ROMUALD JANDOLO

ROMUALD JANDOLO

ENTRETIEN / Romuald Jandolo à l’occasion de l’exposition « Je me sens comme sur un lit de roses », hors les murs du FRAC Champagne-Ardenne, jusqu’au 11 décembre 2020, Centre d’art contemporain Passages, Troyes

par Leïla Couradin

LC : Fortement marqué par le monde du spectacle dans lequel tu as grandi, le cirque est une thématique récurrente dans tes installations, performances, dessins et vidéos, où l’on retrouve le chapiteau et l’odeur des copeaux de la piste, les costumes et les sourires parfois grinçants de clowns et autres acrobates ou encore la cage des fauves et les fouets des dresseurs. Comment abordes-tu le cirque dans ta pratique ? Plus largement, quels en sont les aspects qui t’intéressent ?

RJ : J’ai grandi dans un cirque, je me pose souvent la question « d’où l’on parle » et de la légitimité quant à l’utilisation d’un vocabulaire formel traitant de notions qui me sont personnelles comme l’exotisme notamment. Je m’intéresse également de très près aux questions postcoloniales, même si je ne porte pas sur mon visage mes origines de voyageur1. Le colonialisme est historiquement lié à l’exotisme qui, dans les arts comme dans la littérature, est apparu au début du XXème siècle, au moment de la décroissance de l’extension coloniale des puissances européennes. Depuis les années 80, il y a un nombre important de recherches artistiques sur les questions postcoloniales et je crois qu’une partie de mon travail s’inscrit dans cette démarche.

Par ailleurs, j’utilise dans mon travail une esthétique propre au spectacle et au cabaret, certains critiques d’art veulent alors me ranger dans la catégorie « artiste queer » ou « artiste homo », hélas les choses ne sont pas aussi simples. Peut-être est-ce parce que le monde carnavalesque que j’évoque est un univers où la frontière entre le masculin et le féminin est très fine, où le curseur de « normalité » se déplace. Plus largement, je m’intéresse aux représentations stéréotypées de l’altérité et je ne veux pas que mon travail ne soit lu que par le prisme de mes origines, de mon genre ou de ma sexualité.

LC : En littérature, en musique et dans les arts visuels, le cirque porte une attention particulière aux marginaux, aux bouffons, aux saltimbanques et autres personnages comiques et extravagants. Peut- on voir, dans les clins d’œil omniprésents à ces personnages, une recherche constante et autobiographique sur les notions d’identités mouvantes et multiples construites dans un univers où tout n’est que spectacle et artifices ?

 RJ : En effet, le cirque et le cabaret se jouent des identités avec beaucoup d’ambivalence. On y retrouve à la fois des clichés postcoloniaux, des masques, des références culturelles aussi diverses que stéréotypées : américaine avec des numéros de cowboys par exemple, ou africaine avec Joséphine Baker qui jouait avec le cliché de « la noire » dans des numéros sarcastiques où elle excellait. Fondamentalement lié à la décolonisation, le divertissement mondialisé permettait dans un moment charnière de rejouer l’histoire devant le public. Encore aujourd’hui, notre humour et notre société du spectacle sont basés sur une forme de réappropriation culturelle.

Je suis issu du nomadisme. En piste dès l’âge de trois ans, chaque jour était fait d’une nouvelle ville, de nouveaux visages, d’une nouvelle représentation. Démontage, pliage du chapiteau, et nous prenions la route vers un nouveau territoire, sans prendre le temps de s’attarder ni de s’attacher. De cette enfance itinérante il me reste notamment un paradoxe : celui d’une vie communautaire très forte, en vase presque « clos » qui à la fois transite de façon permanente dans le monde et s’en nourrit.

Dans mon travail, je m’intéresse à toutes ces ambivalences, et à ce qu’elles soulèvent concernant mon histoire et mon identité, aussi métissée que fragmentaire. Je veux m’éloigner d’une quelconque forme de communautarisme qui me rappelle parfois des ghettos effrayants, je cherche plutôt de faire du lien. Il me semble que s’il est important d’expliquer les différences et de réaffirmer les diversités, c’est aussi indispensable de travailler ensemble pour « créer des ponts » permettant de considérer et de respecter nos identités plurielles.

1 « Gens du voyage », terme administratif attribué à toutes les communautés nomades en France depuis la seconde guerre mondiale.


Retrouvez l’intégralité de l’interview de Romuald Jandolo dans le magazine CARF n°3, édité par le FRAC Champagne-Ardenne en décembre 2020. 

CARF n°3

CARF n°3
Artistes : Stephen Felton, Susie Green, Romuald Jandolo, Cathy Josefowitz 
Auteur·trice·s : Nekane Aramburu, Ludovic Delalande, Philomena Epps, Marie Griffay, Bettina Moriceau Maillard, Vincent Pécoil 
Portfolio : Stephen Felton
Conception éditoriale : Marie Griffay
Graphisme : Léa Audouze et Margot Duvivier
Typographie : Jérémy Barrault
Prix : 14 euros TTC

Romuald Jandolo, exposition "Je me sens comme sur un lit de roses"
Romuald Jandolo, exposition « Je me sens comme sur un lit de roses »
photo : Romuald Jandolo
Romuald Jandolo, exposition "Je me sens comme sur un lit de roses"
Romuald Jandolo, exposition « Je me sens comme sur un lit de roses »
photo : Romuald Jandolo

Une exposition avec les œuvres de la collection du FRAC Champagne-Ardenne de Sylvie Auvray, Anna Blessmann & Peter Saville, Tom Burr, Frédéric Coupet, Lothar Hempel, Pierre Joseph, Françoise Quardon, Apichatpong Weerasethakul