CHRISTIAN ANDERSSON, SMILE AND SAY TIME

CHRISTIAN ANDERSSON, SMILE AND SAY TIME

Christian Andersson, vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie

EN DIRECT / Exposition « Smile and Say Time » de Christian Andersson, jusqu’au 04 septembre 2022, Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen

« Smile and Say Time » réunit un ensemble d’œuvres (sculptures, photographies, installations…) inédites ou récentes de l’artiste suédois Christian Andersson. Le titre de l’exposition évoque le genre de phrases que l’on prononce à l’attention des modèles d’une photographie, un peu avant la prise de vue, ce qu’est en un sens l’exposition : un instantané mélangeant des souvenirs et des images sorties de contextes et d’époques différentes. L’emploi par l’artiste de techniques contemporaines et d’autres plus archaïques vient souligner cette confusion des temps et des espaces.

L’exposition fait la part belle aux faux-semblants : anamorphose, copies, trompe-l’œil, ombres projetées. Le registre des œuvres présentées est celui du simulacre, et leur réunion a la cohérence incertaine d’un songe, que les visiteurs sont invités à déchiffrer. La première photographie visible dans l’entrée de l’exposition, « Pills » (pillules), évoque le scénario d’un rêve qui serait artificiellement provoqué par la chimie d’un médicament, donnant un fil conducteur onirique à l’exposition.

L’art baroque représentait le monde comme une fable ou une scène de théâtre. Le monde tel qu’il est restitué dans le travail de Christian Andersson est un monde où la numérisation universelle tient lieu d’unité de temps et de lieu, tenant ensemble fictions et expérience, spéculations et souvenirs.

Christian Andersson, Column Shred, 2015. Impression jet d’encre sur papier, bois, métal, l. 60 cm, hauteur variable - Vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie
Vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie
Au premier plan : Column Shred, 2015. Impression jet d’encre sur papier, bois, métal, l. 60 cm, hauteur variable –

Les Column Shred (colonnes broyées) sont faites de lés de papier imprimé représentant des colonnes doriques, dont la base paraît avoir été passée directement à la broyeuse à papier, comme si elles avaient emprunté un raccourci dans le processus contemporain de recyclage des produits industriels : aussitôt imprimées, aussitôt détruites. Ces « sorties papier » contrastent avec la masse des colonnes dont elles ne sont que l’image. Vestiges multi-millénaires solides d’un côté, traces éphémères d’une archive dématérialisée vouée à disparaître rapidement de l’autre.

On parle de « styles » pour distinguer les différents ordres architecturaux grecs, définis par le type de colonnes, en l’occurrence ici le style dorique. En un sens second, le style a longtemps désigné l’enveloppe, ou l’extérieur du contenu, ce dernier étant censé être le dépositaire du sens ou de la nature d’une chose. Par un renversement induit par la numérisation, aujourd’hui les images sont dites être des « contenus », par opposition aux contenants qui les véhiculent (sites web, plateformes de diffusion, etc.). Style et contenu se retournent ici l’un dans l’autre, comme un gant qu’on retire. Le style est simultanément image, contenu, intérieur et extérieur.

Vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie - Marrow, 2022. Plâtre, résine synthétique, lampe électrique, 224 × 45 × 40 cm
Vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie –
à droite : Marrow, 2022. Plâtre, résine synthétique, lampe électrique, 224 × 45 × 40 cm

Marrow (littéralement « mœlle », mais que l’on pourrait traduire par « écorché ») est une copie en plâtre d’une œuvre de la Renaissance, le Transi de l’église Saint-Étienne à Bar-le-Duc. L’écorché semble nous dire quelque chose du titre de l’exposition, « Smile and Say Time ». Il a fait son temps, et le sourire s’est figé en rictus. Christian Andersson a ajouté dans la main du personnage un tesseract (également appelé hypercube – un objet mathématique qu’on peut décrire, pour simplifier, comme l’analogue en géométrie du carré d’un nombre – un cube passé au carré, en quelque sorte), lui-même éclairé par un faisceau lumineux projetant, selon un angle étudié, une ombre de cube « simple » sur le mur, dans la lignée des spéculations sur les n dimensions et leur représentation, chaque objet projetant une ombre de lui-même à n-1 dimension.

La projection va de l’esprit à l’image, laissant ouverte l’hypothèse que nous ne percevons pas avec
justesse la dimension dans laquelle nous évoluons, c’est-à-dire que nous ne percevons pas la quatrième dimension dans laquelle nous existons, et dont notre image en trois dimensions ne serait que l’ombre projetée. L’hypothèse peut bien sûr être entendue métaphoriquement, comme elle l’était par exemple pour l’anthropologue Edward T. Hall qui, dans La dimension cachée, désignait par cette expression la culture – la dimension supplémentaire invisible expliquant notre appréhension de l’espace dans lequel nous évoluons.

L’image du cube est projetée sur un fond vert, d’une nuance bien précise, celle qu’on utilise dans le montage vidéo pour réaliser les incrustations – le fond vert permettant de détourer facilement les sujets filmés, et donc de substituer à ce fond abstrait n’importe quel autre fond. Équivalent en vidéo de la page blanche, ce fond monochrome, vide de toute image, vaut ainsi potentiellement pour toutes.

Vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie - Fountain, 2018. Parabole, eau, h 110 cm, Ø 180 cm
Vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie –
Fountain, 2018. Parabole, eau, h 110 cm, Ø 180 cm

Rencontre fortuite d’une antenne parabolique vétuste et d’un compte-gouttes, la sculpture renvoie par son titre (fontaine) à un objet trouvé célèbre de Marcel Duchamp. Le réemploi d’objets tout faits ou ready- made est un procédé très répandu dans l’art d’aujourd’hui, mais trouver des objets est aussi ce qui fait le quotidien des archéologues. Fountain mélange ces deux mondes. L’antenne parabolique a l’aspect d’un vestige archéologique, et de ce fait, l’œuvre prolonge un thème classique de la science-fiction, soit les spéculations sur ce que seront les vestiges de notre civilisation dans un futur lointain.

Ici, le placement à l’horizontale de l’antenne, son aspect sali, ne la fait pas seulement apparaître hors d’usage, mais aussi la projette dans un avenir où sa fonction-même pourrait être incompréhensible. En devenant obsolètes, les objets anciens trouvent souvent une fonction d’agrément, et d’autant plus facilement que leur usage s’est perdu, ou bien que leur signification nous échappe totalement. Des puits deviennent des massifs de fleurs, des outils agricoles des ornements… Un sort comparable pourrait effectivement être réservé à des paraboles de ce type dans un futur lointain. L’onde provoquée par l’égouttement régulier dans l’eau stagnante au fond de la parabole serait alors une rémanence de sa fonction passée.

Vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie
Christian Andersson, vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie
Christian Andersson, vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie
Christian Andersson, vue de l’exposition « Smile and Say Time » au Frac Normandie à Sotteville-lès-Rouen. Photo Clérin-Morin Photographie

CHRISTIAN ANDERSSON – BIOGRAPHIE
Christian Andersson est né à Stockholm en 1973.
Vit et travaille à Paris.
Parallèlement à l’exposition « Smile and Say Time », Christian Andersson présente son travail dans deux expositions personnelles : « For the Eyes That Never Blink » (CAV, Coimbra, Portugal, jusqu’au 12.06) et « Kitbash Tales » (galerie von Bartha, Bâle, Suisse, jusqu’au 30.04).
En novembre 2022, certaines de ses œuvres seront visibles dans l’exposition « Les Portes du possible. Art & science-fiction » au Centre Pompidou Metz.
https://www.christianandersson.net