. Le mot balkanisation est devenu un exemple de déchirement.  Il y règne une telle précarité économique. La situation sociale y est tragique. J’ai fait traduire le texte et l’ai découpé avec la ligne de frontière qui sépare le pays en deux, ce qui crée une cicatrice. J’ai fait faire les photocopies là-bas et je les ai laissées ainsi.

Comme pour le poste frontière, ce document ou tes sérigraphies, tu ne figes pas tes dispositifs…

D. R. : Cela me permet de mettre en évidence différentes strates. On retrouve cette idée de déplacement dans la pièce The map is not the territory. J’ai composé un ensemble de 15 cartes par le déplacement successif et aléatoire d’une plaque de zinc passée à l’aquatinte sur laquelle j’ai  juste dessiné un trait. Le titre est une réflexion sur la représentation d’un territoire sur une carte que l’on pense toujours exacte. En réalité, le tracé des frontières dépend d’intérêts divergents…
F. S. : … et des intérêts, politiques, financiers, commerciaux, qui sont derrière. Le terme Fabrica Mundi est d’ailleurs né au moment où les nations impérialistes européennes ont commencé à cartographier le monde pour leur besoin expansionniste.
D. R. : En regard est placé un collage avec des éléments que j’ai récupérés. Le collage me permet de jongler avec différentes langues et donner aussi ce sentiment que rien n’est figé, que tout peut être repositionné, déplacé.

En contre-point tu présentes des textiles…

D. R. : Depuis deux ans maintenant je travaille avec du tissu sur des drapeaux de dissidence. Je me suis toujours posé beaucoup de questions sur le geste très démonstratif de brandir un drapeau. J’ai pris le contre-pied de ce geste qui, sans être forcément violent, a un caractère très déclaratif, en me penchant sur des attitudes inverses et notamment de dissidence. Sont représentés des gens qui se tiennent à l’écart ou en arrière-plan de ce qui se passe dans la société.
F. S. : Chacune des figures présente sur les drapeaux fait référence à une situation bien précise comme celle d’une grève de femmes dans une usines dans les années 80, ou celle où l’on voit des hommes en train de transporter du matériel pour construire des barricades en Ukraine, …
D. R. : …, un des drapeaux fait référence à l’art des tranchées, à ces Poilus qui, au front, faisaient des petits objets sculptés en attendant les batailles.
F. S. : Diana me disait qu’elle avait été touchée par le fait que ces hommes qui se trouvaient au plus près des frontières et des lignes de combat, arrivaient encore à créer. On revient sur ces questions de géographie, de territoire et de partage. Notamment avec l’image, sans doute la plus poétique de toute, celle d’une petite fille en équilibre sur un fil qui peut à tout moment basculer d’un côté ou de l’autre.

Propos recueillis par Point contemporain © 2017

Crédits photos artiste.

 

 

« Drapeaux de dissidences », Couture polyester, 1,44 cm x 90 cm, 2015
« Drapeaux de dissidences », Couture polyester, 1,44 cm x 90 cm, 2015

 

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[AGENDA] 28.01→02.03 – Diana Righini – Fabrica Mundi