FLORENT AUDOYE [ENTRETIEN]

FLORENT AUDOYE [ENTRETIEN]

« Quand un commissaire d’exposition invite un artiste à montrer ses œuvres, il sait à peu près ce qu’il va se passer. En invitant un artiste à performer, il ne sait pas du tout ce qu’il peut arriver. Il faut donc qu’il y ait une grande confiance. » Florent Audoye

Les performances de Florent Audoye bousculent les cadres administratifs ou socioculturels qui nous régissent et ceux qui nous imposent notre manière d’être comme le genre et l’identité. Lors d’un moment que l’artiste veut privilégié comme peut l’être une rencontre, sa performance tisse un lien entre une invitation, un espace et un public. L’instant se doit d’être unique, loin du spectacle qui lui peut être répété en tout lieu, pour garder toute sa force et son sens. Lors du 58e Salon de Montrouge Florent Audoye a présenté des formulaires épinglés au mur, annihilant leur « importance administrative » pour les hisser au statut d’œuvre d’art. Progressivement son travail a évolué vers la vidéo et la performance, trouvant un juste milieu entre les arts visuels et les arts de la scène. Des recherches constamment évolutives qui s’ancrent dans une réalité française marquée par une dimension administrative plus développée que dans d’autres pays.

Quel est le point de départ de ton travail ?

Au départ, il y a toujours des normes, des comportements, des codes qui structurent nos corps et nos identités comme nos manières d’être. Au Salon de Montrouge en 2013, j’ai exposé une série de documents administratifs sur lesquels j’avais écrit des petites phrases de regrets de mourants telles que « Je regrette de ne pas avoir fait ce que je voulais » ou « Je regrette de ne pas avoir exprimé mes sentiments », et y avais dessiné des motifs issus d’ouvrages scientifiques ou techniques. Je voulais vraiment donner l’image que Florent Audoye est « l’artiste des formulaires ». En 2014, j’ai continué à dessiner sur des documents de conservation-restauration, des formulaires cerfa, comme pour celui de la « Déclaration européenne de services » où j’ai apposé des motifs de ferronnerie qui sont une évocation directe au château kafkaïen. Je suis issu de l’université et j’ai toujours aimé cette dimension de recherche et de documentation, quelle qu’elle soit.

Un document papier que tu finis donc par affectionner ?

C’est très vrai et d’autant plus pour le papier machine 70 grammes, utilisé dans les administrations et entreprises, qui est très fragile et que je prends soin d’encadrer, ou non. Je trouve drôle, dans notre pays qui est très archiviste et dans une société très administrée, de faire d’un papier aussi « vulgaire » une œuvre. Ces documents ont pour moi, qui ai toujours été fasciné par les artistes conceptuels comme Robert Morris, Hans Haacke, Mel Bochner, Bruce Nauman, Vito Acconci ou Adrian Piper, une valeur importante. C’est exactement ce que je présente au 6b à l’exposition « Tutoriality » où je sacralise, par un accrochage dans un espace d’art, des boîtes d’archives, des feuilles et des formulaires, un thème déjà présent dans la vidéo de ma performance Totem où je montre un personnage à genoux, en prière, devant un empilement totémique de boîtes d’archives. C’est une façon pour moi de déclarer ma fascination, sinon mon amour pour la bureaucratie.

La performance est peu à peu devenue le centre de ton travail…

…Parce que j’ai voulu mettre en mouvement toute cette machinerie, ce management qui nous gouvernent. J’en révèle le caractère absurde en les transformant en gags. J’ai toujours été fasciné par les films comme Le Dictateur ou Les Temps Modernes de Charlie Chaplin qui, d’une manière très fine, font la démonstration d’une aliénation humaine. J’ai voulu rendre compte, devant le public, ce qu’est un corps assis à un bureau. Je me suis récemment tourné vers la « vidéo-action » pour montrer comment ce corps réagit avec des objets signifiants (chaise, tampon, feuilles…) mais aussi avec les costumes de travail qui deviennent en live des costumes de scène. Tout ce travail sur l’idée d’une administration omniprésente a un rapport avec le burlesque, le carnavalesque. Ces esthétiques sont drôles et légères, elles font aussi partie de ma personnalité. Par exemple, j’admire le travail performatif de la Compagnie du Zerep, d’Arnaud Labelle-Rojoux, d’Anna Byskov ou de Laurent Prexl. Les vidéos, quant à elles, répondent à une demande car mes performances restent uniques et ne sont donc au final vues que par un nombre limité de personnes. Elles m’ont aussi permis de développer la notion de répétition du geste par la mise en boucle. Le format est volontairement très court, entre 8 et 20 secondes et je travaille aussi désormais à partir de Gifs, une façon de montrer que l’administratif est la perpétuelle répétition d’une action.

La question du genre n’est-elle pas aussi au centre de tes préoccupations ?

Elle est primordiale pour moi. Cette question m’est apparue devant des formulaires comportant les deux cases « F » ou « M » à cocher. Pourquoi ces deux seules alternatives ? Je me moque de ces stéréotypes et de tous ceux que l’on peut trouver dans nos sociétés. Je m’amuse des cravates, des talons aiguilles, de tous ces accessoires et c’est pour cela je choisis de les inclure dans une performance.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur la performance qui tu présentes à l’exposition Tutoriality au 6b le soir du vernissage ?

L’action s’appelle Demande d’autorisation de sortie temporaire d’un trésor national. C’est un formulaire existant nécessaire pour marquer la sortie du territoire français, le temps d’un prêt, d’une restauration, d’une analyse… d’une œuvre jugée comme « trésor national », et pour lequel il est possible d’ajouter une demande de prolongation. À ces formulaires, une vidéo et aux boites d’archives, j’ai adjoint un petit accessoire surprise pour le côté précieux et qui introduit là aussi la question du genre. Pour la mise en scène de la performance, je vais me représenter en un personnage agenre, faisant des gestes sur la préciosité et déclamant de courts textes de Robert Edmond Jones et d’Olympe de Gouges.

Propos de Florent Audoye recueillis par Point contemporain © 2017

 

Infos pratiques

Retrouvez Florent Audoye à l’exposition Tutoriality
Du 18 au 25 novembre 2017
Avec les artistes Florent Audoye, Anna Broujean, Valentina Canseco, Louis Clais, Johan Decaix, Arthur Debert, Marie Glaize, Claire Gonçalves, Louis Picard, Lea Rodriguez Rocha, Mathieu Roquigny, Louise Siffert.
Vernissage 17 novembre à partir de 18h

Performance de Florent Audoye à 19h

Le 6b,
6-10 quai de Seine – 93200 Saint-Denis
www.le6b.fr

 


Florent Audoye
Né en 1985 à Montpellier
Vit et travaille à Paris.

www.florentaudoye.fr

 

Totem, 2017 Performance, 10 min Chaideny, Le Plessy-Robinson Vidéo : F. Dymny (facebook en direct) Crédit photo : G. Gautier
Totem, 2017
Performance, 10 min
Chaideny, Le Plessy-Robinson
Vidéo : F. Dymny (facebook en direct)
Crédit photo : G. Gautier

 

Déclaration européenne de services, 2016 Dessin au pigment liner noir sur document cerfa n°13964*01 29,7 x 21 cm, pièce unique
Déclaration européenne de services, 2016
Dessin au pigment liner noir sur document cerfa n°13964*01
29,7 x 21 cm, pièce unique

 

The Top Five Regrets of the Dying, 2013 Écritures au fineliner bleu sur 5 documents franco-canadiens Installation : documents, trombones, livre sur étagère, dimension variable Crédit photo : F. Gousset (vue d’exposition du 58ème Salon de Montrouge, 2013)
The Top Five Regrets of the Dying, 2013
Écritures au fineliner bleu sur 5 documents franco-canadiens
Installation : documents, trombones, livre sur étagère, dimension variable
Crédit photo : F. Gousset (vue d’exposition du 58ème Salon de Montrouge, 2013)

 

Faire rêver, c'est un métier, 2016 Performance-spectacle en dix actions, 50 min Festival FRASQ#8, Le Générateur, Gentilly Vidéo : F. Dymny (facebook en direct) Crédit photo : L. Leroy
Faire rêver, c’est un métier, 2016
Performance-spectacle en dix actions, 50 min
Festival FRASQ#8, Le Générateur, Gentilly
Vidéo : F. Dymny (facebook en direct)
Crédit photo : L. Leroy

 

Visuel de présentation : Typologie d’un constat d’état d’oeuvre, 2017
Performance-comique en deux actions sur deux jours
La Belle Absente, Atelier de J. Borel, Paris
Vidéo : Q. Sabatier (facebook en direct)
Crédit photo : H. Langlois