[ENTRETIEN] Elvire Caillon

[ENTRETIEN] Elvire Caillon

Diplômée des Beaux-Arts de Paris (2014) et de l’école Estienne (2009), Elvire Caillon passe d’un domaine de création à l’autre à travers une recherche de motifs, formes et couleurs inspirés des environnements qu’elle parcourt. Elle a été en résidence chez Astérides (Marseille) de juillet à décembre 2016, où elle s’est exclusivement consacrée à la peinture, pratique alors inédite dans son travail.

Rencontre avec Elvire Caillon le 15 décembre 2016 dans son atelier et à la fin de sa résidence à Marseille.


Qu’il s’agisse de dessins, installations, peintures, sérigraphies… Tu utilises toujours dans ton travail des couleurs chatoyantes, voire primaires. Est-ce une affinité particulière, quel est ton rapport à la couleur ?

Je crois que c’est quelque chose qui est né de mes études à Estienne (École supérieure des arts et industries graphiques, ndlr) en illustration, où le travail développé se situe dans le champ des arts appliqués. L’univers qui est mis en application là bas est plus lié à l’illustration jeunesse, donc il y a une palette de couleurs qui s’est développée assez naturellement dans ce sens-là. Mais ce qui est étonnant c’est que je n’ai jamais été vraiment tournée vers ce type d’illustrations. J’ai très vite développé un univers plutôt ciblé adulte et destiné à la presse, à l’édition, à différentes collaborations possibles mais qui ne se sont jamais orientées vers le livre pour enfants. C’est quelque chose qui me fait assez envie maintenant, qui pourrait faire partie de mon champ de travail. Je pense en tout cas que la couleur est venue par ce biais-là et aussi tout simplement car mon travail a très vite été nourri d’un interêt pour la façon dont l’espace urbain présentait toutes sortes d’occurrences picturales. Déjà à Estienne, mon travail de diplôme s’appelait Trafic Normal. Il représentait toutes les différentes occurrences picturales de l’espace public à travers les publicités, les messages informatifs et la façon dont l’être humain s’approprie l’environnement. Il y avait l’idée de développer un univers où la couleur venait contrebalancer le sujet. La couleur, vive, gaie, lumineuse, me permettait de prendre un certain recul avec le sujet à l’œuvre, parfois assez sombre. C’est notamment le cas par rapport à une réalité sociale que je décrivais dans mes dessins, comme par exemple la série de dessins qui a servi à ma collaboration avec Gilbert Milin pour le spectacle Toboggan (création du Théâtre national de Strasbourg, 2012, ndlr). Les dessins peignaient une réalité sociale assez sombre mais l’utilisation de cette palette de couleurs permettait de faire un pas de côté par rapport à ça.

Lors de ta résidence Astérides tu as surtout travaillé la peinture, ce qui était quelque chose d’assez nouveau pour toi ?

Oui, c’était même complètement nouveau ! Ça a commencé ici et ça s’est imposé très naturellement. C’était même un peu prémédité. Quelques mois avant d’arriver, j’avais décider d’entamer enfin ce travail de peinture en venant ici. La peinture est quelque chose autour de laquelle j’ai beaucoup tourné pendant longtemps et je pense que j’avais besoin d’un nouvel espace et d’un nouveau contexte pour mettre en place cette pratique. De façon assez intuitive j’ai essayé plusieurs fois de prendre un pinceau et d’utiliser cette technique. Ça ne m’apparaissait pas du tout comme un moyen d’expression possible, et puis ça a été mûri, mûri, mûri… 

Mon utilisation de la peinture est passée par le prisme évident du dessin, mais aussi de la sérigraphie, que j’ai dès le début envisagée comme une technique picturale davantage qu’une technique de reproduction. Puis en arrivant ici je pense que la nature de l’espace, sa taille et le contexte qui différait de mon univers quotidien m’ont vraiment donné envie de m’atteler à ce travail d’atelier. Je m’y suis confrontée de manière assez importante, j’ai découvert une nouvelle temporalité à travers la peinture. J’avais la volonté de donner une épaisseur à mon travail pictural, de développer les formats, les outils, les matières. Tout cela s’est imposé à ce moment-là comme une pratique qui avait besoin d’alimenter mon travail. Je cherche à développer une peinture qui s’appuie sur mon bagage de l’illustration et du travail du dessin, de la ligne, du signe, de l’agencement de surfaces de couleurs.

C’est vraiment comme ça que j’ai envie d’entendre et de développer cette pratique, en m’appuyant sur un langage pictural déja très fort dans mon travail, assez codifié. J’essaye de transformer cet ensemble de signes qui composent mon univers de dessin et de couleurs, de le développer en peinture en trouvant des astuces qui soient propres à cette pratique, et qui en même temps prolongent ce travail entamé avec le dessin et la sérigraphie.

 

Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon
Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon

 

Pour peindre tu utilises une technique particulière, tu projettes des images sur la toile ?

Oui j’ai choisi de projeter des images car pendant tout ce temps de résidence, l’envie de peindre est venue à partir de mes dessins, qui sont déjà des compositions picturales assez fortes. Mes dessins fonctionnent essentiellement par surfaces de couleurs sur lesquelles se juxtaposent des interventions plus graphiques voire calligraphiques.

C’est donc quelque chose qui s’apparente déjà assez bien à la peinture et ça a été comme un point de départ. L’idée de transposer des dessins en peinture en changeant un peu les cadrages, et en trouvant des compositions plus audacieuses en peinture et plus propres à l’idée du châssis, de la boîte que constitue un châssis. La projection me permet d’avoir une assurance dans le geste qui assure l’ingéniosité de la composition et qui permet ensuite de se concentrer sur le travail de peinture et de couleurs de façon plus directe. Je pense que c’était aussi une manière d’avoir une conscience des nouvelles échelles que représente la peinture parce que quand on a l’habitude d’être dans des outils plus graphiques et des formats plus petits, ce n’est pas tout à fait évident au début d’appréhender la toile et ces nouveaux espaces. Il faut prendre une distance supplémentaire avec l’outil, ne serait-ce que ne pas tenir un pinceau comme on prend un crayon près de la mine. Le geste en peinture est largement différent de celui du dessin et permet aussi de trouver autre chose.

Je crois que la projection permet ça, après ça n’a pas été non plus totalement systématique dans les peintures que j’ai réalisées ici. Je n’ai pas utilisé cette technique-là par exemple pour les joueurs de babyfoot. D’une façon générale, je l’ai un peu utilisée au début pour définir les bases des compositions, mais assez vite la peinture a été composée par travail du motif, notamment avec Gilles et le matelas-pizza pour laquelle je suis partie d’une photo. L’idée était de s’écarter du réalisme, donc très vite la projection a été mise de côté pour pouvoir se concentrer sur une invention picturale. 

Pour l’instant c’est vraiment un outil assez précieux parce qu’il me permet d’aller à l’essentiel de ce qui m’intéresse en peinture et d’enlever certaines difficultés qui ne représentent pas pour moi une labeur obligatoire. Pour certains ça pourrait apparaître comme une tricherie mais pour moi c’est juste une façon de sauter certaines étapes qui ne m’intéressent pas forcément.

Tu peins à l’acrylique uniquement ?

Non je peins essentiellement à l’huile maintenant, l’acrylique c’était vraiment au début. J’ai fait trois toiles à l’acrylique dont Stanley et Surprise Party. C’est une matière qui se rapproche plus de la sérigraphie, et c’était plus facile pour moi dans un premier temps de comprendre cette matière plastique qui a un temps de séchage plus rapide et qui correspond à certains sujets. Finalement, pour le sujet Stanley, même si j’avais réalisé cette peinture plus tard, en ayant déjà appréhendé l’huile, je resterais très contente qu’elle ait été faite à l’acrylique car elle correspond bien au sujet qui est plus pop que le reste, et elle retranscrit aussi une forme de plasticité des différents composants textiles de ce personnage. Il y a donc une adéquation avec le sujet.

Ensuite le travail de l’huile est devenu une sorte d’obsession, quelque chose de beaucoup plus plaisant que l’acrylique. En peinture, l’huile permet beaucoup plus de chose puisqu’elle met plus longtemps à sécher. On peut vraiment travailler différentes techniques sur une même toile : à la fois peindre dans le frais de la couche d’en-dessous, travailler des matières beaucoup plus épaisses, des superpositions… Sans compter les odeurs et le plaisir sensoriel assez particulier, parfois désagréable mais qui procure en même temps une sorte d’ivresse…

 

Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon
Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon

 

L’huile te permet de t’immerger dans la peinture…

Oui c’est ça, j’ai toujours bien aimé travailler des matières qui ont une odeur particulière, donnant une réalité singulière à l’espace de l’atelier. C’est un plaisir que j’avais beaucoup développé dans l’atelier de sérigraphie des Beaux-arts où j’ai passé beaucoup de temps les deux dernières années, et notamment la dernière où j’étais monitrice de l’atelier. J’avais vraiment ce plaisir à rentrer dans l’atelier et sentir l’odeur des encres, de l’émulsion, m’enivrer de cet espace donné. Les odeurs permettent aussi de se concentrer sur le travail, de donner une sorte de réalité à cet espace-temps qui commence lorsqu’on passe la porte de l’atelier et s’arrête quand on en repart.

Dans le dossier artistique que l’on a reçu lors de ta candidature à la résidence Astérides, on y trouve plusieurs dessins figuratifs de personnages aux crayons de couleurs ou feutres, ainsi que des motifs plus abstraits. J’ai l’impression qu’avec la peinture, tu arrives à mélanger les deux, à insérer ton rapport aux motifs dans des compositions figuratives, comme c’est le cas dans ton tableau Gilles et le matelas-pizza… 

Oui c’est vraiment ce qui m’intéresse en ce moment et ce que je cherche à trouver à travers la peinture donc je suis contente que tu le remarques et que ça se réalise à travers cette technique. Je vois mon utilisation de la peinture, en ce moment, comme une synthèse de tout ce que j’ai pu travailler jusque là, de tout ce qui m’intéresse et qui conduit ma démarche. Elle était parfois était un peu compliquée à mettre en avant dans des dossiers mais elle a dû plaire à Astérides puisque je suis là aujourd’hui ! En effet ce n’est pas toujours évident de rendre compte dans les dossiers des différents pans d’un travail et j’ai l’impression que la peinture permet de faire le lien…

Effectivement il y a un intérêt pour le sujet qui est revenu de manière assez forte avec la peinture alors que ces dernières années j’étais davantage dans des propositions picturales qui prenaient la forme d’installations ou de petites sculptures faites d’objets imprimés.. La figuration s’effaçait au profit d’un agencement de motifs. Je crois que là, en peinture, il y a eu une évidence dans le fait de s’intéresser à nouveau très fortement au sujet de représentation, c’est à dire d’assumer une proximité importante avec les sujets peints.

Je peins des choses qui me fascinent réellement, comme ce dos tatoué par exemple. Je suis vraiment fascinée par le fait que l’on puisse vouloir faire de son corps une peinture à ce point-là. Et en même temps ça me permet aussi de travailler un rapport aux motifs qui amène cette peinture vers quelque chose de presque abstrait avec juste ce qu’il faut de signes permettant de relier tout ça à un objet figuratif. C’est aussi l’occasion d’aborder un rapport plus théorique au sujet que je choisis, un peu plus conceptuel, comme le fait de représenter en peinture des sujets qui ont déjà une réalité peinte, une forte essence picturale dans la réalité. C’est le cas de façon assez évidente avec le dos tatoué puisque c’est une peinture sur toile inspirée d’une peinture corporelle. Il y a cette idée de la transposition qui jalonne mon travail. C’est aussi le cas avec les petits personnages de baby foot (Tu joues ?, ndlr), ou avec cette toile où le personnage a un tee-shirt imprimé de motifs (Gilles et le matelas-pizza, ndlr). Moi je viens ensuite en faire une peinture qui constitue essentiellement un agencement de motifs. C’est encore plus le cas dans une peinture représentant Picasso sur une affiche de métro où je m’amuse à le mettre en scène dans son atelier et donc à repeindre à ma façon certaines de ses toiles. Voilà, je crois qu’effectivement la peinture est une bonne synthèse de tout ça.

 

Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon
Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon

 

Après je suis curieuse de voir comment, en dehors de cette résidence qui était un temps très balisé d’une certaine façon, mon travail va se développer quand je vais revenir dans mon univers quotidien. Là c’était important que je me consacre pleinement à la peinture, que je fasse exclusivement ça, après il faut que je réussisse à la faire dialoguer à nouveau avec des projets de l’ordre de l’installation, pour travailler des mises en espaces, donner une forme de souplesse à la peinture pour ne pas toujours la contraindre dans le cadre du châssis, mais peut être la faire exister autrement sur des tissus, des bâches… J’aimerais réinvestir la notion d’installation dans un espace d’exposition mais aussi me rapprocher d’un autre type de collaborations dans le domaine du textile, vers lequel j’ai de plus en plus envie d’aller. J’aimerais énormément avoir la possibilité de travailler avec une marque ou un créateur quelconque qui m’offre la possibilité de me consacrer entièrement au motif . Mes créations pourraient devenir une matière textile et donc un motif porté d’une façon ou d’une autre.

Tu devances mes questions !

Dans l’exposition Crête à creux tu as présenté des iconographies assez variées : un homme sur la plage, des joueurs de babyfoots, un astronaute… D’où tire-tu ces personnages et plus globalement tes inspirations?

Je pense qu’elles sont très intuitives. Il n’y a pas forcément quelque chose de toujours théorique qui permette de réunir mes sujets au sein d’une d’entité. Il y a avant tout je crois un plaisir pictural très fort qui dicte mon principe de création.  J’ai de véritables coups de coeur pour des images, pas forcément établies, photographiques ou dessinées, mais des images telles que mon œil les perçoit dans l’espace, dans mon environnement. Je crois que le lien se fait avant tout de façon picturale, avec un intérêt réel, une proximité très importante avec les sujets que je choisis de représenter. Si je peins des joueurs de babyfoot c’est parce que j’ai toujours trouvé très beau ce jeu en tant qu’objet. J’ai toujours beaucoup aimé jouer d’une manière générale donc je crois que c’était assez évident de peindre ce sujet à un moment donné. C’est un petit peu différent pour Stanley par exemple : cette peinture vient vraiment d’une envie picturale. À l’origine, c’est une illustration réalisée pour la revue Influencia. Je suis allée chercher des images tirées de 2001 Odyssée de l’espace car il était question entre autre de ce film dans l’article que j’illustrais. Arrivée ici, c’était ma première peinture, j’avais envie de trouver un format qui correspondait à ce personnage, de trouver avec le vidéo projecteur un cadrage intéressant et puis de penser la peinture en conférant une présence assez forte à ce personnage qui faisait partie de mes archives personnelles d’illustration.

 

Elvire CAILLON, Gilles et le matelas-pizza, 2016, 130 x 195 cm, huile sur toile. © Elvire Caillon
Elvire CAILLON, Gilles et le matelas-pizza, 2016, 130 x 195 cm, huile sur toile. © Elvire Caillon

 

Ensuite, toutes les peintures que j’ai faites ici et d’une façon générale, les choses que je représente sont vraiment des choses pour lesquelles j’ai un vrai coup de coeur à la fois visuel et pictural. Mais en même temps, ce que représente fondamentalement le sujet m’intéresse aussi et je m’en sens proche. C’est un plaisir assez simple comme on peut avoir le plaisir de manger quelque chose ou de faire telle ou telle activité. Par exemple cette toile (Gilles et le matelas-pizza, ndlr) s’inspire d’une photo de vacances d’amis. Dès que je l’ai vue, j’ai eu l’impression de la voir toute de suite à travers mon regard de peintre : il y a eu cet agencement de motifs, je l’ai vu et je me suis dit “ce sera ma prochaine peinture”. Les mots ont presque devancé ma pensée, c’était quelque chose de très sensoriel. Pour le dos tatoué, il se trouve que c’est mon beau-frère qui est tatoué comme ça et je le vois régulièrement, notamment l’été. Quand il est en maillot de bain on voit son tatouage intégralement. J’ai toujours trouvé ça fascinant d’avoir envie, à un moment donné, de faire de son corps un véritable papier-peint. Il se trouve que ça rejoint des questions plus théoriques et conceptuelles en peinture. C’est quelqu’un que je vois régulièrement et qui me montre à chaque fois ses nouveaux tatouages comme une prouesse picturale de la part de son tatoueur. Ce qui est drôle c’est que l’on nourrit tous les deux un rapport différent à la construction d’une image : lui est époustouflé par la création que son tatoueur peut faire sur son propre corps. C’est aussi une forme d’ironie de ramener ça en peinture. La peinture pourrait être exposée en galerie où tout d’un coup, cette création de l’ordre de l’intime sera offerte au regard du spectateur. 

 

Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon
Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon

 

Tu disais que tu travaillais notamment sur les motifs de l’espace urbain. À l’occasion des ateliers jeunes publics les Petit Mercredi, tu as proposé une initiation à la sérigraphie avec tes propres dessins inspirés par la Friche et le quartier Belle de mai. Tu es aussi une observatrice des lieux que tu traverses ?

Oui je crois que c’est très important. C’est vrai que je me sens particulièrement inspirée par l’espace urbain. J’ai rarement convoqué des motifs qui seraient propres à d’autres paysages. C’est un peu arrivé ici avec la proximité de la mer qui m’a inspirée d’une autre façon. Les plages ont toujours été aussi un endroit que j‘affectionnais particulièrement car elles convoquent un certain nombre de couleurs proches de mon univers. Et puis je suis fascinée par le fait qu’on puisse trouver ça normal et même avoir envie de se mettre nus les uns à côté des autres pendant une période de l’année. Mais sinon c’est plutôt l’univers urbain qui m’inspire, peut être parce que j’ai toujours vécu en ville. Da façon assez naturelle je me suis inspirée de ce qui m’a toujours entourée.

Pour cet atelier, ça me semblait important de le contextualiser, dans le cadre de ma résidence située à la Friche et dans un quartier particulier à Marseille, qui n’est pas anodin à l’implantation et à l’histoire de la Friche. Au delà de ça, ce sont des motifs qui m’ont inspiré : il y a cet aire de jeux au rez-de-chaussée qui rappelle beaucoup de choses qui m’inspirent. Les aires de jeux font d’ailleurs partie de mes prochains sujets en peinture car elle réunissent à la fois les couleurs, les matières, les motifs, les espaces, et puis les sujets qui m’intéressent. C’est comme ça que ça s’est naturellement défini. C’est vrai qu’à la base j’avais donné dans le descriptif de cet atelier l’idée de peut-être m’inspirer du quartier, finalement je me suis concentrée sur les activités de jeux de la Friche car je trouvais cela sympa que les enfants venant directement du playground le mercredi après-midi montent et repartent avec un tee-shirt imprimé avec l’une de ses activités. C’était un clin d’œil. 

On a beaucoup parlé de ta création picturale, mais j’aimerais également revenir sur un point qui me semble essentiel dans ton travail : tu es artiste plasticienne mais tu fais aussi des illustrations pour la presse, tu as fait des collaborations pour le théâtre… Tu transposes ton travail dans différents domaines, que ce soit les arts vivants ou les vêtements par exemple…

Oui complètement. Je pense que c’est quelque chose qui n’a pas été toujours très évident à assumer parce que je suis passée par diverses institutions, que ce soit l’École Estienne ou les Beaux-arts de Paris, qui ne nous facilitent pas toujours la tâche quand on se sent un peu transversale. Il y a toujours l’envie d’apposer une étiquette, de pouvoir mettre la pratique de tel ou tel artiste dans une case très précise. Il se trouve que mon parcours cumule les arts appliqués et les Beaux-arts, associés eux à une pratique plutôt destinée à l’exposition ou en tous cas sans application particulière. Ce n’est pas prémédité, ça s’est fait au fil des années et du fait des réussites aux concours, qui ne sont pas toujours celles qu’on espérait et qui nous amènent à certains endroits.

C’est vrai que depuis que je suis sortie des Beaux-arts j’ai vraiment la volonté d’assumer ce double parcours et d’essayer de faire vivre les deux en même temps mais de la façon la plus poreuse possible. Je ne veux pas dissocier d’une part l’illustration ou les collaborations comme un travail que l’on pourrait considérer comme plus alimentaire, et d’un autre côté développer un travail d’atelier plus théorique, conceptuel, intellectuel. Au contraire, il y a vraiment un langage commun qui se retrouve dans toutes les créations. Depuis les derniers mois chez Astérides, c’est quelque chose que j’ai vraiment réussi à transformer comme une force plutôt que comme quelque chose dont je m’excusais presque à une certaine époque, car j’avais alors du mal à trouver totalement ma place. Les réseaux étant très différents, c’était difficile de faire entendre aux gens avec qui je travaillais cette double, triple, quadruple casquette, qui finalement n’est pas si multiple que ça. Je pense que c’est assez français de voir les choses comme ça. Selon moi quand on est créateur ça fait parti de l’essence de l’artiste de s’exprimer dans différents domaines. Être artiste ce n’est pas seulement une pratique c’est aussi un état d’esprit, un mode de vie. C’est normal que ça se représente dans différents contextes. C’est en tous cas quelque chose que je défends totalement maintenant et j’espère pouvoir continuer à travailler de cette façon-là : faire circuler mon travail un jour dans l’édition, le lendemain au théâtre, le surlendemain dans des espaces d’exposition ou encore dans le textile…

Je pense que cette année m’a apporté une confiance plus importante J’ai pas mal travaillé comme illustratrice et pour des collaborations diverses, mais c’est aussi la première résidence d’artistes que je fais et qui m’a permis de donner une ampleur à mon travail d’atelier, de construire une démarche plus solide et plus appuyée. Je crois que je vais repartir d’ici vraiment forte de tout ça et avec la conviction que c’est l’essence et la particularité de mon travail, et que je veux continuer à le développer dans ce, enfin dans ces sens-là !

Quels sont justement tes projets après ta résidence, tu as des choses qui se profilent ?

Oui, justement dans le cadre de ce projet de faire vivre l’illustration et la collaboration au sein de mon travail d’atelier et vice-versa, je reprends possession de ma place au sein d’un atelier collectif à Montreuil et j’ai dans le même temps un projet qui se concrétise, une collaboration avec la marque Agnès.b pour des tee-shirts. Je vais aussi postuler à des espaces comme la Villa Belleville ou le Doc qui me permettraient de prolonger la relation à l’atelier telle que je l’ai vécue ici, c’est à dire en ayant un espace de travail personnel qui me permette une vraie concentration, et en même temps, avoir juste à côté d’autres artistes qui ont leurs propres espaces, et que cela permette un dialogue, des collaborations, des expositions, une mise en commun de matériel de sérigraphie par exemple mais aussi une visibilité du travail car ces deux espaces sont en train de constituer une vraie scène artistique pour notre génération. C’est quelque chose que j’ai eu l’impression d’éprouver ici et que j’aimerais bien continuer d’éprouver à Paris. 

Au printemps, j’animerai un whorshop d’une semaine à l’école Estienne autour du spectacle Le Petit Chaperon Rouge de Joël Pommerat, qui aura lieu au théâtre des Bouffes du Nord à Paris, au mois de mai. L’idée est de faire travailler les étudiants sur des créations visuelles qui seront exposées sur les vitrines du théâtre pendant toute la durée du spectacle. Il s’agit de travailler sur l’imaginaire que les étudiants peuvent développer autour de cette pièce. Ils devront créer avant de voir véritablement le spectacle, même s’ils auront sûrement quelques captations puisque c’est une reprise.

Propos recueillis par Laëtitia Toulout.

 

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Visuel de présentation : Vue de l’atelier Astérides occupé par Elvire Caillon, décembre 2016. © Elvire Caillon