KING HOUNDEKPINKOU [ENTRETIEN]

KING HOUNDEKPINKOU [ENTRETIEN]

Entrer dans l’atelier de King Houndekpinkou et découvrir, à proximité de son tour de potier, son mur d’inspiration, une carte du monde reliant par des fils de laine des points éloignés sur différents continents, permet de comprendre tout l’enjeu d’une démarche dont les productions sont avant tout là pour nous transmettre une pensée, un regard humaniste sur le monde.

À travers le travail de l’argile ou plutôt des argiles car il en existe des variétés très différentes que l’artiste va chercher au Japon, en Allemagne, en France ou sur l’île de Lanzarote, King Houndekpinkou élabore des céramiques composites aux épidermes toujours différents et précieux qui sont la métaphore de la diversité de notre planète. Un travail de la terre qui, comme les images de lutte ou du baiser de Rodin, traduit un combat amoureux avec cette argile qu’il monte au tour, couvre de pigment et que le processus de cuisson magnifie en faisant fondre les minerais qu’il contient.

Pour sa première exposition personnelle à la galerie Vallois, le jeune artiste franco-béninois a choisi de faire dialoguer les séries de céramiques Gestation et Éclosion avec des photographies et des installations qui restituent parfaitement la dimension humaine de toutes les étapes de la création vécue comme « une aventure faite de rencontres et d’échanges ».

Peux-tu nous parler du titre de ta première exposition De Passage sur terre ?

Entrer dans une galerie, tout comme aborder le travail d’un artiste contemporain ou les techniques complexes de la céramique, n’a rien d’évident. Moi qui ai grandi en banlieue et qui ai travaillé dans une agence de communication, je me représentais le monde de l’art comme inaccessible. Mon histoire personnelle fait que je peux me mettre à la place des personnes impressionnées d’entrer dans une galerie à Saint-Germain-des-Prés. Il est donc important pour moi de présenter mon travail aux visiteurs en commençant par raconter mon parcours de vie et la manière dont je suis devenu céramiste, il y a cinq ans, pour enlever une sorte de barrière. Le travail de l’argile me permet d’entrer en connexion avec les gens et de partager une émotion. L’exposition évoque ce point commun que nous partageons tous qui est notre passage sur terre.

Un parcours de vie qui t’a mené à intégrer la galerie Vallois…

Il s’agit d’un concours de circonstances que je trouve très significatif et qui est le prolongement de ma découverte de l’argile. Alors que je faisais un shooting photos pour mettre à jour mon site internet, à 150 mètres de mon premier atelier où j’ai appris la céramique avec Kayoko Hayasaki (qui enseigne à l’atelier Mire dans le Marais à paris), une stagiaire de la Revue AMA nous a rejoints. Elle cherchait un artiste pour écrire un article pour la revue. Je me suis proposé en tant que céramiste. Suite à cela, j’ai été contacté par la galerie Vallois qui a été touché par mon travail et notamment le pont culturel que je créé entre le Japon et le Bénin via la céramique. Le galeriste Robert Vallois est un passionné du Bénin et de sa culture (arts, histoire, traditions etc.), mon travail et ma démarche l’ont donc intéressé. Robert Vallois et le Collectif des Antiquaires de Saint-Germain-Des-Prés ont notamment soutenu l’ONG L’HeD (Hospitalité et Développement) pour la création du Centre Arts et Cultures à Lobozounkpa, dans la commune d’Abomey-Calavi.

Je suis très sensible aux signes et je me dis toujours que la lumière attire la lumière, que la passion rencontre la passion.

Comment définis-tu ta pratique ?

Je me définis comme céramiste et non comme potier même si, depuis le tout début, j’utilise un tour rotatif comme en usent les potiers. J’utilise le terme de céramiste car ma vision est bien plus large que les quatre murs de l’atelier. Un potier fait des objets, des ustensiles en série, or mes réalisations n’ont pas du tout ce caractère utilitaire. Elles expriment des émotions, des états d’âme, incarnent une vision plus globale. Toutefois, je ne pourrai jamais me passer du tour de potier car il procure des sensations vraiment géniales avec ce sentiment de faire tourner une terre, d’exécuter un geste premier de créateur.

Est-ce ce lien avec la vie, le vivant que tu cherches à traduire par tes céramiques ?

Tout à fait. J’essaye toujours de garder ce côté vivant. Depuis que je pratique la céramique, je dis que j’infuse une âme à la matière. Sur le tour du potier, je donne vie à une pièce tout d’abord par ce mouvement rotatif, par le mélange des éléments que sont la terre, l’air et l’eau. Pour cette exposition, De Passage sur terre, j’ai écrit un texte assez personnel. Au fur et à mesure de sa rédaction, je me suis aperçu que l’intention première, celle qui m’a mené à consacrer ma vie à la céramique n’avait pas changé depuis le commencement il y a cinq ans. Cela m’a rempli de joie car il est très facile de se perdre. Un sentiment positif qui est décuplé quand je vois les gens s’intéresser à mes productions, quand ils ont envie de les toucher, se questionnent sur leur forme, sur les matières qui les composent. Et plus encore j’apprécie quand ils me disent qu’ils ont l’impression qu’elles bougent, qu’elles ont gardé ce mouvement qui les a vu naître alors que, cuites à 1200°, elles sont bel et bien figées.

D’où viennent les terres que tu utilises pour tes céramiques ?

J’utilise de l’argile venant de Lanzarote qui est aux îles Canaries, au large du Maroc. C’est une terre volcanique très noire, contenant beaucoup de manganèse, et qui est douce au toucher car elle est chamottée, c’est-à-dire que de la terre cuite pilée a été est réintroduite à l’intérieur. Elle se mélange très bien avec une argile venant d’Allemagne d’une région au sud de Bonn. Ces mélanges sont comme des aventures. D’ailleurs, j’élabore à partir de ces mélanges de terres venues de continents différents des cartes interactives. Je documente lors de mes expositions le processus de réalisation par des photographies, des textes et des vidéos qui racontent les rencontres, les étapes de fabrication en indiquant les lieux et les provenances. Ce sont pour moi comme des journaux rétrospectifs.

Est-ce quelque chose que tu vas poursuivre et développer dans d’autres pays où l’argile est travaillée ?

Mon but est de continuer à me déplacer et de rencontrer sur place les gens qui travaillent la terre ou qui ont un lien avec. Pour mon BB project (projet Bizen Bénin) j’ai travaillé à Bizen dans la région d’Okayama au Japon et au Bénin où je suis allé rencontrer les potières de Sè, qui est une localité du sud-ouest du Bénin, proche de Cotonou. J’ai récolté de l’argile puis l’ai façonnée au Centre Arts et Cultures dirigé par Dominique Zinkpè à Lobozounkpa, dans la commune d’Abomey-Calavi. Pour la cuisson j’ai construit un four Raku, un four artisanal issu d’une technique de cuisson coréenne qui a été importée au Japon vers le 15e siècle. Ce type de four a été utilisé pour élaborer les premiers bols de la cérémonie du thé au Japon. En important cette technique du Japon au Bénin, je conçois des pièces métissées. Tandis que j’ai façonné mes pièces au Bénin avec de l’argile Sè, je les ai cuites pendant 7 jours à Anagama au Japon, avec cette volonté de faire une passerelle entre les deux cultures.

Comment crées-tu les effets colorés sur tes céramiques ?

Les couleurs sont données par un émail composé à 80 % d’argile. Les matières minérales que j’utilise sont nombreux et la chimie pour arriver à de tels résultats est assez complexe. Toutes les composantes sont importantes dans le processus, minerais, temps et température de cuisson, même les montées en température, les moments où elle est stabilisée, modifient l’apparence de la pièce. Chaque minerai mais aussi le Kaolin et le verre ont des températures de cuisson différentes. J’interviens à toutes ces étapes.
La distinction entre les formes ouvertes et fermées est née au Bénin. J’ai exposée la première pièce de Gestation au Bénin lors de ma résidence au Centre Arts et Cultures. Il s’agissait d’une pièce qui s’était crevassée lors de la cuisson alors qu’une autre céramique quasi similaire, cuite dans le même four, était sortie intacte. L’une et l’autre avaient réagi différemment aux flammes et à la chaleur du four. Beaucoup de pièces depuis sont nées de cet accident.

Le fait que tout ne peut pas être expliqué rationnellement est sans doute ce qui fait aussi l’intérêt du travail de la céramique. Cela rejoint l’énigme de mon parcours qui m’a mené à faire de la céramique.

Propos de King Houndekpinkou par Point contemporain © 2017

King Houndekpinkou
Né en 1987 à Montreuil,
Vit et travaille à Paris.

Représenté par la Galerie Vallois à Paris.
www.vallois.com

www.kinghoundekpinkou.com

Expositions récentes (sélection)
2017
De passage sur terre, exposition personnelle, Galerie Vallois, Paris.
World Cultures Festival 2017 / Full Circle Art Africa, Cat Street Gallery, Hong Kong.
Time on Earth, exposition personnelle, Vallois America, New York, USA.

Actualités
Regarding George Ohr: Contemporary Ceramics in the Spirit of the Mad Potter, Boca Raton Museum of Art, Floride.
AKAA, stand de la Galerie Vallois, Carreau du Temple, Paris.

King Houndekpinkou, exposition personnelle De passage sur Terre, Galerie Vallois
Vue de l’exposition personnelle De passage sur Terre, Galerie Vallois
King Houndekpinkou, Cage, 2017.
Cage, 2017. Courtesy artiste et Galerie Vallois.
Photographie issue de la série De passage sur terre. Étretat, février 2017 © 2017 Alex Huanfa Cheng
Photographie issue de la série De passage sur terre. Étretat, février 2017 © 2017 Alex Huanfa Cheng
King Houndekpinkou, Cavilux Zéro, 2017. Courtesy artiste et Galerie Vallois.
Cavilux Zéro, 2017. Courtesy artiste et Galerie Vallois.

King Houndekpinkou, exposition personnelle De passage sur Terre, Galerie Vallois

King Houndekpinkou, Gestation Bleu, or, 2017. Courtesy artiste et Galerie Vallois.
Gestation avant renaissance, 2017. Argile de Sè (Bénin), grès noir de Lanzarote, grès blanc d’Allemagne, émaux jaune, vert, bleu, dorure, 62 x 29 cm. Courtesy artiste et Galerie Vallois.

Visuel de présentation : Exposition personnelle De passage sur Terre, Galerie Vallois. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Vallois. Photo : Point contemporain