WILLIAM S. BURROUGHS, THE RIPPER SPIRALS

WILLIAM S. BURROUGHS, THE RIPPER SPIRALS

Vue exposition William S. Burroughs, The Ripper Spirals, Semiose, Paris
Photo A. Mole. Courtesy Semiose, Paris

EN DIRECT / Exposition William S. Burroughs, The Ripper Spirals, jusqu’au 29 avril 2023, Semiose, Paris

Opération Sabotage

Evidemment, le culte qui entoure William S. Burroughs (1914-1997), son aura d’écrivain tout à la fois génie et junkie, son invention du cut up avec Brion Gysin à Paris à la fin des années 1950, son influence encore persistante auprès de générations d’artistes, de musiciens, ou encore de réalisateurs comme Gus Van Sant qui l’invite dans son film Drugstore Cowboy (1989), tout cela donne à chacun de ses objets artistiques la valeur d’un fétiche. Mais il faut savoir dépasser ce stade idolâtre pour tâcher de mieux regarder, de mieux considérer ce que l’auteur du Festin nu (1959) met alors sous nos yeux.

De près comme de loin, les peintures « exécutées » par l’écrivain américain William S. Burroughs au Kansas à la fin des années 1980 et après, m’apparaissent d’emblée comme des peintures absolument punk. Un ami m’a d’ailleurs récemment murmuré à l’oreille qu’une de ses toiles réalisées en tirant au fusil, aurait été « carabinée » par la chanteuse Debbie Harry, alias Blondie. Il y a de la sauvagerie dans cette bad paintingabstraite, dans ces compositions désordonnées comme dans cette palette d’assez mauvais goût – je ne peux m’empêcher d’y voir et d’y entendre quelque chose d’un punk californien, ou le titre Sabotage (1993) des Beastie Boys, plutôt que la mythologie new-yorkaise qui colle généralement à la peau perfusée de Burroughs. Si je devais l’associer à l’œuvre d’un autre artiste, je le verrais bien exposé aux côtés des peintures perverses et noisy de l’allemande Jutta Koether, à ses grilles contusionnées issues de pratiques méditatives pour le moins nerveuses.

Mais si l’on cherche absolument à mettre en dialogue ces peintures et les textes de l’écrivain, c’est vers son essai pamphlétaire Electronic Revolution1 qu’il faut sans doute se tourner. Véritable manuel d’instruction pour le sabotage médiatique, l’écrivain imagine notamment un festival rock pendant lequel des hordes de jeunes gens mélangeraient des milliers d’enregistrements pirates : propos politiques, musiques, émissions d’actualité, mais encore scènes sexuelles, et pets et rots de politiciens captés clandestinement dans leurs toilettes. Un festival de bandes magnétiques, un magma sonore, une fête générale du brouillage médiatique, pour court-circuiter le flux répétitif et mensonger de la communication culturelle.

Indéniablement, les Gunshots et autres toiles de Burroughs relèvent pleinement de cette opération de sabotage : empêchant toute communication directe et trop facile entre la peinture et son spectateur, interdisant tout message, collant sur la toile des images parfois même répétées de magazines, saturant l’espace de traces, le brouillage est véritablement le modus operandi de cette peinture. Quant aux trouées des tirs au fusil, elles interrompent là encore le flux mais ouvrent aussi des « portes » sur un au-delà libérateur.

Coïncidences non-hasardeuses des temps actuels, c’est dans le tout récent et magistral essai du philosophe queer Paul B. Preciado, Dysphoria Mundi (2022), que je trouve des pages éclairantes et extrêmement contemporaines sur l’écrivain américain : « Pour Burroughs, ces actes de sabotage avaient un but thérapeutique, presque organique. Ils étaient destinés à guérir le corps social : la communication de masse avait généré une forme de contamination contre laquelle il n’était possible de lutter que par un détournementintentionnel des machines d’inscription. La guérilla électronique était la seule capable de “libérer le virus contenu dans le mot et favoriser ainsi le chaos social”2. »

« Le langage est un virus » : cette phrase-manifeste, située au cœur de la pensée et des œuvres de Burroughs, le philosophe Preciado l’étudie et la réemploie dans un contexte de dysphorie, c’est-à-dire de trouble général augmenté par l’épisode du Covid. De fait, « nous sommes peut-être mieux à même de comprendre aujourd’hui » cette théorie insolite et virale du langage qu’il nous faut ici élargir au langage visuel des médias et de la communication : l’écriture (et par extension le langage, la parole, la communication) est toujours une infection. Mais les propositions actives de Burroughs face à cette contagion généralisée nous sont plus cruciales encore : « Pour Burroughs, écrit encore Preciado, la tâche de l’écrivain et de l’activiste était de travailler avec le langage comme une inoculation, comme un vaccin. Nous sommes malades du langage et nous ne pouvons être soignés que par un détournement intentionnel des machines sémiotiques qui nous habitent ». Y compris en les retournant contre elles-mêmes et contre le pouvoir infect qu’elles exercent sur nous et en nous.

Dans notre société hypermédiatique, nous sommes tous des émetteurs, c’est-à-dire à la fois des infectés pris dans les filets des réseaux (sociaux) de la communication et des transmetteurs du virus médiatique. À contre-courant, Burroughs nous rappelle au contre-pouvoir de la peinture et de la pratique artistique, avec des toiles qu’il réalisait d’abord pour sa propre hygiène mentale avant de la penser pour un quelconque spectateur, dans un mix de pratique quasi-automatique, de méditation agitée, de thérapie anti-médiatique, de paranoïa aiguë et d’action painting contestataire.

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1. William S. Burroughs, Révolution électronique, 2017 [1970], Allia, Paris, (trad. Jean Chopin).
2. Paul B. Preciado, Dysphoria Mundi, Grasset, Paris, 2022, p. 72.

Jean-Max Colard

Vue exposition William S. Burroughs, The Ripper Spirals, Semiose, Paris
Photo A. Mole. Courtesy Semiose, Paris
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