[FOCUS] Guillaume Constantin, « En miroir de l’un, l’autre »

[FOCUS] Guillaume Constantin, « En miroir de l’un, l’autre »

Guillaume Constantin, récemment invité à pénétrer les réserves du Musée des Beaux-Arts de Rouen, en a extrait deux oeuvres d’art qu’il a réactivé sous forme d’images et d’un texte pour la revue Ecarts (1). Un jeu sur la notion de découverte et de fouille qui contraste avec la rigueur scientifique qui régit les règles de conservation. En déplaçant ces objets, Guillaume Constantin évoque d’autres récits, des ouvertures vers des imaginaires qui nous rappellent les mécaniques poétiques des Surréalistes qui auraient pu s’emparer de ce buste de femme anonyme et de ce livre miroir pour bâtir des récits amoureux et enchantés.

Comment s’est passée ton immersion dans les réserves du Musée des Beaux-Arts de Rouen ?

N’ayant eu accès à la réserve que pendant trois heures, j’ai donc dû aller très vite pour trouver des objets qui m’intéressaient. Ce compte-à-rebours a donné une drôle de dimension à cette recherche. J’ai  trouvé dans ce temps très court deux objets : un curieux faux livre-miroir (début du XIXème siècle) et un buste très abîmé de 1880. Le hasard a fait que j’ai été accompagné par le régisseur qui, à la différence d’un conservateur dont l’approche d’une pièce est historique, théorique ou même scientifique, a pu m’apporter un autre regard, plus concret peut-être, en précisant par exemple que ce buste n’ait pas été montré depuis au moins 40 ans.

 

Guillaume Constantin

 

Sais-tu par avance ce que tu vas chercher comme formes ou objets avant d’entrer dans une réserve ?

J’ai évidemment mes préférences mais dans ce cas-là, le jeu était plutôt axé autour de la découverte, de ce qui pouvait résonner avec mes lectures du moment et d’arriver à mêler mes intuitions et le contexte spécifique. Comme pourrait le faire un.e commissaire d’expositions. C’est un exercice qui finalement s’apparente à celui qui m’arrive quotidiennement dans la série photographique des Everyday ghosts quand apparaît une forme que je dois exploiter (2). Les gestes sont alors de l’ordre de la compréhension et du saisissement de l’objet. Ça peut aller très vite, un clic photographique ou être un processus de construction plus lent comme mon travail autour des lithophanies (3). Ces échanges de contexte, ces déplacements sont récurrents dans ma manière de travailler.

J’essaye, quand les formes surgissent ou réapparaissent, de considérer les différents angles de lecture qu’elles proposent, et leur destination finale qui peuvent faire qu’on va se mettre à les regarder différemment.

Peut-on aussi dire que le display te permet, par le déplacement d’objets, d’ouvrir sur de nouvelles lectures, de voir les choses différemment ?

C’est exact. Cette idée de présentation qu’évoque le mot display se relie à la question de la finalité de l’oeuvre. Ici, ces oeuvres du musée des Beaux-Arts de Rouen allaient apparaître dans un magazine d’art contemporain (1). Ainsi le regard qui se porterait sur elles serait différent que celui d’une revue d’archéologie ou d’histoire de l’art. Par les prises de vue, j’ai souhaité accentuer ce rapport au portrait, aux détails, au vieillissement du plâtre, à l’usure qui sont finalement très émouvants. De ce buste qui est celui d’une jeune femme, inévitable sujet de la tradition sculpturale, j’ai voulu souligner son état matériel qui, d’un point de vue de la convention muséale, est trop abîmé pour être montrable.

 

Guillaume Constantin

 

Comment as-tu travaillé à partir de tes deux trouvailles ?

Cette invitation au Musée des Beaux-Arts de Rouen était liée à l’écriture d’un petit texte reliant des images de ces deux objets. Comme il était difficile de déplacer le buste, un photographe l’a pris suivant mes indications directement en situation dans la réserve. Pour le livre-miroir, les prises de vue documentaires, extrêmement précises, ont été faites dans le studio photographique du musée, ce qui était d’autant plus intéressant et logique en regard du statut de cet objet. Celles-ci permettent de montrer les singularités de ce petit objet qui pourrait être presque anecdotique. En associant les différentes images, s’est posé un petit jeu de miroir pouvant évoquer Narcisse pétrifié par une apparition dans l’eau … ce qui est devenu quelque peu l’objet de ma notice accompagnant les vues photographiques.

 

Guillaume Constantin

 

Ton travail pose la question de la conservation, de la valeur historique… 

Partiellement, en discutant avec des conservateurs j’ai souvent été surpris d’apprendre quels sont les partis pris de sauvegarde de certains objets au profit d’autres. Même s’il y a indéniablement une caution scientifique et historique, ce sont tout de même des personnes qui défendent de manière subjective certaines œuvres et certains courants. Il y a sans doute une donne générale mais il y a aussi une idée de tendance, de mode aussi à l’endroit du milieu de la conversation muséale. Cette part subjective m’intéresse car il peut y être plus question de sentiment que de vérité.

Qu’est-ce qui t’intéresse plus particulièrement dans une pièce que tu exhumes d’une réserve ?

Les conservateurs de musée ont des critères bien précis qui fait que la pièce peut être présentée au public, avec cette volonté de lui redonner le plus possible son aspect originel. Je prends le problème à l’envers : jouer avec l’objet tel quel, avec son vieillissement, son caractère fragmentaire, plutôt que de sa valeur historique ou esthétique. Si le restaurateur rénove les pièces, de mon côté je les remets juste au jour, un peu à la manière de l’archéologue qui vient de trouver quelque chose qu’il ne connaît pas encore. Ce qui me permet de travailler avec des choses de nature différente. Cette question du mystère de la source me touche : le moulage du visage de l’inconnue de la Seine (4) est celui d’une jeune femme dont on ne connaît pas exactement l’origine. La légende dit que c’est une jeune fille qui se serait noyée. Une légende qui existe surtout grâce à une forme de fascination pour ce masque quasi-mortuaire enclenchant ainsi toute une littérature. C’est un mécanisme de construction assez passionnant qui mêle mémoire, émotion, hypothèse et interprétation.

Je suis toujours impressionné par la potentialité de certains objets et  matériaux qui, plus ou moins malgré eux, tel le masque de l’inconnue de la Seine, arrivent à associer différentes strates de l’imaginaire collectif. 

 

Guillaume Constantin

 

(1)  revue « Ecarts », un projet éditorial initié par Aurélie Sement : https://www.revue-ecarts.com/le-numero-0/

(2) Série des Everyday ghostshttp://retroactivepictures.tumblr.com

(3) LA CHAMBRE # 13 : Guillaume Constantin, Aubervilliers exposition jusqu’au 10 septembre : http://www.sleepdisorders.fr/

(4) « L’inconnue de la seine – un songe » une exposition de Marie Cantos http://pointcontemporain.com/linconnue-de-seine-songe-tolerie-espace-dart-contemporain-clermont-ferrand

 

 

Visuels tous droits réservés Guillaume Constantin.

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