AMANDINE GURUCEAGA

AMANDINE GURUCEAGA

ENTRETIEN / Propos d’Amandine Guruceaga recueillis par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2018 Point contemporain

Accueillie en résidence par la tannerie Riba-Guixà, située à Montornès del Vallès près de Barcelone dans le cadre de sa résidence artistique LVMH Métiers d’Art, Amandine Guruceaga a développé un travail en lien direct avec le traitement des cuirs. Entre savoir-faire des ouvriers et aspiration de l’artiste à les dépasser, s’est mis en place un incessant dialogue autour de cette matière à laquelle elle fait subir d’étonnantes transformations. Un travail qui rejoint son intérêt pour le textile, la beauté des gestes artisanaux et les liens qu’ils peuvent entretenir avec les premiers temps de l’humanité. Des manipulations qui restent fidèles à la tradition et où la mécanisation, loin de toute automatisation, est encore soumise aux minutieux réglages des machines par des ouvriers passionnés par leur métier. L’évaluation de la qualité d’un cuir, de son traitement se fait encore au toucher et par une inspection visuelle. Amandine Guruceaga soumet ces procédés de conditionnement du cuir à de multiples expérimentations afin d’amener cette matière organique vers d’autres formes plastiques. Des réalisations que l’artiste présente à partir du 1er février 2018 à Paris à Monteverita.

La thématique de la couleur pour cette résidence artistique LVMH Métiers d’Art est très liée à tes travaux antérieurs, notamment sur le tartan et les tissus africains…

Oui et le rapport à la teinture était assez évident pour moi. Sur une invitation de Léa Chauvel-Lévy, j’ai candidaté à cette deuxième résidence LVMH Métiers d’Art articulée autour de la couleur, avec l’envie de développer des expérimentations sur le cuir à partir des gestes employés par des ouvriers familiers du traitement de ce matériau. La tannerie Riba-Guixà est spécialisée dans le traitement de cuir d’agneau entrefino pour l’industrie du luxe. Toutes les étapes du traitement d’une peau, du tannage aux travaux de teinturerie se font sur place. L’usine comporte une colorothèque de 22000 couleurs et les chimistes de l’usine composent chaque année 1600 couleurs de plus dont des noirs. Dès le début de ma résidence, j’ai eu envie de développer ce que j’ai appelé  » cuir vitrail « . C’est un travail qui n’a jamais encore été fait et qui a été le fruit d’une étroite collaboration avec les chimistes de la manufacture qui comporte plusieurs laboratoires. En effet, le cuir nécessite un important traitement de surface afin d’accentuer sa douceur, sa brillance. Mais cet aspect final ne se réduit pas à la surface, l’enjeu étant de travailler le cœur de la matière. Un ensemble de procédés visant à donner à ce cuir qui servira aux grands maroquiniers à faire des gants, des sacs à main et des vêtements, un aspect toujours plus naturel.

Que représente le cuir pour toi dont le processus de travail renvoie souvent aux gestes premiers ?

Le travail sur le cuir est à la croisée de multiples problématiques qui nourrissent ma pratique. Il est un des matériaux le plus ancien de l’humanité et qui l’a accompagnée dans son développement. Il y a quelques années, j’avais acheté des peaux en cuir mais je n’en avais rien fait car l’inconvénient était qu’il était déjà tanné et teinté et qu’il n’y avait plus guère d’interventions à expérimenter dessus. Une autre correspondance entre le travail de peausserie et la peinture est que les peintres ont longtemps été classés dans la catégorie des teinturiers par leur utilisation commune des pigments colorés. 

Quelles interventions as-tu effectuées sur les peaux pour leur donner cette transparence ?

Je procède tout d’abord au choix du cuir qui sera le mieux adapté au tannage, au ponçage, à l’étirement et au foulonnage mais aussi aux bains chimiques auxquels je veux le soumettre.  Mes expérimentations sont multiples avec pour intention première de faire subir à cette matière des traitements qui l’amènent dans ces derniers retranchements ! J’ai voulu ajouter au grand principe de la résidence qui est la rencontre entre l’artisan et l’artiste afin qu’ils se nourrissent mutuellement, un travail qui a abouti au développement de procédés innovants. Malgré la moyenne d’âge assez élevée et un grand savoir-faire, les ouvriers se sont d’ailleurs tous montrés très joueurs dans les expérimentations que j’ai pu leur proposer. J’ai voulu les amener, eux qui produisent des cuirs parfaits, à la faute. Souvent ils se récriaient, arguant que cela n’allait pas être possible et pourtant nous sommes allés toujours plus loin. Nous avons travaillé notamment sur les traces de l’animalité encore présentes sur les peaux et même les tâches, tous ces défauts qu’avec beaucoup de science ils font disparaître. Centrer nos interventions autour de la tâche était pour eux une aberration. Ma présence a certainement quelque peu bousculé certaines habitudes. J’ai déréglé des machines afin de produire des effets particuliers sur le cuir. Ils ont toujours accepté de déroger à des protocoles pourtant très précis. Ils ont été très réceptifs à mes propositions et curieux, pour eux qui ont une parfaite connaissance du travail du cuir, des effets qu’elles pourraient produire.

Et cela jusqu’à une vitrification du cuir ? 

Ce traitement extrême d’une peau d’agneau permet de faire apparaître à la lumière, les éléments organiques de l’animal, le veinage, les empreintes de l’ossature, mais aussi les particularités de l’épiderme propre à chaque animal. Pour atteindre ce résultat, j’ai développé des techniques de pressage afin de produire des résultats a contrario de ce qui est attendu par l’industrie du luxe qui est un rendu uniforme des peaux. Malgré cette rigidité et le fait que l’on est très loin de la texture initiale du cuir, ce caractère du vitrail obtenu avec une réaction aux variations de la lumière, il s’agit toujours de peaux et mes interventions relèvent du travail du cuir avec du perçage et de la couture. Cette transformation ne lui fait pas perdre son origine animale, mais au contraire fait ressortir toute sa dimension organique d’autant plus que je garde aussi la forme initiale du corps de l’animal.

Comment leur as-tu donné un statement sculptural ?

Je construis pour accueillir ses peaux  » vitrail  » des sortes d’ossatures métalliques qui s’inspirent des cages thoraciques qui apparaissent lors du traitement du cuir. J’essaye de retrouver cette lisibilité des peaux qui dévoilent toutes les caractéristiques de l’animal. Ces structures soulignent sa beauté intrinsèque, y répondent et là aussi sont un peu à contre courant du système d’industrialisation ou d’uniformisation que désire toute industrie. J’essaye de porter plutôt un regard sur la beauté des imperfections, sur tout ce qui n’est pas reproductible. De même, je ne fige pas ces cuirs « vitrail », je les laisse en mouvement afin qu’ils réagissent à la lumière et, en les enduisant de résine, je tente de redonner une dimension de préciosité par l’usage de couleurs proches de pierres précieuses.

Propos d’Amandine Guruceaga recueillis par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2018 Point contemporain

Amandine Guruceaga, So Wet Blue, 2017, Transparent leather, steel, 265 x 39 x 39 cm Phyllo Navy, 2017, Transparent leather, steel, resin, 118 x 113 x 3 cm. Photo credits: Alexandre Guirkinger
Amandine Guruceaga, So Wet Blue, 2017, Transparent leather, steel, 265 x 39 x 39 cm
Phyllo Navy, 2017, Transparent leather, steel, resin, 118 x 113 x 3 cm.
Photo credits: Alexandre Guirkinger
Amandine Guruceaga, Mojado, peau d’agneau entrefino transparente, acier, résine, 250 x 100 x 30cm. Photo : Alexandre Guirkenger
Amandine Guruceaga, Mojado, peau d’agneau entrefino transparente, acier, résine, 250 x 100 x 30cm. Photo : Alexandre Guirkenger
Amandine Guruceaga, Rebajar, cuir, résine, acier, 200 x 106 x 10 cm. Photo : Alexandre Guirkenger
Amandine Guruceaga, Rebajar, cuir, résine, acier, 200 x 106 x 10 cm. Photo : Alexandre Guirkenger

Visuel de présentation : Amandine Guruceaga, Acid mix Pergamine II, peau d’agneau entrefino transparente, acier, résine, 160x165x4cm. Photo : Alba Yruela