Exposition Attaches, Cité internationale des arts, Paris

Exposition Attaches, Cité internationale des arts, Paris

Préfigurant l’année France-Colombie sur le territoire Français, Claire Luna (historienne et critique d’art) avait assuré aux côtés de Marie Gautier (historienne de l’art, directrice associée du Salon de Montrouge) le commissariat, en juin 2016, d’un salon consacré au dessin(1) avec un focus sur des artistes colombiens. Un événement remarqué qui augurait une année riche en échanges avec une scène artistique colombienne pleine de ressources et très dynamique dans un contexte politique qui, depuis plus d’une soixantaine d’années, est très difficile. Inaugurée officiellement en décembre 2016, l’année France-Colombie se conclut avec quatre événements majeurs la Nuit spéciale Colombie au 104, les 48 heures vidéo au Jeu de Paume, le Festival Nemo et l’exposition Attaches à la Cité internationale des arts.

Claire Luna, quels sont les liens qui t’unissent à la Colombie ?

Il y a quelques années, j’ai voyagé en Colombie pour réaliser un reportage pour Art Press sur ce que l’on nommait alors « le boom de l’art contemporain colombien ». J’ai arpenté pendant deux mois tout le territoire colombien visitant les lieux d’art et enchaînant les rendez-vous avec les directeurs d’institution, les galeristes, les artistes qui pour beaucoup géraient des lieux indépendants. J’ai découvert qu’il ne s’agissait pas d’un boom, mais que cette impression de renouveau était simplement due au fait que l’Occident posait enfin un regard sur une scène artistique colombienne très dynamique et  intéressante. En rentrant en France, je suis restée connectée avec cette scène et je me suis intéressée aux artistes colombiens vivant en France. Ils incarnent véritablement un croisement des cultures. L’idée de faire une exposition est venue au fil des rencontres.

Une autre particularité de ce projet est que tu as travaillé avec des étudiants de l’IESA…

L’école a créé un an avant que ne soit inaugurée l’année France-Colombie, un département Amérique latine sous la direction de Grecia Cáceres (romancière et poète péruvienne). J’ai trouvé pertinent de lui proposer une collaboration. Cet événement est devenu un projet d’étudiants sous ma direction en tant que commissaire.

Comment décris-tu à tes étudiants la scène colombienne sachant que l’art latino-américain est marqué par un héritage très fort, de la figure de Frida Kahlo au cinétisme ?

Je leur en parle au pluriel. Je m’intéresse à l’Amérique latine depuis 15 ans maintenant. J’ai vécu longtemps là-bas, j’y ai fait des recherches que j’ai continuées à New York en travaillant notamment au Museo del Barrio, avec la galerie Josée Bienvenu et comme critique d’art pour des revues spécialisées en art d’Amérique latine. Il est devenu difficile de parler d’art latino-américain car les échanges autour de l’art contemporain sont désormais globaux et internationaux. Certaines problématiques locales sont très fortes et donnent à l’art contemporain notamment en Colombie une certaine dimension politique. C’est d’ailleurs souvent par cet unique prisme que l’art colombien est abordé en Europe.

N’est-ce pas dû au fait comme le souligne Paul Ardenne, que l’art européen a perdu toute forme d’engagement politique ?

Je crois en effet que l’on cherche à combler ce manque. Les deux dernières grandes expositions en France sur l’art en Amérique latine au Musée d’Art moderne de la ville de Paris (http://www.laviedesidees.fr/_Luna-Claire_.html) et à la Fondation Cartier étaient dominées par les questions politiques. Je me souviens avoir écrit des textes assez critiques sur ces expositions. Quand je suis allé en Colombie, j’ai voulu me forcer à regarder autre chose que ces sujets politiques et finalement je me suis bien rendue compte que la violence en Colombie est un vrai sujet, qu’elle se perpétue depuis 60 ans et qu’elle atteint génération après génération, qu’on ne peut pas la nier et qu’il est compréhensible et cohérent que les artistes s’en emparent.

Y a-t’il d’autres particularités de la scène artistique colombienne ?

Son organisation diffère de celle que l’on peut connaître en Europe. Les artistes manquant d’espace d’exposition ont créé une multitude d’espaces alternatifs avec pour caractéristique qu’ils ne sont pas soumis à une obligation de production ni d’exposition. Ce qui est remarquable est le bouillonnement d’idées, la volonté de favoriser les moments d’échanges que cela soit avec les populations, ou les artistes des pays limitrophes. C’est une scène dynamique, qui existe depuis assez longtemps et qui commence maintenant à rayonner à l’étranger et à intéresser les directeurs d’institutions, artistes, commissaires et collectionneurs du monde entier.

Dans le pluriel d’Attaches, on retrouve cet attachement à la Colombie mais aussi un lien fort avec la France ?

Ce terme est vraiment le point de départ de l’exposition car il révèle la double identité de ces artistes qui vivent sur le sol français depuis une dizaine ou quinzaine d’années et qui sont très attachés à leur pays d’origine, à leur culture et inscrivent pour beaucoup leur travail dans sa réalité colombienne. Une réalité faite de problématiques qui ne nous sont d’ailleurs pas étrangères comme le déplacement des populations, la violence, les conflits territoriaux.

Plus qu’une simple exposition, Attaches n’est il pas à considérer comme un événement dans l’année France-Colombie, avec une exposition, une programmation de cinéma, tables rondes, rencontres…

Quand nous avons été sélectionnés pour faire partie de la programmation officielle de l’année France-Colombie, l’Institut Français nous a aidé à trouver un espace et nous a mis en relation avec la Cité internationale des arts. Avec sa directrice Bénédicte Alliot, nous avons décidé d’en investir tous les espaces : la galerie, le corridor et l’auditorium. Nous avons travaillé le scénographe, designer et photographe colombien Felipe Ribon afin de donner une cohérence et une continuité aux différents espaces de la galerie qui se décline sur quatre niveaux et à l’espace du Corridor.

Peux-tu nous parler de la programmation de Attaches ?

Je voulais rendre compte de la pluralité de la scène artistique colombienne qui mobilise l’étendue des médiums artistiques en introduisant un important volet dédié au cinéma. Pendant cinq semaines, la galerie accueille une exposition réunissant une vingtaine d’artistes tandis que le Corridor sera occupé par l’exposition individuelle de Carlos Gómez Salamanca qui présente les travaux préparatoires de ses films. Trois soirées de projections et performances sont prévues à l’auditorium. Chacune sera l’occasion de rencontrer le réalisateur du film projeté et les artistes. Les cinq semaines seront ponctuées de rencontres, de tables rondes, de performances, d’ateliers.

Le terme « rencontre » semble le pivot de la programmation ?

Nous avons en effet privilégié la rencontre, avec les artistes, les étudiants de IESA, moi en tant que commissaire. Sans doute est-ce dû au fait qu’elle est motrice dans le travail de certains artistes colombiens qui vont la rencontre des populations qu’ils photographient, ou filment. À travers ces échanges se pose la question de l’altérité. Il ne faut pas oublier qu’étant résidents depuis longtemps en France, en y ayant fait leurs études, aux Beaux-Arts de Paris, au Fresnoy ou à Aix-en-Provence, de retour dans leur pays, ce sont eux cet « autre ».

Quel est le propos curatorial de l’exposition à la galerie ?

Nous l’avons mûri longtemps avec les étudiants en essayant toujours d’éviter l’écueil d’une thématisation artificielle pour montrer une scène artistique riche et diverse. Nous avons mis l’accent sur certaines problématiques qui traversent les œuvres en les laissant ouvertes afin qu’elles puissent résonner entre elles : « Double jeu » et « Jardin sauvage » sont une invitation à approcher les préoccupations actuelles de cette jeune scène.

« Double je » pose la question fondamentale de l’identité ?

« Double jeu », s’appuyant à la fois sur une double identité personnelle et culturelle introduit une notion de friction, qui sans être forcément négative, pose la question du « Soi-même comme un autre» (Paul Ricoeur). Ce désir d’évoquer l’actualité de la Colombie, ses problématiques, montre que l’expérience du déplacement conduit à poser la question de ce qui nous sépare et nous lie, nous oppose et nous compose. Cette partie « Double je » suit cette réalité des artistes en se décomposant en trois parties : la friction que nous venons de citer qui est l’expérience de l’étrangeté et de l’altérité, ensuite il y a le déplacement, forcé ou non, dans lequel s’opère une transformation ou une altération de l’identité, et enfin un troisième mouvement que constitue le motif du retour : un retour effectif ou imaginaire, fantasmé, rejoué, voire impossible et donc propice à la nostalgie.

N’y a-t-il pas dans « jardin sauvage », un autre désir fondamental, celui de trouver une terre originelle, d’union ? 

« Jardin sauvage » marque une friction, une tension : celle qui oppose une nature domestiquée par l’homme à une nature sauvage, primordiale, exempte de tout artifice. Soit on domine la nature par les armes de la culture, soit on l’adore comme matrice fondamentale et immanente. La nature est en Colombie le théâtre de violences, elle est le lieu et l’objet de discordes inouïes. La nature, prise ici par les artistes comme élément métaphorique et politique, permet cette radiographie de l’histoire de la Colombie, de la dénomination des plantes au temps de la Conquête, des luttes pour les terres, jusqu’à l’exploitation des ressources par les compagnies américaines qui ont causé des catastrophes naturelles.

(1) « Le 6b dessine son salon », du 17 au 31 mars 2017, le 6b Saint-Denis. http://pointcontemporain.com/direct-6b-dessine-salon

 

Infos pratiques

Attaches
Une exposition de la jeune scène artistique colombienne à Paris
Dans le cadre de l’Année France-Colombie 2017

Commissaire d’exposition
Les étudiants de l’IESA arts&culture sous la direction de la commissaire Claire Luna assistée de Philippine Bardi de Fourtou.

Du 07 décembre 2017 au 13 janvier 2018
du lundi au samedi de 14h à 19h.

L’exposition se tient dans la Galerie et le Corridor de la Cité internationale des arts.

La Cité internationale des arts​
18, rue de l’Hôtel de Ville,
75004 Paris

https://www.citedesartsparis.net

https://www.expositionattaches.com

 


Artistes 
Alexandra Arango, Iván Argote, Marcos Avila Forero, Chloé Belloc, Karen Paulina Biswell, Hilda Caicedo, Violeta Cruz & Léo Lescop, Raphaël Faon & Andres Salgado, Lilli García Gómez & Miguel Rojo, Carlos Gómez Salamanca, Laura Huertas Millán, Julia Maria Lopez Mesa, Ana María Lozano Rivera, Guillermo Moncayo, Daniel Otero Torres, Camilo Restrepo, Felipe Ribon, Camila Salame, Juan Soto, Ana Tamayo.

 

Alexandra Arango, Série de dessins, El pais de la canela, encre acrylique sur papier, 50 x 35 cm, 2014
Alexandra Arango, Série de dessins, El pais de la canela, encre acrylique sur papier, 50 x 35 cm, 2014

 

Ivan Argote, La estrategia, Video, 33 min 33 sec, 2012.
Ivan Argote, La estrategia, Video, 33 min 33 sec, 2012.

 

Marcos Avila Forero, Cayuco, Vidéo HD 16/9, couleur, son, 17 min, 2012.
Marcos Avila Forero, Cayuco, Vidéo HD 16/9, couleur, son, 17 min, 2012.

 

Karen Paulina Biswell, Ellas, Série de photographies couleurs, commencée en 2015.
Karen Paulina Biswell, Ellas, Série de photographies couleurs, commencée en 2015.

 

Hilda Caicedo, Note sur le territoire : poétique du déplacement, Édition composée de photographies, textes, écritures, 2017.
Hilda Caicedo, Note sur le territoire : poétique du déplacement, Édition composée de photographies, textes, écritures, 2017.

 

Violeta Cruz et Léo Lescop, Attente fluide, Sculpture/installation sonore, fontaine électroacoustique 2013.
Violeta Cruz et Léo Lescop, Attente fluide, Sculpture/installation sonore, fontaine électroacoustique 2013.

 

Lilli García Gómez, Miguel Rojo et Gaëtan Brun-Picard, All our yesterdays, Installation performative in situ, 2017.
Lilli García Gómez, Miguel Rojo et Gaëtan Brun-Picard, All our yesterdays, Installation performative in situ, 2017.

 

Carlos Gómez Salamanca, Lupus, Court-métrage d’animation, 9 min 41 s, 2016. Série de peintures, 29 cm x 17 cm.
Carlos Gómez Salamanca, Lupus, Court-métrage d’animation, 9 min 41 s, 2016. Série de peintures, 29 cm x 17 cm.

 

Laura Huertas Millán, Aequador, Vidéo HD 19 min, 2012. Production Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains.
Laura Huertas Millán, Aequador, Vidéo HD 19 min, 2012. Production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains.

 

Julia María López Mesa, Tension #2, Installation in situ, 52 kg de chutes de tissus rouges, couteau, 2017.
Julia María López Mesa, Tension #2, Installation in situ, 52 kg de chutes de tissus rouges, couteau, 2017.

 

Ana María Lozano Rivera, Lozano, Installation, dimensions variables, matériaux organiques, 2017.
Ana María Lozano Rivera, Lozano, Installation, dimensions variables, matériaux organiques, 2017.

 

Guillermo Moncayo, Echo chamber, Film couleur 19 min, 2014. Production Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains.
Guillermo Moncayo, Echo chamber, Film couleur 19 min, 2014. Production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains.

 

Daniel Otero Torres, Jardin, Vue de l’exposition Rendez-vous 15, Jeune création internationale / Biennale de Lyon, 2015.
Daniel Otero Torres, Jardin, Vue de l’exposition Rendez-vous 15,
Jeune création internationale / Biennale de Lyon, 2015.

 

Felipe Ribon, Mensa, Série de 20 tables, verre expansé, 45 x 80 cm chaque objet, 2015.
Felipe Ribon, Mensa, Série de 20 tables, verre expansé, 45 x 80 cm chaque objet, 2015.

 

Camila Salame, Maison perdue, promesses de retour, Série de 16 sculptures, techniques mixtes, 14 x 25 x 28 cm, 2013-2017.
Camila Salame, Maison perdue, promesses de retour, Série de 16 sculptures, techniques mixtes, 14 x 25 x 28 cm, 2013-2017.

 

 

Visuel de présentation : Ana Tamayo, Reconstruire une feuille, Vidéo performance, HD transféré à H264, 2 min, 2015.