Festival Jerk Off

Festival Jerk Off

PARTENARIAT / Entretien avec Bruno Péguy et David Dibilio, fondateurs du festival Jerk Off

Depuis 10 ans, le Festival Jerk Off fondé par Bruno Péguy et David Dibilio, met à l’honneur le « corps queer ».

Une décennie qui a vu se succéder déjà trois présidents de la République française qui n’ont que peu œuvré pour les cultures alternatives et ont sagement préféré affirmer un développement des modes de pensée dominants. Une société qui peu à peu s’est figée dans une certaine perception du corps, rejetant toute forme d’altérité avec un retour des fondamentalismes de tous bords, des obscurantismes politiques et religieux, de la pudibonderie comme prétextes au maintien d’un monde normé et clarifié. La tribune de Paul B. Préciado « Déclarer la grève des utérus »(1) qui évoque la pression exercée conjointement par le pouvoir et le religieux sur les femmes en âge de procréer en Espagne, analyse l’évolution de nos sociétés. Le corps est devenu l’enjeu d’une entreprise idéologique écrasante. Le Festival Jerk Off a pour ambition de bousculer ces représentations et d’en révéler les mécanismes en prônant une totale liberté d’expression artistique. S’affranchissant de tout dogme ou canon esthétique, il nous permet, par une programmation qui fait la part belle au spectacle vivant, à la performance et aux arts plastiques, d’aller à la rencontre de l’autre par l’enrichissement, la découverte et la bonne humeur.
 
 
Pour éviter toute représentation erronée, pouvez-vous nous définir ce qu’est la culture queer ?
Pour rester général, une culture queer serait une culture qui sort de la normalité, qui reste à la marge. 
A Jerk Off, on aime bien parler de sensibilité plus que de culture queer, aussi, pour ne pas s’enfermer dans une approche exclusivement centrée sur la sexualité. La sensibilité queer d’un artiste, c’est un choix de s’intéresser à des thématiques marginales, d’utiliser des mediums qui ne sont pas mainstream. C’est ainsi que nous le comprenons, et c’est ce qui guide notre programmation.
 
Est-ce dans la perspective de créer un moment où la rencontre avec l’autre serait encore possible que vous avez conçu le Festival Jerk Off ? Est-ce cet « enjeu » qui soutient encore aujourd’hui le Festival ? 
Tout à fait ! Jerk Off cherche à multiplier les rencontres, sensorielles, intellectuelles, artistiques des artistes entre eux, avec le public, les citoyens.
Le Festival Jerk Off, à sa création mais aujourd’hui sans doute encore davantage, cela doit être l’un des forums où débattre, où échanger sur des perception d’une performance. On peut être choqué, ne pas aimer, adorer au contraire telle ou telle proposition ; notre enjeu, et c’en est vraiment un, c’est de permettre à chacun d’en discuter.
L’expression, la parole, le dialogue : c’est le but de Jerk Off, de surprendre, faire réagir, ouvrir le débat.
 
À quoi fait référence l’intitulé du festival ? « Jerk Off » est-il un geste politique ?
Savez-vous que Jerk Off est un des rares termes qui veux dire la même chose chez tous les LGBTI+ ? en ce sens, Jerk Off est un geste politique. Mais on aime bien l’idée d’un festival qui ne se prend pas au sérieux, mélange les genres, va dans des directions inattendues tout se faisant plaisir.
 
Parlez-nous de ce corps (ou ces corps) au XXIe siècle que revendique et célèbre le Festival Jerk Off ?
 
Jerk Off ne revendique rien : il donne à voir, puis les spectateurs.trices cheminent, dans le meilleur des cas. Célébrer est en effet le bon terme. Célébrer non pas le corps mais les corps. Dans leur nudité, leur diversité, une diversité que nous aimerions encore plus grande au sein de cette édition, il faut le dire. Mais le programmation est le reflet d’un choix et de disponibilités à un instant T…
Jerk Off est un festival traversé par la question féministe, et donc la question du corps de la femme. A ce sujet, nous accueillons le 23 septembre à 15h, une conférence performée de Rachele Borghi (maitre de conférence à Paris 4 et activiste et militante queer) qui abordera la politisation du corps de la femme, une question sans cesse actuelle et transversale.
Parler des corps, c’est aussi montrer leur absence, leur empreinte, la persistance et leurs impressions sur la mémoire, quels que soient les genres. C’est ce que nous proposera Vincent Voillat, lors de son exposition personnelle à la Galerie Dix9.
 
Depuis la création du festival Jerk Off, quelles évolutions avez-vous ressenti dans les représentations des cultures queer et homosexuelle dans l’esprit des politiques, dans la société ?
Cela dépend toujours de quel point de vue on se place. Chez les politiques, je crois que l’urgence et la pertinence de la pensée queer n’est pas prête d’être perçue ou entendue : comment penser la complexité en politique aujourd’hui ? C’est aux politiques qu’il faut poser la question. Quand à l’évolution des représentations, je crois qu’au fond, les choses ne bougent pas tellement. Il y a eu une mobilisation au moment du mariage pour tous. Cela aurait pu être le moment de faire converger les luttes, avec les personnes racisées, avec les personnes trans. Mais non, la revendication du mariage a été capturé par le gay blanc, si l’on veut caricaturer un peu. C’est dommage.
 
Le terme « alternatif » a disparu dans le texte de présentation, est-ce à dire que la lutte est gagnée et que l’existence des cultures queer et homosexuelle sont désormais reconnues ?
Il est sur l’affiche, toujours. « Alternatif » pour dire que ce qui est montré au festival est une alternative à la pensée dominante, qui reste celle des mâles blancs hétérosexuels de 50 ans. « Alternatif » pour dire que ce qui est montré à Jerk Off, on ne peut pas toujours le voir plus tard ou ailleurs. Parfois oui mais souvent non. « Alternatif » parce qu’au fond, deux garçons qui font de la danse contact, un corps trans qui performe, une histoire d’amour entre deux femmes ou un cabaret de drag queens …. tout cela n’est pas de l’orde du mainstream et des images dominantes. Jerk Off montre donc d’autres images.
 
Pouvez-vous nous parler du programme de cette édition du festival ?
 
Nous sommes heureux de donner une place à la compagnie BIRIKEN, une compagnie turque, pour leur première date à Paris. Heureux d’accueillir les chorégraphes Mélanie Perrier et Mathilde Monfreux car la danse occupe toujours une part centrale à Jerk Off. Jerk Off qui est toujours là pour les jeunes artistes, comme le costa ricien Alejandro Flores Mora dont le corps, hyper sexualisé, sera au coeur d’une performance forte et intime à ne pas rater.
 
Propos de Bruno Péguy et David Dibilio recueillis par Point contemporain © 2017
 
 
 
 
 
 
 I shut down my heart until the apocalypse, Biriken
I shut down my heart until the apocalypse, Biriken

Farci.e, Sorour Darabi
Farci.e, Sorour Darabi
Visuel de présentation : Projet m.d., Patrick Laffont & Nicolas Guimbard

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