[EN DIRECT] Shana Moulton, Mood Swing à la Galerie Crèvecœur Paris

Depuis le 16 août et encore jusqu’au 15 octobre, Shana Moulton présente une exposition personnelle intitulée Mood Swing à la Galerie Crèvecœur qui la représente à Paris. Comme à son habitude, à travers des ensembles de vidéos et installations variées, elle propose de rencontrer Cynthia, l’alter-ego de l’artiste, dans ses fantasmagories délurées.

Shana Moulton nous invite à entrer dans l’univers bonbon de son alter-ego Cynthia, sorte de femme au foyer névrosée dont chaque élément de son intérieur délicieusement kitsch peut se transformer en point de départ à un voyage onirique. L’artiste nous projette sans détour dans l’imagination de Cynthia, comme s’il n’y avait pas de barrière entre les œuvres et l’imagination. Elle met en place un rêve d’enfant : qui n’a pas souhaité imaginé agir directement sur son environnement ? Jouer des hits sur un tiroir transformé en synthétiseur, se télétransporter où et quand on veut, transformer sa baignoire en bain pailleté et exalté… Tout devient possible par la force de l’imagination. C’est d’ailleurs le seul moyen qui parait permettre à Cynthia de s’échapper de son intérieur domestique.

Car une fois le charme de l’univers à l’esthétique complètement kitsch appréhendé et apprécié, c’est un certain malaise qui s’installe. Cynthia, toujours vêtue de robes de chambres et chemises de nuit pastel et fleuries, est de fait toujours enfermée. Les voyages que seule permet son imagination est pour elle le seul moyen de s’en sortir, comme l’illustre l’installation fixe d’un mannequin éternellement bloqué au travers d’un mur. Cynthia est, plus que la figure de la femme au foyer libérée par la première vague féministe¹, le symbole de l’individu dépressif et hypocondriaque devenu facette de nos sociétés contemporaines.

Elle recherche le sens que la modernité a perdu, et le fait à grand renfort de tutoriels dictant les corps et attitudes de la femme actuelle, d’un esprit sain dans un corps sain. Ces méta-vidéos que nous proposent le regard de l’alter-égo au sein d’une œuvre ironiquement démultipliée, mettent à jour un ésotérisme obscur, qui permet à Cynthia de rêver, voyager, sans pour autant quitter son cocoon quotidien. Chaque nouvel épisode de cette série nous emmène dans un ailleurs qui n’est autre que l’esthétique glitch et tout en amateurisme liée aux œuvres issues du post-internet. L’exotisme est, si non existant, tout du moins faussé. La spiritualité recherchée par notre protagoniste tombe dans le plat de la formalité des images. Cynthia ne s’échappe qu’en surface, passant à côté de l’authenticité qu’elle recherche. Les bibelots qui décorent l’intérieur de sa demeure et qui sont souvent le point de départ des rêveries, deviennent les réceptacles de ses propres organes… Notre touchante anti-héroïne se voit aliénée au sein de dispositifs qui ne répondent que momentanément et de manière bien superficielle à ses tendances hypocondriaques et à sa solitude réelle. Les étapes qui étaient censées faire d’elle-même l’être accompli la renvoie indéfiniment au point de départ. Chaque nouvel épisode de l’histoire de Cynthia n’est qu’une démonstration supplémentaire du vide crée par le monde moderne. Les expositions de Shana Moulton se voient ainsi comme un exutoire au mal être crée par cette contemporanaéité.

1 La première vague féministe, terme à postériori, explicite l’ensemble des luttes comme le droit de vote ou l’accès à l’éducation et au travail ayant eu lieu au cours du 19^ème siècle. Elle précède la deuxième vague des années 50-60 qui rejette notamment la société patriarcale, puis la troisième vague débutant dans les années 80 et marquée par une vision intersectionelle des combats à mener.

Laetitia Toulout