[EN DIRECT] Thomas Canto, Structuring shadows, Galerie RX, Paris

[EN DIRECT] Thomas Canto, Structuring shadows, Galerie RX, Paris

La place du visiteur est essentielle dans les dispositifs immersifs conçus par Thomas Canto. Il s’assure, dans la mise en place des perspectives qui s’entrecroisent, que celui-ci ait « toujours une position centrale dans l’installation », celle qui lui permettra de voir apparaître devant lui la plus parfaite des anamorphoses. Au-delà de la dimension esthétique de ses installations ou travaux d’atelier, de la transposition de phénomènes optiques créés par l’agencement des architectures, ses oeuvres ouvrent un véritable questionnement sur la place de l’homme dans ce monde urbanisé toujours en expansion et empreint de gigantisme. Une réflexion sur la position de l’homme dans l’univers qui nous rappelle tout autant l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, que les représentations des cités idéales de la Renaissance italienne (1). Thomas Canto joue à la fois sur ce caractère fascinant, quasi hypnotique mais ne cède pas à la séduction pour nous absorber dans des travaux où doit s’ajuster de manière la plus parfaite corps et esprit, et c’est peut-être là que se situe la véritable anamorphose.

Est-ce pour son architecture que tu t’es installé dans la ville de Hong Kong ?

Tokyo a d’abord été ma première destination au Japon. Lors de ce séjour, j’ai été fasciné par cette architecture très particulière et j’ai fait beaucoup de photos. Quelques années plus tard, je suis retourné en Asie, mais cette fois à Hong Kong. J’ai commencé à nouer des amitiés et j’ai fini par m’y installer. Dans cette ville, qui a la particularité d’être une île, se ressent tout autant la forte présence d’éléments naturels que celle d’une architecture omniprésente, parfois même écrasante. De certains points de vue, on peut voir la ligne d’horizon de l’autre côté de la baie avec d’énormes immeubles qui s’empilent les uns sur les autres.  Cette intensité se retrouve dans les architectures verticales, tout aussi bien que transversales, des rues étroites encadrées par des immeubles de soixante étages avec de chaque côté des effets de perspective.

Ne retrouve-t-on pas d’ailleurs dans tes œuvres ce mélange de perspectives dans un effet 360° ?

Exactement. De telles villes sont pour moi une inépuisable source d’inspiration. Elles nourrissent mon travail, mes recherches et cela est visible sur certaines de mes séries.

Tout autant que cette dimension architecturale, la spiritualité, notion très présente en Asie, se ressent aussi dans tes travaux…

À mes débuts, j’ai fait du graffiti, étudié la calligraphie notamment chinoise et japonaise. Pratiquer la calligraphie impose de rechercher le geste parfait, d’arriver à un équilibre. Le côté esthétisant de chacune de mes œuvres peut certes être relevé, on peut trouver cela beau, mais le caractère cohérent de la composition, sa plastique réside avant tout dans la recherche d’un équilibre. Tradition et modernité sont en Asie encore très mêlées.

Dans mes pièces d’atelier comme dans mes installations, la façon dont je travaille est effectivement très méditative d’autant plus que mes pièces sont extrêmement longues à réaliser et que je vis complètement au rythme de leur élaboration, au point que ce sont elles qui décident pour moi.

 

Thomas Canto, Crystalic white hole, 80 x 80 x 15 cm .
Thomas Canto, Crystalic white hole, 80 x 80 x 15 cm.

 

Par l’utilisation du plexiglas, fais-tu référence à ces architectures de verre que l’on retrouve dans les mégapoles modernes ?

L’utilisation de caisson de plexiglas renvoient à la métaphore de la fenêtre qui donne tout autant vers mon univers et vers un univers que j’ai construit inspiré par les différentes architectures. Beaucoup de mes œuvres évoquent la perspective à travers des gestes de traverser, de pénétrer dans des espaces. Les caissons renforcent cette impression. Pour la première fois, j’utilise le plexiglas dans une de mes installations.

Après avoir fait beaucoup de peintures abstraites, j’ai peu à peu rajouté du relief dans mes productions puis j’ai travaillé davantage sur la lumière et les ombres. L’évolution a d’abord commencé dans mes travaux d’atelier par l’introduction d’éléments sculptés qui me permettaient de jouer sur la manière dont on perçoit le côté réel ou irréel des formes. Quand on s’approche de l’installation que j’ai réalisée à la Galerie RX, on s’aperçoit qu’elle n’existe, non par ses formes à proprement dites, mais par les ombres que produit la lumière sur les panneaux de plexiglas, au point que l’on peut se demander si elle est là ou pas.

 

Thomas Canto, vue de l'installation Structuring Shadows, 2017 - RX Gallery Paris.
Thomas Canto, vue de l’installation Structuring Shadows, 2017 – RX Gallery Paris.

 

La manière dont tu exploites ici l’espace d’exposition marque une évolution dans ta pratique…

J’ai réalisé ma première installation au format d’un espace lors de ma résidence aux Bains douches en 2013. Elle avait une dimension très immersive avec tout un travail à partir des lignes, du volume de la pièce. J’avais composé une anamorphose qui montrait un peu le chemin de l’œuvre. À cette époque,  je n’utilisais pas d’éléments sculptés et mon travail ne s’appuyait pas autant sur l’ensemble des caractéristiques du lieu. Toutefois, l’installation à la galerie RX est aussi un travail d’anamorphose avec les géométries peintes sur le mur en gris. Quand on se meut à proximité de l’oeuvre se créent des correspondances entre les formes et les volumes qui viennent se loger parfaitement dans ces géométries quand on trouve la bonne distance et le bon angle de vue. J’ai aussi profité de l’espace pour favoriser des jeux d’optique, notamment avec la verrière que j’ai fait se répondre avec des formes en losange. Le fait de créer cette perspective nous amène dans un univers qui est assez onirique.

Cette installation a également la particularité de présenter une certaine forme de dangerosité…

Elle peut en effet donner cette impression et rappeler des pièces comme celle de Damian Ortega qui comporte des couteaux dirigés vers le visiteur.  Il y a quelque chose de fort qui nous interpelle et qui nous guide à la fois physiquement et intellectuellement. Il est vrai que l’installation comporte des éléments saillants et tranchants comme du verre, que le gris et le noir dominent et qu’elle est d’une certaine manière assez inconfortable. Mais je n’ai pas voulu placer de cordon de sécurité afin de laisser la possibilité aux visiteurs d’approcher la pièce au plus près et de mieux l’appréhender.

Comment conçois-tu tes installations ?

Je prépare les pièces à l’atelier puis je les adapte in situ en fonction de l’espace et de la lumière. Les repérages sont très importants parce qu’il y a une manière d’habiter le lieu, de venir en quelque sorte le coloniser. Je travaille à partir d’un point central qui donne le sentiment que l’œuvre est en permanente extension, qu’elle grandit dans l’espace jusqu’à l’occuper en entier. Je fais des croquis et dessins préparatoires. J’ai pensé la scénographie de cette installation par rapport à la verrière qui surplombe l’espace d’exposition, cela pour accentuer encore plus les jeux d’optique et par là cette indétermination entre réel et irréel. Le but est que mes pièces ne s’adaptent pas à l’espace d’exposition mais l’intègrent complètement, s’appuient sur chacune de ses composantes. Je sais si j’ai réussi quand, à son tour, le spectateur intègre lui-même la pièce.

 

Thomas Canto, Illusory perspectives. Centre Pompidou Paris
Thomas Canto, Illusory perspectives. Centre Pompidou Paris

 

Peux-tu nous parler de ta participation à l’événement Tout n’est qu’illusion : Illusory perspectives, au Studio 13/16 au Centre Pompidou ?

La commissaire de l’exposition travaillait sur le projet de rassembler des recherches liées à l’art optique et des œuvres pouvant susciter des interactions avec les visiteurs. Elle a été sensible à mes travaux parce qu’ils conjuguent la dimension optique et la dimension immersive. J’ai également présenté quelques pièces d’atelier afin de donner une forme de narration à mon propre parcours et pour montrer aussi d’autres manières d’envisager cette création. Travailler par rapport à l’architecture du bâtiment du Centre Pompidou, qui est spécifique, avait beaucoup de sens pour moi. Les jeunes qui ont participé aux ateliers ont pu aborder mon processus de conception des pièces de diverses manières, avec notamment ce rapport physique avec les matériaux. Ainsi, ils ont travaillé de la manière dont je peux réaliser moi-même des brouillons de sculpture notamment avec des cadres en bois dans lesquels je tire des fils. Une occasion aussi pour moi de produire une installation de grande dimension que peu de lieu aurait pu accueillir.

Peut-on dire que tes oeuvres, à la manière de tes installations, en nous englobant dans une sorte d’architecture idéale où l’on trouve idéalement notre place, renvoient à une forme d’universalité ?

C’est un des fondements de toute forme d’abstraction car elle renvoie une image de soi. En faisant sa propre interprétation des motifs, chacun se projette à l’intérieur et d’autant plus si l’oeuvre abstraite se développe dans un espace où il peut prendre place. Je conçois des pièces qui ont une forte présence car pour moi la confrontation avec le spectateur est très importante. Paradoxalement, si mes pièces font référence à ces architectures qui constituent notre environnement dans un monde qui ne cesse de s’urbaniser, elles ne parlent, non pas d’architecture, mais de l’humain. C’est l’homme qui se place dans l’architecture complètement globalisée. Cela pose des questions sur notre présent et notre futur, sur le monde que nous sommes en train de construire, mais aussi sur ce qu’il en restera.

Texte Point contemporain © 2017

(1) Fra CarnevaleCité idéale (1470-1480), Walters Art MuseumBaltimore. ou encore
Anonyme fiorentin, La Cité idéale (1480-1490), Galleria Nazionale delle MarcheUrbino.
Thomas Canto
© Thomas Canto

 

Pour en savoir plus sur l’exposition :
[AGENDA] 03→25.02 – Thomas Canto – Structuring Shadows – Galerie RX Paris

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