[ENTRETIEN] Galeristes fondateurs de Satellite Spirit

[ENTRETIEN] Galeristes fondateurs de Satellite Spirit

Au moment des grandes foires de Londres, Paris ou Bâle, seuls les ténors du marché de l’art font l’actualité. Cette effervescence et cet engouement exclusivement tournés vers les valeurs sûres, ne révèlent rien du vaste univers de l’art contemporain et de sa partie émergente. Qu’à cela ne tienne, comme l’exprime la galeriste Valerie Delaunay  » il existe tout un monde en dehors de la Fiac, de Frieze et de Bâle !  » Quatre galeristes ont donc décidé d’aller de l’avant et de porter haut leurs efforts pour soutenir la jeune création contemporaine. Ils inaugurent du 08 au 11 décembre, un tout nouveau salon d’art contemporain en invitant une douzaine de galeries à exposer l’œuvre d’un de leurs artistes. Un salon ouvert sur les fondations, les résidences et les éditeurs qui se veut l’expression de la mutation qui touche le monde de l’art. Une manifestation offrant ainsi une alternative séduisante aux collectionneurs qui portent leur attention aux artistes émergents.

Quel état d’esprit voulez-vous mettre en avant avec Satellite Spirit ?



Anne-Françoise Jumeau (Progress Gallery) : Nous avions la volonté de nous retrouver tous les quatre et de travailler sur un projet commun. Nous échangions ensemble régulièrement et nous sommes aperçu que nous vivions les mêmes expériences.

Mireille Ronach (Under Construction Gallery) : Souvent, lorsque nous nous rencontrions pour échanger sur notre quotidien de galeristes, nous évoquions notre désir de créer un événement où nous pourrions nous retrouver et qui serait à notre mesure. Quand le projet Galeristes a été annoncé, nous nous sommes sentis immédiatement concernés. L’idée d’engagement pour un métier qui nous occupe à 200% nous touchait personnellement. Financièrement parlant, nous ne pouvions malheureusement pas prendre part à cette première édition mais cette initiative nous a beaucoup inspirés pour proposer une manifestation complémentaire.

Valérie Delaunay (Galerie Valérie Delaunay) : L’important pour nous galeristes est de mettre l’accent sur l’esprit de partage qui nous anime tous et qui est de tous les instants.

Simon Cau : Satellite Spirit est né d’un échange entre jeunes professionnels qui ressentaient le besoin de dialoguer pour être moins isolés et qui avaient envie de travailler à plusieurs. C’est cet esprit d’ouverture, de coopération et d’expérimentation qui est devenu l’ADN de Satellite Spirit.

N’y a-t-il pas, du fait que votre programmation et vos lieux soient distincts, une forme d’isolement dans l’exercice de ce métier de galeriste ?

V. D. : Nous vivons une même aventure chacun de notre côté avec souvent les mêmes joies et les mêmes déconvenues.

M. R. : Le travail de galeriste est souvent difficile. Nous sommes fragiles et avons besoin d’un soutien. Nous nous sommes dit que c’était le moment de prendre la parole et d’expliquer en quoi consistait notre activité de galeriste et de la défendre car nous sommes un maillon important de l’art contemporain.

A.-F. J. : Nous nous sommes dit aussi que les autres galeristes devaient eux-aussi avoir besoin d’échanger, et de travailler collectivement, et que notre cas ne devait pas être isolé. Nous avons aussi, à ce moment des grandes foires, toujours ce sentiment qui nous pique de ne pas avoir la dimension suffisante pour y participer.

S.C. : On le voit bien aujourd’hui, dans un contexte de concurrence accrue et de situation économique délicate, il devient de plus en plus difficile pour les petits acteurs aux structures légères de consolider leur activité et de survivre. Il n’est pas anodin que plusieurs galeries pourtant bien en vue aient choisi récemment de fermer leur espace et de changer d’activité principale. Pour répondre à ces temps compliqués et palier à cette forme d’isolement, on voit naitre de plus en plus d’initiatives de rapprochement comme « Passage Pas Sage », « Un dimanche à la galerie », le « Brunch entre galeries » ou encore à l’été dernier les « Sessions » d’invitations de la galerie Backslash à d’autres galeries. Satellite Spirit s’inscrit elle aussi dans cette démarche d’ouverture et de collaboration.

Comment définiriez-vous votre activité de jeunes galeristes ?

M. R. : Nous sommes des défricheurs qui vont sur le terrain, qui parcourent les ateliers d’artistes.

V. D. : Il est important pour nous d’aller hors des lieux convenus, et même si nous aimons aussi voir des œuvres connues, nous savons qu’il en existe d’autres qui n’ont pas encore été montrées au public. Nous sommes curieux de nouvelles formes d’émergence. Ce qui nous intéresse et nous anime est de découvrir de nouveaux talents et de montrer leur travail.

A.-F. J. : De nouveaux formats se mettent en place comme des lieux autogérés tels DOC, Les Grands Voisins qui regroupent de nombreuses associations qui promeuvent l’art contemporain, des résidences très actives comme Astérides et La Villa Belleville ainsi que de nombreux Artist-Run Spaces. C’est quelque chose d’assez innovant que les galeries sortent de leur coquille et qu’ensemble nous essayons, dans tous les sens du terme, de créer du lien.

S.C. : Il y a dans la conception que nous nous faisons de notre métier de jeune galeriste une vision commune d’un engagement passionné. Cette vision se retrouve tant dans notre accompagnement quotidien des artistes que dans notre relation aux publics. Personnellement, je vois ma pratique comme un moyen de permettre aux artistes d’expérimenter et aux visiteurs de découvrir leurs créations dans des espaces toujours différents.

À quoi fait référence le nom Satellite Spirit ?

V. D. : Le nom de Satellite Spirit a été choisi pour de multiples raisons. La principale, est qu’aujourd’hui les petites galeries gravitent autour d’un noyau dur de grosses galeries qui représentent l’essentiel du marché de l’art contemporain. Ce marché est soumis à certaines règles notamment financières qui ne sont pas pour nous les plus importantes car il repose pour beaucoup sur des principes de spéculation. Même si la vente est une donnée cruciale pour poursuivre ce métier et en vivre, elle n’est pas pour nous l’objectif premier et ne traduit en rien notre passion pour l’art contemporain. Nous considérons que nos intérêts vont au-delà des préoccupations actuelles du marché de l’art !

S.C. : « Satellite Spirit » renvoie tout d’abord à la volonté de redéfinir la création artistique comme centre de gravitation qui anime chacun des électrons satellites que nous sommes. Il évoque aussi l’idée de rassembler différents éléments partageant un même esprit de corps pour dessiner une constellation inédite.

A.-F. J. : Nous avons besoin des collectionneurs pour que les artistes et nous-mêmes subsistions, mais nous ne voulons par résumer notre activité à un acte marchand, car il est fondé sur le partage d’un même intérêt commun, et c’est sur ce point que nous devons innover en créant un nouvelle forme de manifestation qui se situerait entre le salon et l’exposition collective.

M. R. : Le terme de Satellite exprime aussi ce besoin de sortir de nos galeries et de nous rassembler autour d’un événement commun.

Et même de l’exporter ?

M. R. : Le but premier de ces événements est d’inciter les gens à revenir en galerie en leur montrant le travail considérable fait en amont par nous professionnels de l’art pour donner aux artistes le moyen de s’exprimer pleinement à travers des expositions personnelles…

V. D. : … mais nous aimerions vraiment que ce salon puisse voyager en Europe et même s’exporter sur d’autres continents. Il y a par exemple en Afrique en ce moment une belle effervescence et il serait vraiment intéressant de s’associer avec des galeries africaines.

A.-F. J. : Un de nos objectifs est de déplacer Satellite Spirit en mars prochain à Bruxelles à l’occasion d’Art Brussels.

S.C. : En fait, l’idée avec Satellite Spirit n’est pas de réaliser un « one-shot » ou un événement annuel régulier mais plutôt de constituer une sorte de collectif de galeries partenaires qui, en unissant leurs ressources financières, leurs réseaux et leurs idées, deviennent plus fortes et peuvent ainsi concevoir des projets indépendants plus ambitieux en France et à l’étranger.

Comment avez-vous décidé de vous unir ?

S.C. : Très vite lors des premières réunions il nous est apparu inévitable de fonctionner à partir d’une structure commune.

V. D. : Nous avons décidé de créer une association à but non lucratif. Une structure associative qui, à la différence d’une société dont la hiérarchie est fixée dès le départ, peut sans cesse grandir, s’allier avec d’autres associations.

A.-F. J. : Créer une association nous permet de fonctionner à un coût très bas et de diviser par 10 la participation demandée aux galeries qui se situe habituellement entre 6 000€ et 15 000€ pour un stand.

Qu’allez-vous proposer au public pour cette 1ère édition de Satellite Spirit ?

A.-F. J. : Nous voulons un événement à échelle humaine, et ainsi éviter le caractère parfois écrasant de certaines foires. Une foire est de qualité quand on sent une unité entre les galeries exposantes et qu’elle favorise une atmosphère de partage autour d’un dénominateur commun qui est l’art contemporain.

M. R. : Nous avons fait le choix d’un espace très chaleureux, réparti sur trois niveaux, avec une grande verrière, qui a été pendant longtemps une galerie d’art.

V. D. : Nous voulons mettre en place une nouvelle forme de monstration en proposant un format qui est plus proche de chacun de nous, davantage en résonance avec ce que les gens ont envie de voir aujourd’hui.

A.-F. J. : Le salon est sous le modus operandi de l’exposition, chaque galerie participante propose l’œuvre d’un ou deux artistes. Afin de donner une unité à l’ensemble, nous avons invité le curateur Théo-Mario Coppola qui a choisi la thématique « Antique Future ». L’espace d’exposition sera ouvert pour éviter ce cloisonnement que l’on retrouve dans la plupart des foires, tout en mettant en avant les particularités de chacune des galeries invitées.

V. D. : Au stand cloisonné, figé, aux foires bâties sur le même modèle, nous voulons substituer une alternative qui nous permet d’être plus proche des visiteurs.



Quels seront les autres invités de Satellite Spirit ?



V. D. : Tous les acteurs du monde de l’art pourront s’exprimer lors de cet événement au travers de talks. Nous avons invité de nombreux intervenants, qui de près ou de loin, l’animent : du curateur à l’éditeur en passant par les fondations d’entreprise, les résidences et aussi bien-entendu, ceux qui jouent un rôle essentiel dans son équilibre, les collectionneurs.

A.-F. J. : Des intervenants qui pourront bien-sûr échanger, et c’est tout l’intérêt, avec le public.

M. R. : Le but est aussi de fédérer des gens que l’on ne retrouve que rarement dans les foires comme les galeries nomades, les plateformes de vente en ligne et des agences de conseil en art.

S.C. : Et bien sûr, Satellite Spirit invite tous les publics amateurs et curieux à venir découvrir la jeune création artistique ! L’entrée sera libre et gratuite pour tous.

Qu’espérez-vous de cette initiative ?

V. D. : Nous vivons un véritable tournant pour l’art contemporain et je suis sûre que cette aventure, même si elle ne fait bouger les forces en présence que d’un millimètre, ouvrira de nouveaux horizons.

M. R. : Nous sommes en période de forte évolution, les formats changent et les métiers évoluent. Il est important d’échanger sur cette mutation importante du monde de l’art.

S.C. : J’espère que ce premier événement posera les jalons de nombreuses autres collaborations. En tant que galeriste nomade, je rêve que cette structure nous offre davantage de flexibilité et de mobilité pour aller à la rencontre des différentes scènes internationales.

 

Visuel : Eliott Paquet, The space between us, courtesy of Aleph Projects (2016)

 

Pour en savoir plus sur le salon :
[PARTENARIAT] Satellite Spirit

Pour en savoir plus sur l’exposition :
[AGENDA] 08→11.12 – Antique Future – Satellite Spirit – Salon d’art contemporain – Espace marais.marais Paris