[ENTRETIEN] Théo-Mario Coppola, curateur de Antique Future, l’exposition de Satellite Spirit

[ENTRETIEN] Théo-Mario Coppola, curateur de Antique Future, l’exposition de Satellite Spirit

Un nouveau salon d’art contemporain ouvre ses portes à Paris du 08 au 11 décembre en même temps que la foire Galeristes.

Plutôt que de se positionner comme un OFF en reprenant les codes des grandes foires en un format réduit, les quatre galeries fondatrices Simon Cau, Valérie Delaunay, Progress (Anne-Françoise Jumeau) et Under Construction (Mireille Ronarch), ont décidé avec Satellite Spirit d’inaugurer un format complètement nouveau.

Ils ont fait appel pour cela à Théo-Mario Coppola, qui avec Antique Future, développe un véritable propos curatorial scénographié dans l’espace de plus de 315m2 sur les trois niveaux de l’Espace marais.marais, rue de Beauce.
Très attendue, cette première édition marque une volonté, par la présence de fondations d’entreprise, de résidences d’artistes, d’un secteur réservé à l’édition, d’ouvrir toute la diversité de l’art contemporain au public. Elle offre d’ores et déjà une alternative très séduisante au format conventionnel et quelque peu figé des grandes foires. Une première initiative, se voulant accueillante et intelligente, basée sur la rencontre et l’échange, qui pourrait donner de (bonnes) idées au monde de l’art tout entier !

Lorsque tu as été invité à être le curateur de Satellite Spirit, comment as-tu perçu cet événement ?

Satellite Spirit est un salon d’art contemporain où sera présent tout le paysage de l’art contemporain tout en proposant un choix réduit de galeries. Et, le cœur du projet est porté par quatre galeristes qui, en s’associant, ont décidé d’un commun accord de donner un nouvel élan à leur activité. Ils rompent avec la compétition et proposent de rassembler. C’est un système d’entraide et d’inter-reconnaissance. L’idée est de créer un maillage où tous les secteurs de la scène émergente confondus entrent en résonance pour parler de leurs expériences personnelles. Seront présents une douzaine de galeristes, des résidences d’artistes, des éditeurs et des fondations d’entreprise et des collectionneurs défricheurs comme Matthieu de Bézenac ou Emilie Audry, des profils de collectionneurs altruistes, proches des artistes et à la curiosité insatiable.  Leur collection n’est pas standardisée. Elle reflète un parcours, une personnalité.

Quel sera le programme de cette première édition de Satellite Spirit ?

Au programme de ce premier événement, il y aura bien sûr une exposition collective Antique Future, un cycle de rencontres ainsi que des visites de galeries et d’expositions dans Paris. Notre volonté est de réunir tous les acteurs qui participent à la vie du monde contemporain, qu’ils puissent échanger sur leur pratique et se projeter ensemble sur d’autres événements. Il n’est pas exclusif mais inclusif, et c’est ce qui fait sa particularité.

Peux-tu nous parler de la thématique que tu as choisie ?

Voilà plusieurs années que je me documente sur le duo de curateurs Tricia Collins & Richard Milazzo. Ils ont définitivement marqué les années 1980 tout en demeurant une référence discrète, presque érudite en France. Au cœur de leur pratique, il y a certes l’exposition mais également l’écriture avec un renouvellement notable de la théorie. Ils ont soutenu l’art post-conceptuel, contre notamment le néo-expressionisme. Ils ont rassemblé des pratiques diverses autour de ce courant parfois réduit au Neo Geo ou encore au Simulationism. Parmi les artistes récurrents, on retrouve Gary Stephan, Jeff Koons, Peter Halley, Olivier Mosset, Barbara Kruger, Cindy Sherman, Rosemarie Trockel, David Salle, Julian Schnabel et bien d’autres encore. Ils sont les auteurs d’innombrables expositions. The Antique Future en 1987, chez Massimo Audiello Gallery à New York présentait les œuvres de Not Vital, Lucio Pozzi ou encore Tishan Hsu. Ce qui frappe, c’est la variété, la générosité de ces expositions.

Tu procèdes donc par citation pour amorcer l’exposition ?

Le choix d’intituler l’exposition Antique Future est en effet une citation. Je travaille souvent à cette dimension textuelle de l’exposition, choisissant parfois même des références littéraires comme pour Là-Bas / Down There sur la conversion de Huysmans par l’abbé Mugnier, Le Paradis, un peu plus loin  à la galerie dix9 – Hélène Lacharmoise d’après Mario Vargas Llosa ou encore Romantisme Noir à la EXPRMNTL à Toulouse avec Vincent Lemaire et Yasmina Benabderrahmane d’après La chair, la mort et le diable de Mario Praz. J’avais aussi réalisé IDDU, un instagram take-over avec 89plus sur invitation de Hans Ulrich Obrist et  de Simon Castets, demandant au duo de curateurs italien Francesco Urbano Ragazzi de prendre en charge la partie curatoriale de ce vrai faux roman. Et puis, c’est grâce à ces mêmes amis curateurs dont j’estime beaucoup le travail que nous avons pu présenter Great Expectations, une performance d’Amalia Ulman en 2015 au My Art Guide Meeting Point à Venise, en référence à l’œuvre éponyme de Charles Dickens.

En quoi est-ce une manière de nous plonger au cœur d’une réflexion sur l’émergence ?

Je souhaitais un propos qui ait un ancrage précis, faisant référence à l’histoire de l’exposition, tout en projetant dans cette exposition une dominante dans la scène contemporaine : la tendance à une écriture dialectique de l’oeuvre. Les artistes présentés ici ont tous une méthode de travail singulière, rassemblant plusieurs temps, explorant le document, l’archive, la trace, les racines culturelles dans un contexte de nomadisme, de « créolisation » pour citer Edouard Glissant et également de croyances dans les technologies et les récits d’anticipation. Cette disparition du présent au profit d’un perpétuel mouvement entre un passé foisonnant et un futur irréel, parfois étonnant caractérise à la fois nos obsessions individuelles et nos récits collectifs.

Comment nous situons nous désormais sur cette échelle du temps ?

Nous serions désormais tous connectés, dans une forme de mer technologique, en immersion totale. Jamais totalement déconnectés, jamais tout à fait complétement concentrés sur nos gestes technologiques. Mais cette connexion se fait dans un temps qui tient déjà au passé. Nous vivons dans un présent étendu. Nous devrions parler d’hyper-présent mais c’est une notion qui est plus liée à la modernité qu’à la postmodernité. Il y a cette confusion entre ce présent hyper rapide, hyper dilaté où nous avons une foule d’informations à un instant T qu’il nous est impossible de hiérarchiser. Et d’autre part, nous vivons dans la publicité, la littérature, l’art, le cinéma, le théâtre dans des récits au futur. Un sentiment mêlé de mélancolie et de frustration nous habite. Nos désirs sont infinis alors que notre condition se fige dans le quotidien. C’est à mettre au conditionnel car internet et les nouvelles technologiques ne sont pas équitablement accessibles sur la planète. C’est un paradigme à utiliser avec précaution car certains résistent à cet usage effréné et d’autres en sont tenus à l’écart pour des raisons économiques ou politiques.

Vivons-nous dans une forme d’anticipation permanente ? 

D’une certaine manière, nous préférons ne plus penser au présent mais anticiper ce qui peut se faire demain. Dans notre culture, l’idée d’échapper à son époque par l’anticipation est de plus en plus développée. La notion d’anticipation était  dans des années 50-60 réservée à la science-fiction. Aujourd’hui même les publicitaires travaillent sur des questions d’avant-garde, de futur, de demain. La confusion entre présent et futur est permanente dans notre langage au point que l’on a l’impression de vivre déjà dans le futur. Les œuvres présentées traduiront cette esthétique du dépassement.

Comment se construit cette esthétique ?

Il est difficile de parler d’une seule et même esthétique. Il y a pluralité de formes. Elle s’effectue avec des éléments venant de l’archive et du document sont souvent narratifs. C’est un travail qui porte sur la trace. On ne peut pas parler d’une seule et même esthétique mais d’une même méthode de travail.

Les artistes avancent en créant des interstices, des espaces d’entre deux. C’est une des transformations essentielles de l’art contemporain, ce dépassement qui affirme l’hybridation, le jeu des compositions, le télescopage des formes et des idées avec la volonté de mettre en présence ce qui peut être contradictoire. L’essence des choses est le sensible.

Nous devons revenir à cette dimension première, instinctive. J’ai beaucoup pensé à la Vie Sensible d’Emanuele Coccia en construisant le propos de cette exposition qui dit très justement cet entre deux : « Nous considérons que nous sommes des êtres rationnels, pensants et parlants, et pourtant, pour nous, vivre signifie avant toutes choses regarder, goûter, toucher ou sentir le monde ». C’est un ouvrage visionnaire. Il est en quelque sorte le Georg Simmel de notre temps.

Est-ce aussi une manière de reconsidérer le passé à travers des savoirs et des pensées nouveaux ?

Comment aujourd’hui appréhender un document dans un contexte qui n’est pas le sien ? Nous sommes dans la perspective d’un passé enrichi par la compréhension que l’on en a aujourd’hui. Mais nous vivons nous-même dans un présent de vérité et nous pensons que celle-ci a une portée universelle. Or dans dix ans, nous verrons qu’elle est loin d’être pérenne car le monde est transitoire. Il est soumis à des effets de cadrage, à des situations où émergent des enjeux qui, comme la mode sont bientôt dépassés. Puis, l’histoire recommence. C’est un cycle. L’on retrouve d’une certaine manière ce questionnement de la validité de la nouveauté dans « Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ? » de Jacques Le Goff.

Tu veux dire que nous vivons dans un perpétuel décalage ?

Nous vivons aussi dans l’anticipation des technologies, et nous y mettons toute notre croyance. Je suis curieux d’en voir l’évolution. Nous sommes dans un présent sans cesse conjugué au futur. C’est quelque chose que l’on retrouve beaucoup dans l’art contemporain avec la culture très répandue du projet. Les artistes contribuent à instaurer ce futur par leur manière d’expérimenter ce qui relève d’une forme d’anticipation. Eux-mêmes utilisent des outils du futur. Pour overview effect, un projet de l’artiste française Charlie Malgat, nous avions proposé en janvier dernier un dispositif immersif, en réalité virtuelle. Je ne parle jamais de révolution numérique mais de transition numérique. Car en vérité, nous déplaçons l’objet de nos croyances.
Comment as-tu sélectionné les artistes et les œuvres ?

J’ai établi un protocole afin d’offrir un choix aux galeristes. Je n’impose pas. Je propose. Il faut pouvoir s’intégrer à cette « culture du projet » dont parle si bien Jérôme Glicenstein. L’exposition est un format collaboratif. Toutes et tous participent à son édification. On peut en être l’auteur et accepter que les choses se fassent collectivement.

Ce qui rapproche plus cet événement du salon que de la foire… 

Nous sommes au plus près de l’identité du salon et même, si nous souhaitons être plus précis, je dirais même du projet car il n’a pas de modèle préexistant. Par cette volonté de rester accessible, d’inviter d’autres intervenants du monde de l’art, de rassembler… l’esprit qu’il développe est inédit. Une des particularités est qu’il n’y aura pas de cimaises cloisonnées. Respectant l’esprit de l’exposition, les espaces resteront ouverts.

Peux-tu nous parler de ce premier moment du salon qui s’ouvre par l’édition…

Le texte est essentiel pour appréhender le travail développé par un artiste. Il est le premier et le dernier cadre. C’est ce qui permet de verbaliser une pratique. C’est aussi ce qui reste d’un projet. De manière plus générale, l’écriture doit revenir au centre des choses, être elle-même source de création et de questionnement. Eviter l’argumentation, la description au profit d’une écriture d’expression et de narration. Le public voit et comprend. Le texte doit être à la hauteur des œuvres, ce n’est pas un socle ou une notice explicative. Il donne à la pensée du mouvement. Et puis, les éditions construisent un paysage mental où les idées se répondent, les œuvres dialoguent, les personnes se rencontrent. L’édition est un vecteur de connaissance et de construction collective.

Quels types de collectionneurs suivent les artistes émergents ?

Ils sont des  « collectionneurs défricheurs ». Ils n’hésitent pas à soutenir des artistes alors que ceux-ci sortent à peine des écoles d’art. Ils se portent caution, mettent à profit leur entregent pour donner à l’artiste des contextes de présentation, soutiennent parfois en amont par des commandes. Et puis, ces mêmes collectionneurs sont insatiables. Eternels curieux, ils lisent, se documentent, rencontrent les artistes et visitent leurs ateliers, voyagent. Et, le dialogue de ces collectionneurs avec les artistes est aussi porteur que celui avec le curateur. Leur effort permanent, leurs recherches, leur présence même sont essentiels au développement de la création contemporaine.

Comment vois-tu l’avenir de ce salon ?

L’important est que le projet existe dans la durée et pour cela nous avons pensé un format susceptible de se développer et de s’exporter. Pour le moment, la plupart des galeries participantes sont françaises mais déjà certaines galeries étrangères se montrent très intéressées pour nous rejoindre dès la seconde édition. Avec cette thématique, Antique Future, j’ai voulu porter bonheur à ce salon et lui souhaiter un bel avenir !

 

 

 

Pour en savoir plus sur le salon :
[PARTENARIAT] Satellite Spirit

Pour en savoir plus sur l’exposition :
[AGENDA] 08→11.12 – Antique Future – Satellite Spirit – Salon d’art contemporain – Espace marais.marais Paris