[ENTRETIEN] Ugo Schiavi

[ENTRETIEN] Ugo Schiavi

Entretien avec Ugo Schiavi artiste plasticien et sculpteur.

Artiste : Ugo Schiavi né à neuilly-sur Seine en 1987. vit et travaille à Marseille. Diplômé de la Villa d’Arson de Nice. Résident de la Cité internationale des arts Paris en 2013-2014.

 

Qu’ils soient humain ou animal, les corps sculptés d’Ugo Schiavi semblent animés, malgré leur aspect fragmentaire, par une force encore en mouvement. Un travail à partir d’empreintes prélevées in situ qui ouvre une nouvelle dimension dans le corpus de cet artiste où se croisent pratiques artistiques et sportives.
Loin de tout geste de reproduction et de façonnage, Ugo Schiavi ne donne pas à voir dans ses sculptures un objet fini, mais plutôt une action dans son accomplissement. Ses pièces défient la statuaire classique à la fois par la technique du moulage et par le choix de présentation qui laisse apparent le processus d’élaboration tout comme le système d’accrochage. Une approche à la fois archéologique et contemporaine qui transporte la sculpture dans un tout nouveau registre.

Propos d’Ugo Schiavi recueillis le 05 février 2016 :

Quel a été le point de départ de ton travail de sculpture sur les fragments de corps ?
J’ai commencé ce travail lors d’une résidence de quatre mois à Toulon (1). Bien que le corps ait une importance fondamentale dans toute ma production, je n’en avais jamais représenté auparavant. Les corps sont ceux de ces guerriers modernes que sont les rugbymen. Un choix de modèles qui allait de soi dans la ville de Toulon car le rugby y est une sorte de religion et que je suis moi-même un inconditionnel de ce sport. J’ai décidé de me confronter au statuaire avec toute la dimension historique et artistique que cela comporte.

En donnant à mes sculptures un aspect non fini, je cherche à ce qu’une impression de force brute se dégage de l’ensemble.

Les huit joueurs forment une mêlée luttant contre une machine d’entraînement. Ce joug, tout en permettant de supporter le poids avoisinant les 800kg des sculptures en béton, apporte l’idée d’une lutte hommes-machine car les corps des joueurs se prolongent dans la forme de celui-ci. Les tailles de ces premières sculptures sont imposantes et ont impliqué un nombre de moulages assez conséquent, morceau par morceau, bras, jambes, bustes…

Qu’apporte la technique de l’empreinte à tes sculptures ?
L’empreinte a toujours été omniprésente dans mes travaux. Pour réaliser Premières Lignes, j’ai eu la chance d’avoir des assistants pour mouler les joueurs. Je ne suis pas dans une volonté de faire de la sculpture classique mais plutôt dans la recherche de références tout en gardant une esthétique. Dans cette pièce, la beauté est en partie due à la gémellité des modèles.

Le geste de mouler de la statuaire pour prélever des empreintes recèle aussi une dimension archéologique.

Je rends toujours apparents les éléments des moulages. Le verso est visible tout comme l’armature métallique et les fibres. J’aime beaucoup parler d’archéologie contemporaine. J’ai d’ailleurs fait un travail de collaboration avec Thomas Teurlai (2) qui consistait à décoller les couches de peintures de murs graffés afin de les rouler comme des parchemins. Parfois ces murs avaient été recouverts pendant près d’une vingtaine d’années. Cette notion de prélèvement et de conservation est une part importante de mon travail.

Est-ce en raison de cette dimension archéologique que tu développes ta pratique à travers le fragment ?

La technique de la prise d’empreintes ne permet pas de réaliser des moulages d’un seul bloc. Mes pièces sont en conséquence toujours fragmentées. Ainsi chaque partie est autonome et possède une beauté qui lui est propre. Voir un fragment détaché du reste de la mêlée a un côté fascinant et m’a donné à réfléchir à ce que pouvait être une sculpture. Et même si j’ai au final assemblé la totalité des éléments pour composer la mêlée, j’ai vraiment gardé en tête que cet aspect parcellaire pouvait se suffire. Le morcellement a donné une nouvelle orientation à ma pratique.

J’ai volontairement travaillé à partir de fragments pour figer une action de placage comme un photographe aurait pu le faire. J’aime particulièrement les photographies de sport quand les corps sont saisis dans un mouvement et sont comme en suspension. J’essaye de retranscrire cet instant en sculpture. J’ai fait poser des joueurs côte à côte pour la prise d’empreinte, à moitié enlacés, l’un tirant le t-shirt de l’autre, pour avoir ce drapé qui est toujours présent dans la statuaire.

Lors de ta résidence à Eden comment as-tu approfondi ce travail de sculpture ?

Lorsque Sylvain Couzinet-Jacques m’a invité à participer au projet Eden, j’ai eu envie de travailler sur les clichés de la culture américaine. J’ai commencé par des portières de voiture puis me suis intéressé au football américain, le sport phare des Etats-Unis où, comme pour le rugby, les joueurs s’apparentent à des guerriers d’autant plus qu’ils portent des protections faisant penser à des armures.

Lors de l’exposition Dogwood (3) à l’atelier G8 de la Cité internationale des Arts de Paris tu présentes deux chiens sculptés…
La série Sampling plus est en partie née de ma rencontre avec l’artiste Ken Sortais qui effectue des moulages au latex de statues avec lequel j’ai réalisé une installation intitulée Z lors d’une résidence à Usine Utopik (4). Les empreintes proviennent d’une sculpture d’un sanglier attaqué par trois chiens. Je ne connais pas l’auteur de cette sculpture qui se trouve cachée dans un parc et qui est à moitié détruite. J’ai rajouté à ces empreintes un élément anachronique en faisant poser quelqu’un sur cette statue. La personne s’accroche à la statue en positionnant ses mains comme dans une prise d’escalade, un sport que je pratique beaucoup. En mélangeant performance et sculpture, j’introduis un dynamisme dans la forme que je moule, celui d’un nouveau rapport au corps.

Il y a une forme d’engagement physique par rapport à la statue que je vais mouler par le fait que je l’escalade.

En ce sens la statue devient elle-même un terrain de jeu. La position des mains sur les statues est très réaliste d’autant plus que j’utilise pour les moulages un produit qui s’appelle l’alginate qui permet, une fois sec, de rendre apparents les pores de la peau et les veines. La forme de la manche est elle aussi moulée avec tous les détails.

Est-ce une manière pour toi de donner une dimension performative à la sculpture ?

Dans ce rapport entre antique et actuel, l’action est un fil rouge qui relie toutes les composantes de mon travail artistique et qui donne une valeur performative à tout ce que je fais. J’escalade les sculptures souvent monumentales situées dans l’espace public à chaque fois que je me déplace en résidence. Je garde de ces moments uniquement des photographies et j’alimente régulièrement la série en vue de produire une édition. Dans mon travail de moulage, j’associe des prises d’empreintes de statues qui sont dans la rue, d’époques variées mais en général contemporaines avec cet acte illicite d’escalade.

Je laisse volontairement dans la présentation de la sculpture toutes les étapes qui ont servi à sa fabrication afin qu’elle garde l’énergie qui a été nécessaire à la mise en oeuvre pour son élaboration. Le processus de fabrication d’une oeuvre est au moins aussi important que le résultat lui-même.

Je ne représente pas seulement un lévrier avec des mains dessus, mais tout le parcours d’élaboration de la sculpture, de la pénétration dans un parc, l’esquive des gardiens jusqu’à la prise de l’empreinte. Si tout reste visible, les empreintes des mains et des manches, la filasse, la structure interne en fer, il devient évident que je ne suis pas dans la reproduction d’un geste de sculpteur. Je garde aussi cet aspect non fini, fragmentaire et pour lequel on peut aisément imaginer qu’il manque tout le reste de la sculpture autour.

Cet aspect ne marque t-il pas une sorte de défi dans ton approche de la sculpture ?

Tout est très lié dans mon travail. Les actions se croisent et font sens les unes par rapport aux autres. Un rapport que l’on peut définir comme une collision entre mon corps et la matière.

Il y a une forme de vandalisme dans le fait de s’introduire dans des lieux pour y prélever des empreintes de sculptures classiques tout comme dans le fait d’escalader des sculptures publiques.

J’ai développé la série 1% Climbing par rapport au dispositif dit du « 1% artistique », une procédure spécifique de commande d’œuvres d’art. Je fais un parallèle avec ce geste imposé, presque totalitaire, de poser à proximité d’un édifice une oeuvre d’art spécialement conçue pour celui-ci.
De plus, la plupart des sculptures contemporaines sont abstraites et offrent de nouvelles possibilités de prises pour l’escalade. Ce travail, que j’ai commencé quand j’étais étudiant, marque aussi un rapport aux pères, c’est à dire à ces grands sculpteurs modernes qui font autorité. Pris au premier degré, ce geste de culminer en haut de la statue peut symboliser la position de l’élève qui veut dépasser le maître.

Comment abordes-tu la question de la présentation qui est fondamentale pour une sculpture ?

La question du socle, que l’on retrouve dans la statuaire antique, s’est bien entendu posée. Je ne voulais pas qu’on puisse figer la forme en la posant sur une cheminée, mais qu’elle garde en suspension toute sa dynamique comme un acte en train de s’accomplir. Je m’attarde souvent sur les systèmes d’accroche des sculptures dans les musées et à la manière dont elles sont présentées. Ces sculptures sont un travail très récent que j’ai envie de poursuivre car je sais que je vais encore découvrir, par le choix des sujets, par la taille des prises d’empreintes,  des problématiques qui ne se posent pas encore. »

(1) Sculpture Premières lignes réalisée lors d’une résidence en mai 2015 au PLAC à Toulon. http://www.leplac.fr
(2) Exposition Looters will be shot, Thomas Teurlai & Ugo Schiavi, du 27 octobre 2012 au 3 février 2013, Galerie de la Marine, Nice. Les deux artistes ont reçu en 2011 le Prix de la Jeune Création Contemporaine de la Ville de Nice et de la fondation Bernar Venet. http://www.botoxs.fr/lieu/galerie-de-la-marine/
(3) Exposition Dogwood avec Fred Cave, Sylvain Couzinet-Jacques, Thomas Hauser et Ugo Schiavi, le 23 janvier 2016, Atelier G8, Cité Internationale des arts Paris.
(4) Usine Utopik, Résidence #37/38, Ugo Schiavi et Ken Sortais, du 23 octobre au 13 décembre 2015, Centre de création contemporaine relais culturel régional, La Minoterie 50420 Tessy-sur-vire. http://www.usine-utopik.com

 

 

 

Ugo Schiavi, Premières Lignes, 2015, Béton - Acier - 500x300x120cm
Premières Lignes, 2015, Béton – Acier – 500x300x120cm

Ugo Schiavi, Premières Lignes, 2015, Béton - Acier - détail
Premières Lignes, 2015, Béton – Acier – détail

Looters will be shot, 2012, en collaboration avec Thomas Teurial
Looters will be shot, 2012, en collaboration avec Thomas Teurlai

Ugo Schiavi, Premières Lignes, 2015, Béton - Acier - détail
Premières Lignes, 2015, Béton – Acier – détail

Shoulder pad, 2015. Béton - Matériaux divers Vue de l'exposition Battlefield, Eden, Caroline du nord, USA
Shoulder pad  2015 Béton – Matériaux divers
Vue de l’exposition Battlefield, Eden, Caroline du nord, USA

Ugo Schiavi, Lévrier, série Sampling plus, vue d'exposition Dogwood
Ugo Schiavi, Lévrier, série Sampling plus, vue d’exposition Dogwood

Ugo Schiavi escalade sculpture Tony Cragg
1% Climbing, Tony Cragg

 

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