[ENTRETIEN] Fantin Leroux

[ENTRETIEN] Fantin Leroux

Entretien avec l’artiste photographe et vidéaste Fantin Leroux.

Artiste : Fantin Leroux, vit et travaille à Paris

Autrefois astronome, l’artiste Fantin Leroux nous emmène par ses réalisations vidéos et photographiques dans l’univers des réseaux ferrés souterrains. Ces cathédrales de béton, fantastiques dédales d’escaliers sont un monde de profond silence seulement rythmé par le vacarme assourdissant du passage régulier des trains. Au fil de ses explorations, Fantin Leroux effectue une topographie précise de ces lieux, y intervient lui-même parfois à la craie et compose un ensemble de prises de vues qu’il nomme des constellations.

Entre monde sensible, celui de la perception pure du temps et de l’espace et monde intelligible, celui à l’échelle de l’entendement humain, le travail de Fantin Leroux nous montre toute la relativité de notre vision du monde que nous parcourons quotidiennement.

Ton travail artistique nous semble être une exploration, un processus dont l’exposition photographique marque la fin. Quelles en sont les étapes ?

Tout d’abord, à la notion d’exploration je voudrais ajouter celle de voyage. Cela me semble traduire plus précisément la temporalité de mes promenades dans cet univers étrange, niché au coeur de la ville où je vis. Ces voyages m’amènent dans des territoires inconnus que j’apprends à connaître, au fil des nuits, et qu’ensuite je revisite sans cesse. De tout cela, je rapporte des images, à la fois pour me souvenir de ces moments et de ces lieux, et pour partager cet univers et cette aventure.

Fantin Leroux Entretien par pointcontemporain
Fantin Leroux, sans titre (Constellation #2), 2014

Dans ce cadre du voyage, l’exposition de mon travail ne marque pas la fin d’un processus, elle est le rapport que je fais, au moment où je construis l’exposition, d’un lieu tel que j’ai pu le vivre. Après l’exposition, je n’abandonne pas ces lieux montrés et je continue à les vivre. Cela signifie que le périmètre pictural du lieu exposé n’est pas quelque chose de figé, que lui aussi évolue, tout au long de mes promenades.

Fantin Leroux, entretien par pointcontemporain

Le processus proprement dit est assez simple : je voyage dans cet univers et j’en rapporte des images. J’y réalise parfois des interventions, qui deviennent là-bas la mémoire de cette aventure et qui ici prennent place dans les images que je rapporte. Lorsque l’opportunité m’en est donnée, je tente de faire vivre ces lieux à des yeux étrangers, par l’intermédiaire d’une exposition, d’un livre ou bien d’une promenade.

Lorsque tu exposes, tu organises tes productions en installations très spécifiques. Peux-tu nous parler de celles-ci ?

L’idée est de me focaliser sur un lieu souterrain particulier qui sera le sujet de l’installation. J’articule ensuite cette installation en fonction de l’endroit qui accueillera l’exposition. D’un point de vue pratique, je représente le lieu souterrain à travers un type de photographie que j’appelle bille : la bille est une factorisation visuelle de ce petit morceau d’univers. Elle en donne une vue compressée mais exhaustive, assez abstraite au premier coup d’oeil. Il faut apprendre à lire la bille pour comprendre le lieu, c’est un problème inverse assez amusant qui m’est devenu très familier. D’autant plus que j’ai déjà la connaissance visuelle du lieu, alors je triche un peu.

Fantin Leroux, exposition État des lieux, galerie du jour Agnès b., 2013
Fantin Leroux, exposition État des lieux, galerie du jour Agnès b., 2013

L’installation est ensuite organisée autour de cette bille. À partir des différentes images choisies pour l’installation, je m’efforce de faire vivre et respirer le lieu souterrain pour celles et ceux qui ne pourront y faire le voyage. L’ambition est de donner une représentation de cet endroit qui corresponde à l’expérience que j’en ai, tant au niveau visuel que sensoriel. J’essaye d’avoir une approche multidimensionnelle : l’oeil attentif verra que les clichés se renvoient les uns aux autres et qu’il n’y a pas de hasard dans leur dimension spatiale, tandis qu’au niveau temporel, sous cet aspect cohérent se cache souvent des prises de vues étalées sur plusieurs années. Mais c’est difficile de s’en rendre compte, compte-tenu de la cinétique d’évolution plutôt lente du monde souterrain.

Fantin Leroux, Bille #03, 2013
Fantin Leroux, Bille #03, 2013

 

Kant définit une esthétique de l’infini à partir de l’observation d’une goutte d’eau. Peut-on dire que tu tends vers une même esthétique par ton approche scientifique ?

Je n’appréhende pas du tout mon approche de manière scientifique : j’ai une approche qui est plus naturelle, plus instinctive.

Entre impressions de fixité et vitesse que rend le fisheye, ton travail porte t-il aussi une réflexion sur l’espace et sur le temps ?

Ce n’est pas comme cela que j’envisage mon travail. Cette bille, cette construction, par opposition aux clichés photographiques rectilinéaires, est en quelque sorte une pièce d’identité. C’est l’identité d’un lieu, et cela de manière plutôt intemporelle : compte-tenu de la compression que subit la représentation du lieu à travers cette bille, convolué à la cinétique d’évolution du lieu, cette pièce d’identité est, très généralement, stable dans le temps.

Fantin Leroux, Bille #xx, 2013
Fantin Leroux, Bille #xx, 2013

Sous terre, le temps ne s’écoule pas comme à la surface : tout y est plus lent. L’espace, lui aussi, est différent, et les distances y sont dilatées, d’où la sensation d’intemporalité de cet univers.

Tu réalises aussi des vidéos, aux images (presque) fixes qui cherchent à capter les manifestations du « bord du monde ». En quoi sont-elles complémentaires de ton travail photographique ?

Beaucoup de mes images sont pensées comme des « tableaux », et les vidéos que je réalise n’échappent pas à cette règle. C’est cependant l’occasion d’adjoindre à ces lieux une dimension temporelle, visuellement et accoustiquement. Ces tableaux animés me permettent de partager de manière complémentaire cet univers.

Ton premier recueil monographique s’intitule « Traité de cosmologie souterraine ». Il fait doublement référence à la science, par l’idée de traité et à celui de l’univers connu. Serait-ce à dire que ton entreprise photographique à des finalités tout autant artistiques que documentaires voire scientifiques ?

Après différentes expériences monographiques, j’ai enfin convergé sur la manière de présenter mon travail et de décrire ce monde : ce premier volume de mon Traité de Cosmologie Souterraine en est le résultat.

L’idée est de rapporter, au sein d’un ensemble d’ouvrages qui soient visuellement cohérents, l’état de ma connaissance de cet univers souterrain là sous nos pieds. À ce titre, j’ai terminé une première annexe pour mon Traité, sur un sujet connexe, et je travaille actuellement sur le volume deux, qui devrait être prêt d’ici la fin de l’année. Dans ces ouvrages, la narration est principalement visuelle : cela correspond bien à mon vécu puisque je vois ces lieux mais y étant seul, je n’y parle pas et aucune voix n’y résonne.

Dans tes travaux récents tu portes ton attention sur les voyageurs pris dans leur trajet, dans ce noumène (pour toujours en référer à Kant). Comment s’est faite cette évolution ?

Pour l’exposition « Architecture(s) du Bonheur » à la galerie Düo, j’ai voulu montrer des voyageurs afin de faire le lien entre la ville du dessus, les gens, et ces environnements souterrains. Ce n’est cependant pas une évolution, puisque la plupart des clichés de ces voyageurs avaient déjà un ou deux ans à la date de l’exposition. J’ai choisi de montrer ce lieu de cette manière car cela me semblait correspondre le mieux à la thématique. Cela ne dénote cependant pas d’une évolution dans ce sens de mon travail, qui serait de toute manière limitée vu la difficulté technique de l’exercice.

Fantin Leroux, sans titre (Constellation #2), 2014
Fantin Leroux, sans titre (Constellation #2), 2014

Quand on regarde tes photographies, on a le sentiment d’être dans un lointain futur, un monde totalement façonné par la main de l’homme, où toute lumière naturelle aurait disparue, un monde de ruines dans une esthétique proche de celle des films d’anticipation. As-tu fait ce lien dans tes explorations ?

Aux ruines près, l’esthétique de ces lieux est effectivement souvent proche des visions d’anticipation, et là je pense plus particulièrement à l’univers des romans d’Isaac Asimov, en tout cas de l’empreinte que m’ont laissé ces lectures de jeunesse.

À titre plus personnel, il semble qu’il y ait une dimension purement mentale à investir ces lieux souterrains. Que te procurent ces entrées dans ce corps enseveli, avec ses veines, ses organes… ?

Le plaisir de la concentration, de la focalisation, le calme et l’étrangeté de ces espaces.

Fantin Leroux, sans titre, (Constellation #1), 2012
Fantin Leroux, sans titre, (Constellation #1), 2012

Peux-tu nous parler de tes interventions à la craie, dessins d’étoiles, propos sur le rêve… À quel dessein les réalises-tu ?

Ces interventions, ce sont un peu de mes rêves dans ce monde minéral. Bien qu’anecdotiques, tant sur la forme que sur le fond, ces dessins instillent un peu de rêve dans cet univers. Peu à peu, ces rêves se transmettent à la ville, par ces caillebotis qui jonchent les trottoirs, et par la diffusion que je peux faire de mon projet souterrain.

Que recherches-tu dans ces lieux de solitude, de retrait du monde… ces lieux qui restent paradoxalement vides de toute population…

Je ne sais pas dire ce que j’y cherche, mais plutôt ce que j’y trouve. Des différentes manières de rêver qui sont miennes, l’univers de ce Traité de Cosmologie Souterraine est celui qui m’est le plus intime.

Fantin Leroux, Bille #01, 2013
Fantin Leroux, Bille #01, 2013

Pour en savoir plus : fantinleroux