[ENTRETIEN] Louis Gary

[ENTRETIEN] Louis Gary

Entretien avec Louis Gary artiste.

Artiste : Louis Gary. Né en 1982 à Rennes. Vit et travaille à Ivry-sur-Seine. A étudié à
l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Nantes, à l’Ecole Nationale Supérieure de la
Photographie d’Arles et est diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Marseille (2007).

 

Louis Gary conçoit des objets, dont les formes simples ne sont pas sans évoquer celles des maisons, châteaux ou voitures, composés de cercles et rectangles qu’enfants nous trouvions idéales. Des formes qui renvoient à cette idée que tout puisse trouver parfaitement sa place dans l’ordre du monde. Les oeuvres de Louis Gary nous parlent des objets qu’elles portent ou contiennent, « invitant à considérer le monde, les gestes et les choses alentour ».

Entretien réalisé le 08 février 2016 :

Comment est né ton travail de sculpture ?
Mes études terminées, je me suis installé à Paris et j’ai travaillé sur des chantiers pour gagner ma vie ; j’y ai appris à faire de la menuiserie. Un jour j’ai construit du mobilier dans l’appartement que j’habitais ; c’est là que j’ai commencé à imaginer et réaliser des pièces en volume. Puis ça a fini par prendre toute la place. Avant cela, mon travail, c’était exclusivement du dessin et de la photographie ; même pendant l’année que j’ai passée dans l’atelier dirigé (entres autres) par Anita Molinero, aux Beaux-Arts de Marseille, je n’ai fait que ça. J’avais l’impression d’occuper là-bas dans une position certes particulière, mais en même temps complètement naturelle. Je ressens comme une évidence la connexion entre l’ « avant » l’ « après » de ma pratique, et je n’ai pas du tout vécu ce glissement comme une rupture. Mais cette connexion est difficile à expliciter : je parlerais plutôt d’intuitions, d’indices, de repères qui me reviennent souvent ; comme l’oeuvre d’Hergé par exemple.

Louis Gary, vue d'exposition La salle de fruit, Vestibule de la maison rouge - Fondation Antoine De Galbert, 2011

Louis Gary, vue d'exposition La salle de fruit, Vestibule de la maison rouge - Fondation Antoine De Galbert, 2011
Louis Gary, vue d’exposition La salle de fruit, Vestibule de la maison rouge – Fondation Antoine De Galbert, 2011

Peux-tu nous parler de cette préférence pour le bois ?
Ce n’est pas exactement une préférence. J’aime beaucoup le travail de William Wegman : il photographie ses chiens ; je ne pense pas que ce soit parce qu’il n’aime pas les chats – et d’ailleurs, il n’est pas photographe canin, et je ne suis pas sculpteur sur bois… Mais j’utilise en effet, de façon quasi exclusive, le bois et ses dérivés. C’est une histoire d’affinités, de convenances, de savoirs-faire ; disons que dans l’atelier, avec des outils et du bois, je m’y retrouve. Ça ne s’arrête pas là : je m’occupe beaucoup d’un jardin ; et ça m’intéresse de comprendre comment « les choses » arrivent à l’atelier. Par exemple, l’industrie du bois, c’est en même temps les futaies jardinées, les sangliers (1), les cueilleurs d’arbres, et les peupleraies coupées à ras, les usines de déroulage, les porte-containers. Ça ne se réduit pas à des idées ; c’est complexe, ça renseigne sur pas mal de choses

L’idée de construction, de la découpe, de l’assemblage, est très présente dans ton travail.
Pour poursuivre sur votre question précédente : il n’y a pas d’idées dans mon travail… Je ne mets pas en forme des questionnements, des réponses ou des concepts ; je n’illustre rien, je ne produis pas des supports d’information ; j’insiste là-dessus, car c’est très important pour moi.

Mes pièces, ce sont à la fois les étapes, les traces et les résultats d’un geste artistique.

Je disais que ça m’intéresse de comprendre d’où vient le bois, et d’où viennent les choses, en fait… Récemment j’ai écouté un entretien avec Robert Wyatt ; à un moment il parle des gens qui construisent les routes, les maisons, et de lui qui fait sa musique au milieu de toute cette chaîne… Qui fait les parpaings, et qui fait le vent, ce sont deux choses qui vont ensemble ; et le temps pour regarder tout ça est précieux.

Tes sculptures s’intègrent parfaitement dans le lieu d’exposition avec parfois un sentiment du « fait sur mesure »…
J’imagine que beaucoup d’artistes qui préparent une exposition recherchent le « sur mesure ». De mon côté, concrètement, cela se passe comme ça : on m’invite, je visite les lieux, je prends des photos, je mesure tout- il y a des contraintes, c’est assez terre-à-terre. J’aborde chaque exposition comme une forme de commande, de la même façon, d’ailleurs, que je réponds régulièrement à des commandes de mobilier. L’année dernière, j’ai été invité à exposer (2) dans un lieu très haut de plafond ; le sol était carrelé avec des grands carreaux beiges; tout était très sombre, et l’éclairage consistait en gros en des pelles halogènes de chantier. C’était vraiment raide ; puis, j’ai repensé à un objet lumineux que je voulais faire depuis longtemps, et j’ai fini par dessiner une pièce suspendue, intégrant des tubes lumineux. J’essaie juste de faire en sorte qu’à la fin les choses fonctionnent ; « fonctionner », ça ne tient pas à grand chose, c’est assez insaisissable… C’est un énorme lieu commun : c’est sans doute pour cela qu’on fait des pièces, et pas des discours.

Comment perçois-tu justement toutes ces contraintes, comme des obstacles ou au contraire des catalyseurs ?
Plutôt que de contraintes, je dirais qu’il s’agit de données, de choses données ; ce ne sont pas des obstacles ; des catalyseurs, je ne sais pas. Ces « choses données » (dimensions, calendrier, argent, désir…), c’est juste le réel ; donc je fais avec.

 

La Resurrection du mélèze, luminaire ; 2015, Contreplaqué, bois de mélèze, peinture, tubes fluorescents ; 18 x 22 x 160 cm
La Resurrection du mélèze, luminaire ; 2015, Contreplaqué, bois de mélèze, peinture, tubes fluorescents ; 18 x 22 x 160 cm

Une dimension fonctionnelle qui pourrait rapprocher ton travail de celui du design ?
Il se trouve que je « manipule » souvent des objets qui intéressent aussi les designers. Et que parfois, dans ma réponse à une commande, ou bien dans la préparation d’une exposition, ou bien quand je travaille à l’atelier sans échéance particulière, je crée des pièces totalement fonctionnelles ; comme par exemple Trainee, un bureau que j’ai présenté récemment dans une exposition à Glassbox (3). Mais je ne suis pas designer. Pour utiliser une analogie : les castors créent des huttes, et actuellement, beaucoup de designers dessinent des huttes, des cabanes… Mais pour autant, les castors ne sont pas des designers ; tous deux peuvent avoir plein de choses à se raconter, mais les castors sont des castors.

Comment réponds-tu à la question de l’objet d’art dans l’espace quotidien, domestique ?
Je travaille de la même façon quel que soit le contexte ; ce sont seulement les « choses données » qui changent, et mes propositions avec. Je produis des oeuvres qui sont visibles en plein air, dans des espaces d’exposition, ou encore dans des contextes domestiques ; et, vous l’avez relevé, j’utilise parfois le terme « sculptures domestiques » pour parler de mes pièces. Dessiner ou intégrer des oeuvres dans un lieu habité, c’est leur proposer de se mélanger, de se fondre, de participer. Elles peuvent éclairer, et aider à bien regarder nos « habitats », et aussi devenir un point de rencontre avec tous nos « habitants »… Mais la présence d’oeuvres d’art dans une maison n’a rien d’exceptionnel, même dans la cuisine ou les toilettes ; c’est tout de même dans des maisons que finit une grande partie de ce qui sort des ateliers d’artistes.

Louis Gary, Trainée et Rosette, Espace d'art Glassbox, 2016
Louis Gary, Trainée et Rosette, Espace d’art Glassbox, 2016

Les formes de tes oeuvres ont cette caractéristique de rappeler l’usage de l’objet tout en s’en éloignant…
Cela renvoie à ce que je vous disais au sujet de mon positionnement vis-à-vis du design. Ces temps-ci, j’ai regardé beaucoup de choses sur le travail des facteurs d’instruments de musique. Au début de l’année, en passant devant un immeuble à Ivry, j’ai vu un orgue de salon au milieu d’un appartement, par une fenêtre ; très imposant mais très sobre, loin de ce qu’on se représente en général en pensant à un orgue. A la suite de ça, à une plus petite échelle, j’ai commencé à construire une cithare, que je n’imaginais pas rendre « praticable» ; je n’ai donc pas posé de cordes. En revanche, j’ai posé une âme : c’est une petite pièce de bois, placée entre le fond et la table d’harmonie, que l’on retrouve dans les violons, les violoncelles ; c’est elle qui « tient » tout l’instrument, en quelque sorte. Mais elle n’est d’aucune utilité dans une cithare : poser une âme, c’est un jeu ; tout comme d’ailleurs fabriquer un simulacre de cithare, fonctionnel ou pas. Mes oeuvres ne sont, au passage, pas « ludiques », terme que je trouve fourre-tout et paresseux. Elles sont à la fois le résultat, et les outils d’un jeu. »

Louis Gary, Dans le château, Sculpture in situ ; 2015, contreplaqué, peinture ; 50 x 50 x 400 cm
Louis Gary, Dans le château, Sculpture in situ ; 2015, contreplaqué, peinture ; 50 x 50 x 400 cm

 

(1) Le sanglier est un artisan dont le métier consiste à prélever des sangles dans le liber des épicéas abattus ; ces sangles servent ensuite à la confection des fromages de Mont-d’Or.

(2) Home Alone, exposition collective du 17 mai au 31 mai 2015, La Laverie, 117 rue de Belleville 75019 Paris

(3) Polder II,une exposition collective avec Antoine Boudin, Louis Gary, Adrien Goubet, Laurent Le Deunff et Laura O’Rorke, du 21 janvier au 20 février 2016, Espace d’art Glassbox, 4 rue Moret 75011 Paris

 

Pour en savoir plus :

louisgary.fr

Visuel de présentation : Chariot pour les enfants, Peuplier, liège, roues, peinture ; multiple, édition de 5, 2014. Courtesy de l’artiste