[ENTRETIEN] Maude Maris

[ENTRETIEN] Maude Maris

« Je me considère comme une peintre concernée par la sculpture. » Maude Maris

Les travaux de Maude Maris sont très souvent en lien avec le lieu où ils sont réalisés. L’artiste, tout en suivant un protocole bien défini, aborde sans cesse de nouveaux centres d’intérêts, explore de nouvelles thématiques. Elle construit autour d’une image, d’un motif, une série de tableaux que des objets à l’apparence banale lui permettront de reconstituer sur le principe du « carambolage » par association de formes, de couleurs ou d’idées. Un travail, entre peinture et sculpture, qui ne cesse de surprendre.

Peux-tu nous décrire ton processus de création ?

Je commence par prélever de petits objets ou figurines du quotidien, mis au rebut ou que l’on me donne, que je moule en plâtre. Des objets complètement kitsch de la culture populaire, que je décapite et qui deviennent tout d’un coup des références sérieuses à la statuaire grecque. Mes peintures sont composées à partir de photographies de ces moulages mis en scène. 
Si au départ, il y avait un certain hasard dans mes récoltes d’objets, je cherche à présent des éléments précis pour reconstituer des images ou des espaces que j’ai en tête ou que j’ai relevés dans des livres, comme le tombeau de Toutânkhamon dont j’ai cherché à restituer les imbrications lors de la résidence Saint-Ange à Seyssins en 2015.

Quelle place tient la question des origines ou de l’antique dans ton travail ?

En fonction des images à partir desquelles je travaille, je peux être dans une dimension archéologique renvoyant tout autant aux origines de la vie, de l’architecture, mais aussi de l’art avec cette fascination pour l’antique. Universelle, elle a toujours hanté les artistes qui la réactualisent en permanence. J’y fais allusion par l’emploi dans mes peintures de drapés et d’objets évoquant des vestiges. Le rapport au Romantisme est neutralisé par le caractère artificiel du traitement et de l’arrière-plan.

 

Maude Maris, Trois figures, 2016. Huile sur toile, 160 x 130 cm. Photo : Rebecca Fanuele. Courtesy Galerie Gounod Paris.
Trois figures, 2016. Huile sur toile, 160 x 130 cm. Photo : Rebecca Fanuele. Courtesy Galerie Gounod Paris.

 

Peut-on dire que tes peintures naissent d’une première phase de modélisation d’un décor ?

La modélisation 3D n’a été qu’un très court passage dans mon travail. Elle m’a permis, à un moment donné, de prendre conscience de ce qu’était un espace en perspective et d’en étudier la lumière, les ombres portées, les murs et la manière dont il se modifie quand j’y place des objets.  Matérialiser toutes ces questions rappelle aussi les gestes liés à l’enfance. Un aspect que j’ai évoqué lors de mon exposition à Rennes en 2015 où je parlais de l’empilement, de l’équilibre. Il y a des similitudes entre la maison de poupée de l’enfant, ses jeux de constructions et les maquettes des architectes : la nécessité d’une vue globale. Une dimension ludique propre à l’enfance que je retrouve en organisant les moulages sur la table studio de mon atelier.

Comment rends-tu compte de la présence des objets dans tes peintures ?

Je recherche consciemment à retrouver la physicalité du moulage d’origine. C’est ce qui renvoie ma peinture à la sculpture avec les questions du poids, de la matérialité,  de la consistance. Ces effets de présence sont néanmoins modulés, car la problématique du faux est toujours persistante. Non seulement on peine à identifier dans les peintures des objets qui semblent artificiels, mais la plupart du temps, ils sont au départ eux-même des représentations factices de la nature.

Comment peinture et sculpture dialoguent-elles dans ton travail ?

Dans mes influences, mes références, mes lectures, l’architecture et la sculpture ont toujours été présentes et pourtant je fais de la peinture. Si je ne cesse de faire des allers-retours entre les deux, les voies de traverse que j’emprunte en faisant des installations et des sculptures, finissent toujours par nourrir ma peinture. 

Le reflet participe-t-il à cette mise en volume de l’objet sur la toile ?

Le reflet permet de prolonger la verticalité dans le sol, de créer une autre dimension dans l’espace. Dans la série présentée au VOG Fontaine, c’est l’intégralité de la construction qui se reflète, donnant un caractère plus frontal au tableau et plus de légèreté. Alors que certains éléments semblent peser, d’autres sont comme en lévitation. Le reflet est parfois doublé d’un changement de point de vue, comme dans le diptyque « Voltes », où l’on voit la même structure tournée à 180 °.

 

Attique, 2015. Huile sur toile, 190 x 130 cm. Photo : Aurélien Mole. Courtesy Galerie Isabelle Gounod.
Attique, 2015. Huile sur toile, 190 x 130 cm. Photo : Aurélien Mole. Courtesy Galerie Isabelle Gounod.

 

Tout comme le reflet, les jeux de lumière participent à donner corps au motif représenté…

La lumière me permet de détacher les volumes sur l’arrière-plan du tableau qui est souvent indéfini et de suggérer une perception particulière de l’espace. Elle n’est jamais là pour elle-même, mais pour rendre l’objet peint plus concret.

« C’est par le contraste entre un fond lisse et des figures traitées de façon plus ou moins opaques que celles-ci acquièrent leur poids. »

Sculpture et peinture cohabitent à présent même dans l’espace d’exposition…

Lors de ma résidence à Grenoble, j’ai travaillé sur des sculptures que j’ai confrontées aux tableaux. Plus qu’une simple mise en dialogue des médiums, j’ai travaillé mes sculptures comme des peintures en les trempant dans des encres. Les médiums se font sans cesse écho et c’est comme cela que se construit mon travail. La question était de savoir comment de petits moulages pouvaient être transposés à une autre échelle dans le domaine de la sculpture.

Une mise en parallèle qui, comme le titre de tes oeuvres, change la perception des objets représentés…

C’est vrai, j’utilise parfois les titres pour détourner l’interprétation du spectateur. Ils arrivent toujours après la réalisation du tableau, selon la lecture que j’en fais une fois terminé. Certains titres peuvent contenir des énigmes comme pour l’Exploratrice, qui peut être compris comme faisant référence à des ruines archéologiques mais qui en fait provient du nom d’une petite figurine célèbre. Le titre est un peu le dernier coup de pinceau qui oriente ou désoriente le spectateur par une association d’idées ou une énigme.

Entretien publié initialement dans la revue Point contemporain #2 disponible ici : http://revuepointcontemporain.bigcartel.com/product/revue-point-contemporain-2

 

Visuel de présentation : Voltes, 2015. Huile sur toile, 190 x 270 cm. Photo : Aurélien Mole. Courtesy Galerie Isabelle Gounod.

 

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