VALÉRIAN GOALEC, ENTRÉE LIBRE

VALÉRIAN GOALEC, ENTRÉE LIBRE

Valerian Goalec, Yes Yes 2023. Cendrier de sondage

EN DIRECT / Exposition Valérian Goalec, Entrée Libre, jusqu’au 14 mai 2023, openspace – 14 rue Stanislas – 54000 Nancy

Ainsi que l’indique Georges Perec dans son livre «L’infra-ordinaire», ce qui nous parle, c’est toujours l’événement, l’insolite, l’extra-ordinaire, comme si la vie ne devait se révéler qu’à travers le spectaculaire mais jamais « ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, […] Ce qui se passe chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel».1 Car effectivement, nous n’interrogeons jamais cet habituel, nous le vivons sans y penser.

Dans son travail, Valerian Goalec sonde notre rapport aux objets et, au-delà, à ce quotidien qu’évoque Perec et à l’usage que l’on en fait, en le ralentissant jusqu’à le mettre en pause, faisant ainsi écho à la pensée de Marcel Duchamp sur la relation des œuvres au temps dont « toutes [les] fractions passées et futures [y] coexistent dans un présent qui n’est déjà plus ce qu’on appelle ordinairement l’instant présent, mais une sorte de présent à étendues multiples ».2

Valerian Goalec questionne alors cette multiplicité temporelle à travers la mise en œuvre d’une situation dont pour lui chaque élément devient une étrangeté que l’on ne regarde plus comme quelque chose de fonctionnel mais comme une incertitude conjecturale qui crée dès lors « une zone située entre visibilité et invisibilité où la prise de forme a lieu ».3

Ici cette situation a trait au travail, archétype de l’espace standardisé par excellence, tant dans ses usages que dans son mobilier. L’espace normé du White Cube est transposé dans celui d’une agence à l’affectation incertaine. Un lieu suspendu dans lequel le visiteur s’interroge sur sa présence, sur son rôle et sur ce qu’il y fait, ce qu’il y voit. 

En déployant ces éléments issus de la vie quotidienne, Valerian Goalec révèle à travers eux l’infra-mince du quotidien par une opération de décentrement du regard. Il cherche alors à « établir un lien explicite entre la façon dont l’oeuvre nous échappe, sa manière de se dérober à nous à cause de la non affirmation de son apparition, et la façon dont son exemple marque voire hante les esprits, la façon dont elle nous atteint ».4

Cet opération de lecture du monde lui permet alors de questionner nos rapports à ce même monde dont l’évolution semble s’accélérer à chaque seconde qui passe. En proposant ce temps de pause, il nous permet ainsi de prendre le temps de l’observation et de trouver ou retrouver, à travers cette mise en attente, une lecture poétique de ce qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié l’origine, d’en offrir un point de vue à la fois complémentaire et divergent.

Tel devient alors le rôle de ces œuvres, de ces dispositifs et formes ténus : faire que « l’extension du champ de la perception, l’ouverture des sens [deviennent] alors la véritable matière de l’expérience esthétique : c’est elle qu’il s’agit de poser comme but ultime du travail de la forme, du travail de l’art. C’est elle qui devient véritablement l’objet de l’oeuvre, le produit de l’invention ».5

Ou comment la mise en situation d’objets communs questionne l’essence des choses, l’essence de l’être.

Quel est le point de départ de l’exposition?

L’espace en longueur face à cette rue m’a semblé assez vite un lieu d’appel, comme beaucoup de ces enseignes dont on ne sait jamais vraiment quel est leur rôle, entre bureau d’étude, start-up, ou agence de voyage spécialisée. L’idéeétait de reprendre cette aspect extérieur et intérieur pour en faire une base de travail. Ces espaces sont intéressants, pour moi, car ils sont toujours habillés d’objets standardisés, comme s’ils étaient toujours en transition, modulaires et donc sans esthétique particulière.

Dans un second temps, c’est l’usage de ces lieux par ceux qui les occupent qui m’a amené à penser aux différentes actions qui habitent ces espaces. L’attente en est le principal élément : que fait-on quand on attend « notre tour »? On observe, on lit… Si tant qu’il soit possible d’y lire des éléments sur les murs, sur une table basse… On s’accroche un temps à ces objets… Et si le lieu le permet, on boit de l’eau (gratuite), un café… On pourrait presque fumer une cigarette si le temps d’attente le permet. Ces éléments sont aussi partagé par leur propriétaire ou les gens qui y travaillent. Le café, la clope deviennent ainsi des rituels, des mesure de temps aléatoires qui tournent autour de ces items.

L’intérêt pour moi est alors de changer notre position en tant que visiteur d’un tel lieu. Chaque élément devient une curiosité, on ne l’observe plus comme une forme fonctionnelle mais comme une énigme au travers d’une normalité, d’une banalité quotidienne.

Comment as-tu procédé pour la concevoir?

J’ai d’abord pensé à deux zones, l’une publique et l’autre privée, qui en réalité sont un même et seul espace. La première partie est réservée à la zone d’attente, elle fait référence au White Cube*, là où on observe. La seconde, cachée derrière des cloisons, est plus intime, deux bureaux dont leur surface est habitée de quelques objets, Behind the White Cube*, espace de consommation, d’archivage, d’intimité du lieu.

Chaque élément de la situation que je propose a été légèrement modifié, manipulé pour en extraire une idée, un questionnement. Ainsi, par exemple, l’eau potentiellement disponible du lieu est en réalité une série de bouteilles d’eau minérale dont l’intérieur à été recouvert d’argenture, renvoyant l’observateur de celle-ci à son propre regard.

Cet espace d’attente que j’initie à openspace est un lieu qui, par réflexe, crée une certaine lecture de l’espace. Je cherche ainsi avant tout à créer une expérience de l’espace par le public dans son entièreté, que tous les sens soient touchés, au maximum, et qu’ainsi le lieu puisse devenir un espace presque parallèle à une réalité.

Tu utilises beaucoup d’objets du quotidien dans ton travail, quel regard portes-tu sur ces objets ? Que signifient-ils pour toi?

Je n’ai jamais été très fasciné à l’idée de produire de nouvelles formes, j’ai plutôt une curiosité sur les formes existantes. Comprendre leur histoire, leur transformation au fil des années et leur présence aujourd’hui sous nos yeux. L’évolution des objets et des outils en dit long sur l’histoire de l’humanité. En utilisant ces formes du quotidien dans mes installation et sculptures, je tente d’en questionner, d’une certaine manière, leur origine et comment notre évolution les a transformé au fils des années.

Au cours de notre éducation, très tôt, nous apprenons à vivre avec ces objets qui nous sont devenus en quelque sorte indispensables et nous finissons tout simplement par les oublier. On dit qu’un très bon designer est celui qui arrivera àfaire un objet si bien adapté à nous que nous en oublions sa présence. Finalement ces objets peuvent être considérés comme des extensions du corps, attribués à certaines fonctions propres, comme une symbiose entre matière – corps.

L’intérêt pour moi aussi, en utilisant ce quotidien de forme, est de pouvoir m’adresser à un maximum de personnes.J’aime l’idée que ces ensembles d’objets, de modules soient reconnaissables par tous.

Utiliser des objets du quotidien donc, c’est une manière d’attiser un regard habitué à ne plus voir ce qui est sous nos yeux. Si la pratique artistique se trouve dans le banal, alors le visiteur se doit de regarder au delà des murs immaculés, au delà des cadres habituel d’exposition. Montrer qu’à travers un quotidien, une routine, on peut y voir une curiosité, un intérêt sur tout ce qui nous entoure au quotidien et enfin questionner leur présence, notre présence.

*en référence aux essais de Brian O’Doherty initialement publiés entre 1976 et 1981 dans la revue artforumet publié en français pour la première fois en 2008 aux éditions JRP Ringier sous le titre « White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie ».

1 Georges Perec, L’infra-ordinaire, Paris, Editions du Seuil, 1989, p 11
2 Marcel Duchamp, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 2008, p 333 
3 Thierry Davila, De l’inframince, Brève histoire de l’imperceptible de Marcel Duchamp à nos jours, Paris, Edition du Regard, 2010, p11
4 Ibid, p8
5 Ibid, p22

Vue d'exposition Valérian Goalec, Entrée Libre, jusqu'au 14 mai 2023, openspace, Nancy
Vue d’exposition Valérian Goalec, Entrée Libre, jusqu’au 14 mai 2023, openspace, Nancy
Vue d'exposition Valérian Goalec, Entrée Libre, jusqu'au 14 mai 2023, openspace, Nancy
Vue d’exposition Valérian Goalec, Entrée Libre, jusqu’au 14 mai 2023, openspace, Nancy
Valérian Goalec, Cycle, 2023
Pompe péristaltique, café, tube silicone, mug
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Valérian Goalec,, Abandoned bushes
2023. Found bushes, paper strips
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Valérian Goalec, Cycle, 2023 Pompe péristaltique, café, tube silicone, mug
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Valérian Goalec, Cycle, 2023 Pompe péristaltique, café, tube silicone, mug
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Valérian Goalec, Dialogues 9 & 10, 2023. Impression kodak, cadre aluminium
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Valérian Goalec, Aroania’s bottle, 2023. Bouteilles en verre, argenture
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