Eve de Medeiros, fondatrice et directrice artistique de DDESSINPARIS

Eve de Medeiros, fondatrice et directrice artistique de DDESSINPARIS

Sélectionner un artiste, un galeriste, le premier encore émergent et l’autre nomade, et les inviter à participer à un salon revient à affirmer aux yeux de tous que l’on croit en eux, à l’évolution de leur carrière. C’est pressentir qu’une magie va s’opérer pendant les quelques jours que dure l’événement et plus encore pendant les années qui vont suivre. Pour que celle-ci se produise, Eve de Medeiros sait, de la même manière qu’un dessin ne ment pas, qu’il est la part première et cruciale du processus créatif, que ses choix répondent à une part intime, instinctive même. Des choix qui, comme dans le trait, ne tolèrent pas l’hésitation mais répondent à une évidence. Son expertise résulte d’une réelle connaissance du dessin, du suivi du travail des artistes et de leur parcours au fil des éditions et du temps.
DDESSINPARIS n’est pas simplement un événement annuel, mais un engagement sur le long terme auprès des artistes et des collectionneurs, et se prête tout autant à la découverte qu’à la confirmation de talents. Beaucoup d’artistes se sont révélés à DDESSINPARIS qui accueille un public toujours plus nombreux.
Eve de Medeiros a su avec beaucoup d’humilité faire de DDESSINPARIS un des salons majeur du dessin contemporain qui a acquis la confiance de galeristes et de professionnels mais aussi de collectionneurs de ce médium.

Eve de Medeiros, d’où vous vient cette connaissance du dessin ?

Je suis dans le milieu de l’art depuis près de 20 ans, et j’ai durant des années côtoyé les professionnels du dessin classique, notamment les grands marchands du dessin du XVIIIe. Un parcours qui m’a permis d’avoir une connaissance approfondie du dessin, de la feuille comme de ses formes les plus contemporaines. J’ai travaillé pour le Prix Marcel Duchamp avant de rejoindre la Fondation Guerlain pour le dessin contemporain. Avec Florence et Daniel Guerlain, j’ai participé aux prémices du Prix du dessin. Comme eux, j’avais une passion pour le dessin à un moment où celui-ci n’attirait pas comme aujourd’hui les collectionneurs. Longtemps le marché du dessin est resté complètement fermé, peinant à développer une visibilité. Le dessin restait une niche pour quelques amateurs qui ne s’intéressaient qu’à la feuille classique. Quand je faisais le tour des galeries la plupart me répondaient qu’elles ne présentaient pas du dessin, ce qui a aujourd’hui bien changé, certaines s’étant même spécialisées dans le dessin contemporain. 

Massinissa Selmani, A-t-on besoin des ombres pour se souvenir ? 2013-2015

La création du salon DDESSINPARIS répond-il à un geste engagé ?

Le dessin a toujours été pour moi la base de toute forme de création mais ce n’était pas dans l’optique du marché de lui donner la place qu’il mérite. Quand j’ai créé le salon en 2013, il existait seulement Drawing Now, peu de monde se préoccupait du dessin comme aujourd’hui. Je suis toujours très engagée vis-à-vis du dessin comme j’ai toujours été très engagée dans tout ce que je fais, c’est dans mon ADN. J’ai défendu des artistes émergents que personne ne connaissait et qui maintenant ont une belle visibilité tout comme j’ai défendu des galeries nomades. Des prises de positions qui n’ont pas été faciles car on me reprochait de présenter des galeries qui soi-disant n’en étaient pas. L’évolution du marché montre aujourd’hui qu’il n’y a pas un modèle établi et que les structures nomades ont un fort potentiel et ont autant, sinon plus, de stabilité que des galeries qui doivent payer un loyer tous les mois. Tout dépend de la manière dont le galeriste s’investit dans son projet et de sa capacité à soutenir de bons artistes. Je défends le caractère atypique du salon, le parcours de certains galeristes comme la galerie Céline Moine, ou d’artistes comme Lucie Picandet, François Réau, Massinissa Selmani qui ont fait leurs armes sur DDESSINPARIS. Ce salon a parfaitement assuré année après année sa fonction de défricheur et de passeur.

« Défendre un positionnement d’ouverture a été difficile et a suscité beaucoup de critiques, mais je vais au bout de ce que j’aime faire et de ce qui est ma passion, ce qui me demande un perpétuel engagement comme dans tout ce que j’ai fait dans ma vie.« 

Eve de Medeiros

N’est-ce pas cette insatiable curiosité qui te fait parcourir toute l’année ateliers et galeries qui concourt aussi à cette réussite du salon ? 

Le salon se prépare sans relâche toute l’année. Je ne m’accorde, exténuée, qu’une trop brève semaine de repos avant de reprendre ma prospection. Je voyage aux quatre coins du monde dans cette quête, découvrant des scènes fascinantes, comme le Mexique ou la Tunisie. Durant ces visites, je vois très vite si l’artiste sait ou non dessiner. Le dessin ne trompe pas. J’ai la chance comme avec Lucie Picandet qui en 2013 dessinait au fil sur textile de rencontrer des artistes qui ouvrent le dessin à de nouveaux formats. Je suis très heureuse que cette artiste ait été récompensée aux Révélations Emerige et soit représentée par la Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Défendre tous ceux qui ont fait sortir le dessin de la feuille classique participe à l’identité de DDESSINPARIS. En 2013, avant que ne fleurissent les foires dédiées à la scène urbaine, j’ai présenté des oeuvres de street artistes avec cette idée de fouiller l’ensemble de ce que pouvait être le dessin à un moment donné.

Dans ce rôle de passeur, tu donnes aussi aux collectionneurs cette possibilité de soutenir des artistes auxquels ils croient…

Je trouve important de tous nous engager, professionnels, galeristes et collectionneurs, auprès de ceux en qui nous croyons. Le premier geste du collectionneur est l’achat, souvent multiple, qui se poursuit aussi par un soutien aux artistes par une mise en réseau. Ces efforts conjugués aident les artistes comme Harold Guérin, soutenu par Anne Morano, qui a une exposition personnelle à La Capsule à Le Bourget1. Je suis heureuse de voir que des artistes qui ont participé à DDESSINPARIS exposent cette année à Art Paris Art Fair comme Agathe Toman avec LN Gallery, Sascha Nordmeyer avec Galerie Claudine Slotine ou à Drawing Now pour Lucie Picandet. François Réau a été mon coup de cœur en 2016, il sera présent cette année mais aussi à Art Paris avec H Gallery. Agathe Toman qui est une jeune artiste qui travaille sur des supports originaux comme des baskets ou des skates a été contactée par la production de Calogero pour son clip 1987 dans lequel elle montre ses dessins. Elle était dans la pépinière d’artistes en 2018, une section que j’ai créée il y a deux ans, qui a pour vocation de servir de tremplin aux artistes. La galeriste Céline Moine y a rencontré Arthur Novak. Un beau succès qui se confirme à présent avec un parcours plein de promesses tout comme ceux de Nidal Chamekh et de Massimissa Selmani qui y avait rencontré la responsable du département Maghreb du Centre Pompidou. Le secteur pépinière met en valeur des artistes émergents ou autodidactes en offrant un mur à des artistes à un moment de leur parcours où ils en ont besoin pour que se produise quelque chose de décisif.

L’espace Richelieu répond-il par sa configuration au caractère intime du dessin ?

Ce salon est avant tout un cabinet de dessin contemporain. L’espace Richelieu avec sa déambulation répond à cet esprit comme à celui de faire se rencontrer artistes émergents et reconnus, galeries nomades et établies comme cette année les galeries Polaris et Maria Lund. L’espace accueille 22 projets, ce qui est beaucoup pour sa superficie mais il est très bien placé à côté de la Bourse où se tient le salon du dessin classique. Je trouve important cette proximité et cette possibilité donnée aux amateurs de parcourir deux salons qui honorent toutes les formes du dessin et qui peuvent en montrer les évolutions. Beaucoup d’entre eux mêlent dans leur collection feuilles classiques et dessins contemporains.

Que nous propose cette 7e édition de DDESSINPARIS ?

Il va y avoir cette année de belles propositions avec la section pépinière, mon coup de cœur est le couple d’artistes Michel Soudée et Émilie Sévère qui travaillent sur un projet à quatre mains. Je suis très curieuse de découvrir leur production et de voir comment leurs influences, qui vont de la Chine à la Martinique en passant par Venise, vont se croiser sur un même support. J’invite aussi la Fondation Duhem, proposition non profit, et La Pommeraie qui nous emmènent vers d’autres versants du dessin avec des artistes qui, sans avoir de formation, ont un vrai talent. De même, j’accueille le projet Hubtopia de Sépànd Danesh accompagné d’Agnès Callu qui ouvrent le dessin dans des domaines comme la recherche médicale, le milieu de l’entreprise, le journalisme, etc. Un projet passionnant qui participe à porter un nouveau regard sur toutes les formes du dessin contemporain.

Une diversité de choix que l’on doit aussi de la part du Jury de sélection ?

Le Salon rassemble des personnes engagées et passionnées autour du président du jury Ronan Grossiat : le galeriste Yvon Lambert, les écrivains Boris Bergmann et Marisol Rodriguez, l’artiste Giulia Andreani, les critiques d’art Magali Lesauvage et Chris Cyrille et les collectionneuses Colette Tornier et Marie-Ange Moulongue. Des personnalités qui ont la volonté de montrer des formes de dessin hors normes parce que justement pendant trop longtemps on a voulu répondre à des attentes déjà définies. Se dessine une nouvelle génération d’amateurs et de collectionneurs qui ont envie de sortir des sentiers battus et de faire émerger à leur tour des tendances et de marquer le monde de l’art à un moment donné de leur vision. 

1 – compte-rendu d’exposition à lire sur Point contemporain :STRATES, PARTITIONS DU VIDE, EXPOSITION PERSONNELLE D’HAROLD GUÉRIN

Entretien réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2019 Point contemporain

David Supper Magnou, Panser, 2019.
Encre de chine, poudre de graphite et feuille d'or sur papier, 24 cm x 30 cm
Courtesy de artiste et DDESSINPARIS
David Supper Magnou, Panser, 2019.
Encre de chine, poudre de graphite et feuille d’or sur papier, 24 cm x 30 cm
Courtesy de artiste et DDESSINPARIS
Gladys Nistor, objet de lumière 1, 2018.
Technique mixte, dimensions variables
Courtesy artiste
Gladys Nistor, objet de lumière 1, 2018.
Technique mixte, dimensions variables
Courtesy artiste

Eve de Medeiros est fondatrice et directrice artistique de DDESSINPARIS
DDESSINPARIS – DD (Dessein & Dessin)