[ENTRETIEN] FATIHA SELAM

[ENTRETIEN] FATIHA SELAM

« L’art, c’est tomber amoureux tout le temps. Chaque exposition est l’occasion de revivre ce moment intense de découverte. » Fatiha Selam

Après avoir vécu 7 ans en Arizona, Fatiha Selam est revenue à Paris et a fondé sa galerie rue Chapon, il y a maintenant 4 ans. Ouvrir son propre lieu a avant tout été pour elle une véritable aventure humaine faite de rencontres et de découvertes, parfois ponctuée de doutes, mais toujours portée par un enthousiasme sans faille. Fatiha Selam a la force de ceux qui ont vécu à proximité du désert, une force qu’elle communique avec passion à tous ceux qui passent la porte de sa galerie.

Quelle a été ta première rencontre avec le milieu de l’art ?

Je suis née et ai grandi en Savoie, dans un milieu plutôt modeste, de parents issus de l’immigration. Après avoir terminé le lycée, je suis partie à l’aventure aux États-Unis. J’y suis restée sept ans. J’ai eu l’opportunité de rencontrer Victoria Boyce, une femme incroyable, qui ouvrait sa deuxième galerie d’art. À l’époque, je ne connaissais absolument pas ce milieu.

Comment a débuté ta carrière de galeriste ?

Je n’ai jamais pensé qu’un jour je serais galeriste. Après avoir rejoint la galerie de Victoria Boyce, j’ai découvert les œuvres de Stephen Schultz et ai tout de suite su que j’allais devenir galeriste. J’ai aussi compris que ce métier était pour moi la conclusion d’une quête intérieure.

Qu’est-ce qui t’a séduite dans le milieu de l’art ?

C’est un milieu magique où l’on se découvre et où l’on apprend tellement au contact des artistes, des collectionneurs et des autres galeristes. Même si tout est décortiqué au niveau esthétique et philosophique, l’art est avant tout un concentré d’émotions qu’en tant que galeriste, je permets aux amateurs de découvrir.

Quand as-tu décidé d’ouvrir ta propre galerie ?

Après avoir été assistante de galerie pendant un an et demi, et alors même que je n’étais pas diplômée de l’enseignement supérieur, j’ai été promue au statut de directrice. C’est sans doute cela, le rêve américain ! J’ai compris à ce moment-là qu’un jour j’ouvrirais ma propre galerie pour créer, d’une certaine manière, mon propre monde, mais je ne savais pas encore si je souhaitais m’établir aux États-Unis ou en France. Finalement, je suis rentrée à Paris où j’ai d’abord travaillé cinq ans dans une galerie à Saint-Germain-des-Prés.

 

Vue de l’exposition A Hot Mess du 05 septembre au 17 octobre 2015, première exposition personnelle en France de l’artiste néo-zélandais André Hemer. © Galerie Fatiha Selam.
Vue de l’exposition A Hot Mess du 05 septembre au 17 octobre 2015,
première exposition personnelle en France de l’artiste néo-zélandais André Hemer. © Galerie Fatiha Selam.

 

Quelles difficultés as-tu rencontrées lors de sa création ?

Quand je me suis installée rue Chapon à Paris, je ne connaissais pas le marché de l’art français, ni les galeries du quartier du Marais. J’ai mis du temps à trouver mes repères, à pouvoir m’exprimer. J’ai d’abord exposé certains artistes de ma connaissance, sans trop oser aller plus loin dans mes choix. Je cherchais tant à m’intégrer, que je ne faisais pas attention à ce que je voulais réellement. J’ai mis une année à me libérer de la pression que je m’imposais et à me faire confiance. J’ai compris qu’il faut rester fidèle à soi-même et à ses goûts et toujours être honnête vis-à-vis des artistes et des collectionneurs. Mais je suis toujours en train de me découvrir, je grandis en même temps que la galerie.

« Ouvrir ma propre galerie a été un choix de vie, un investissement et un engagement total. »

Comment définirais-tu l’identité de la galerie ?

L’identité de la galerie s’est d’abord construite avec des coups de cœur. Je pense à ma rencontre avec les œuvres de John Hodgkinson (JJ Lincoln), qui n’a que 24 ans, de Jörg Gessner, ou de Daniel Pontoreau, des travaux à la forte dimension spirituelle et poétique, qui produisent une réaction quasi-physique.

« Sans chercher à créer un contenu trop intellectualisé, j’ai souhaité que la galerie nous invite au questionnement, qu’elle soit un lieu où l’on peut se retrouver, où l’on peut ressentir des émotions. »

Je suis confortée dans mes choix quand je vois à quel point collectionneurs, amateurs et critiques s’intéressent aux oeuvres que j’expose. Les artistes, même s’ils utilisent des médiums différents, ont quelque chose de commun dans leurs quêtes.

 

Vue de l’exposition Le roman d’une feuille blanche - Chapitre I du 06 septembre au 18 octobre 2014, première exposition personnelle de Jörg Gessner © Galerie Fatiha Selam.
Vue de l’exposition Le roman d’une feuille blanche – Chapitre I du 06 septembre au 18 octobre 2014,
première exposition personnelle de Jörg Gessner © Galerie Fatiha Selam.

 

Se ressent une forme de symbiose, de pureté dans les oeuvres que tu exposes…

Une oeuvre d’art a ce pouvoir de capter l’attention, parfois pendant plusieurs minutes, d’une personne angoissée ou surmenée. C’est une invitation à contempler, à se voir intérieurement et à entrer dans un temps d’apaisement.

Une dimension spirituelle que l’on retrouve dans des travaux relevant pourtant d’une grande technicité…

Si le premier rapport avec une oeuvre est purement émotionnel, je découvre en parlant avec les artistes combien il est souvent difficile de faire en sorte qu’elles nous touchent profondément. Il est essentiel pour moi d’admirer les artistes, de les placer sur un piédestal. Je suis le témoin de cette relation incroyable entre l’amateur d’art et l’artiste.

Comment définis-tu cette relation ?

C’est pour moi une invitation à entrer dans le temps de l’oeuvre. Il y a un côté essentiel dans les oeuvres de Jörg Gessner, Daniel Pontoreau, André Hemer ou Stephen Schultz qui a été mon premier artiste. Pour avoir vécu dans le désert de l’Arizona, je ressens toujours cette force, là où elle se trouve. Nous vivons dans un monde très dur, ravagé par les conflits. Nous créons chacun notre propre cocon. Si certaines galeries font le choix de perturber le visiteur, de susciter chez lui des interrogations d’ordre sociologique ou politique, ce n’est pas mon parti pris, ma sensibilité. Je veux rester dans la dimension du beau, de la paix. Il y a de la beauté en toute personne ; j’en ai eu la preuve en rencontrant des gens formidables qui m’ont aidée dans chacun de mes pas.

Entretien initialement publié dans la Revue Point contemporain #2 – septembre-octobre-novembre 2016

Visuel de présentation : Vue de l’exposition Light and Form du 21 novembre 2015 au 20 février 2016, première exposition personnelle en France de l’artiste américaine Sophia Dixon Dillo. © Galerie Fatiha Selam.

 

Infos pratiques
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon 75003 Paris, France.
09 83 33 65 69

www.fatihaselam.fr