FU SITE, DISRUPTED NARRATIVE

FU SITE, DISRUPTED NARRATIVE

Fu Site, vue d’exposition Disrupted Narrative © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing

EN DIRECT / Exposition personnelle Disrupted Narrative de Fu Site, Galerie Paris-Beijing, Paris

Entretien réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet, initialement publié dans la revue Point contemporain #4 mars-avril-mai 2017

Les motifs du miroir, de l’espace intérieur dont il souligne l’architecture par un prolongement des lignes, sont très présents dans les peintures de Fu Site. Tels les fragments d’une composition qu’il lui resterait à peindre, ses travaux nous entraînent dans des ambiances à la frontière entre réel et irréel, où les éléments se dissolvent pour mieux nous perdre dans le temps et les niveaux de la narration. Après une première exposition personnelle en 2014, Politicians, la galerie Paris-Beijing présente Disrupted Narrative, où croquis, dessins et travaux préparatoires accompagnent les nouvelles productions de Fu Site comme pour mieux pointer certains éléments de recherche de l’artiste.

Peux-tu nous parler de l’évolution de ta pratique artistique depuis ta première exposition Politicians à la galerie Paris-Beijing en 2014 ?

Tout en travaillant toujours la peinture, ma technique a beaucoup évolué notamment par l’emploi d’un mélange de peinture à l’huile et de peinture acrylique. Désormais, j’utilise aussi le papier et le bois comme supports pour mes peintures. Par la présentation de toiles récentes et d’autres plus anciennes, l’exposition Disrupted Narrative me permet de rendre visible cette évolution qui porte tant sur l’aspect technique que sur les sujets d’étude eux-mêmes. J’introduis notamment à présent des éléments beaucoup plus modernes dans un répertoire qui était auparavant presque exclusivement consacré à des intérieurs de style baroque.

Un répertoire de références qui effectivement révèle une vraie culture de la peinture française classique… Les XVIIe et XVIIIe siècles français sont le sujet d’étude des peintres chinois en écoles des Beaux-Arts. Il est d’ailleurs curieux pour un étudiant chinois de voir à quel point, en Occident, l’esthétique s’est renouvelée. Les toiles des
grands Maîtres qui nous paraissaient si exotiques appartiennent pour vous au passé et sont désormais dans des musées. Je crois que mes œuvres parlent aussi un peu de cela et de ce sentiment complexe que cela induit en moi. Personnellement, cette période de la grande peinture m’attire beaucoup pour les représentations d’intérieurs intimes avec les motifs floraux, les drapés, le mobilier baroque.

« J’aime introduire dans mes peintures une atmosphère un peu passée. Par le contraste que produit l’insertion de personnages à l’allure fantomatique, s’installe une ambiance lynchéenne. »

Qui sont ces personnages masculins qui semblent hanter ces intérieurs où flotte une présence féminine ?

J’insère dans ces cadres intimes des indices épars que le regardeur peut rassembler afin de construire une fiction. Je lui laisse imaginer qu’il va se produire un événement. Les figures masculines qui apparaissent proviennent d’images de personnalités actuelles. Lorsque je suis arrivé en France, j’ai été marqué par les visages souvent furieux, virulents, cadrés serrés des politiciens dont la chaîne parlementaire diffusait les débats et dont je ne comprenais pas les propos. Ils me restaient en mémoire. J’ai commencé à les transposer dans mes peintures. Ils symbolisent pour moi la répétition de l’histoire, les éternelles confrontations si caractéristiques au genre humain.

Ne répondent-ils pas, par leur aspect fantomatique, à ce double caractère, à la fois réel et irréel de tes peintures ? 

Mes tableaux décrivent une ambiance proche de l’illusion, du rêve, du fantasme où les éléments sont juste suggérés, évanescents. On n’est pas véritablement dans un univers physique car, même si le mobilier est représenté, son caractère immatériel nous amène sans doute dans une dimension presque psychique. Sont présents beaucoup d’éléments transparents comme les miroirs, les surfaces vitrées. J’ai beaucoup travaillé le motif du miroir qui recèle une forte part de mystère et qui, philosophiquement, nous montre une réflexion du réel. Le miroir est une référence, dans la tradition de la peinture, à l’art de la vision. J’utilise le motif de la coiffeuse baroque, à la fois massive et très ouvragée, pour lui donner une forte présence. Le miroir nous fait passer d’une dimension à une autre. Tous ces éléments sont constitutifs d’une fiction.

Quelle technique donne un caractère aussi évanescent à tes peintures ?

Je travaille à l’acrylique qui sèche très rapidement et me permet de procéder par couches très fines avec différentes couleurs. Sur une même toile, je peux ainsi produire des effets très différents. De la peinture acrylique que je mélange aussi avec de la peinture à l’huile, très diluée, qui, par les coulures, donne une fluidité aux motifs. Utiliser différents médias aide au passage d’un plan de la narration à un autre et à jouer sur les temporalités.

Peux-tu nous dire comment se met en place la narration dans tes peintures ?

J’ai toujours envie que les gens puissent inventer eux-mêmes une histoire. Mes peintures nécessitent un temps assez long d’appropriation car il faut y chercher les petits détails pour ensuite les connecter afin que se crée un embryon de récit. S’il y a rarement des figures féminines dans mes toiles, je dispose toutefois des objets à caractère féminin, un sac à main, une fourrure, qui laissent supposer la présence d’une femme dans le fil du récit sans que l’on puisse déterminer à quel moment elle était là. Très justement, Elisa (de Fleurieu directrice associée de la galerie Paris- Beijing ndlr) me faisait remarquer que mes compositions contiennent une narration dont on ne connaît pas forcément l’ordre. Parfois, je place des symboles, souvent des flèches, comme pour donner une indication sur un événement dont on ne sait pas s’il a déjà eu lieu ou s’il doit advenir. Ils alimentent une situation de suspense sans que l’on ne puisse jamais en trouver la clé.

Tu places désormais tes personnages dans des univers plutôt contemporains…

Alors que dans les anciennes séries, je représentais toujours des figures masculines, des hommes en costume, des politiciens et des intellectuels, j’ouvre à présent mes représentations à une plus grande variété de personnages tels que des femmes, des enfants et même des animaux. Et si je m’attachais à peindre des sujets pris dans une atmosphère chargée de mystère, je compose désormais des scènes de la vie quotidienne avec un environnement qui se développe tout autour du personnage. Les ambiances sont moins intimistes. Je n’hésite pas à étendre la représentation autour des personnages, au-delà du cadre intérieur, jusqu’à un environnement naturel. La narration est encore plus cassée car les motifs se télescopent, ma manière d’appliquer la peinture, tout comme mes couleurs, est plus spontanée. J’essaye de créer d’autres sensations.

Si l’univers a effectivement changé, ne retrouve-t-on pas des similitudes dans la composition de l’espace ? 

C’est vrai. J’insérais dans mes peintures des lignes qui suggéraient une superposition d’espaces. Maintenant, par la création d’espaces contemporains, ces lignes ont acquis une physicalité. Je m’appuie sur la construction d’espaces intérieurs pour élaborer ma narration. Les réflexions de Borges sur l’espace et la mémoire sont une grande source d’inspiration dans mes travaux.

Fu Site, Politicians - Forêt, 2015. Dessin sur papier, 163 x 117 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, Politicians – Forêt, 2015. Dessin sur papier, 163 x 117 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, Disrupted Narrative, 2016. Acrylique sur toile, 151 x 200 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, Disrupted Narrative, 2016. Acrylique sur toile, 151 x 200 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, vue d'exposition Disrupted Narrative © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing
Fu Site, vue d’exposition Disrupted Narrative © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing
Fu Site, Strangers, 2016. Acrylique sur toile, 114 x 146 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, Strangers, 2016. Acrylique sur toile, 114 x 146 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, The dispute, 2016. Huile et acrylique sur papier, 104 x 180 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, The dispute, 2016. Huile et acrylique sur papier, 104 x 180 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, Mirror Variation, 2016. Triptyque huile sur bois, 12 x 22 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.
Fu Site, Mirror Variation, 2016. Triptyque huile sur bois, 12 x 22 cm. © Fu Site. Courtesy Galerie Paris-Beijing.

FU SITE – BIOGRAPHIE
Né dans le Liaoning (Chine) en 1984. Vit et travaille à Paris.
Diplômé de l’Université Tsinghua/Beijing (2006) et de l’École des Beaux-Arts de Versailles (2011).
Représenté par la Galerie Paris-Beijing, Paris
www.galerieparisbeijing.com