Gilgian Gelzer, NIX, domaine de Kerguéhennec

Gilgian Gelzer, NIX, domaine de Kerguéhennec

L’exposition tire une ligne : une ligne tiraillée, enroulée, multiple et démultipliée. C’est la ligne des chemins dans les bois, au milieu desquels se trouve en l’occurrence le domaine de Kerguéhennec. C’est aussi la ligne tracée par la main et les émotions d’un artiste, qui présente ici sa propre monographie, intitulée « Nix » qui signifie, littéralement, « rien ».

Gilgian Gelzer dessine, peint et photographie, comme le récapitule cette rétrospective qui s’évertue à présenter chaque pratique sous la forme d’un inventaire classé par salle d’exposition. Avec cet accrochage par distinction, les médiums se répondent mais ne se mélangent pas, gardant leur unicité et leur particularité propres.

Dans chacune de ses pièces, Gilgian Gelzer fait en tout cas ressortir les possibles tracés d’une feuille de papier ou d’un cadre choisi. Il met alors ses propres émotions, mais aussi son propre corps, sa propre matérialité, à plat dans l’œuvre. Le support, notamment papier, parait le transporter ; l’artiste y déverse toute son individualité, son âme, son rapport au monde à un instant T, de la colère à la douceur d’un moment présent. Il parle à ce propos  d’une « relation singulière avec le dessin » comme d’un « moment unique qui ne pourra se reproduire », et d’un « moment en arrêt, quelque chose qui se passe, qui perturbe une relation entre des éléments » dans le cas de la photographie.

Tout est donc question d’espace-temps. Un temps plus ou moins énervé, qui transparait physiquement par des lignes de crayon denses ou plus légères, colorées ou non. Ici, les traits sont épais, entremêlés sur un grand format dont les contours ne sont pas coupés, mais déchirés. Là, la pointe de crayon va jusqu’à transpercer la feuille. Là encore, les lignes sont plus sveltes : rouges, bleues, les couleurs de l’école, les couleurs du sang et de la mer ou du ciel, elles respirent entre elles sur le blanc crémé du papier.

Dans une troisième pièce, les lignes s’entremêlent à nouveau et se rassemblent sur elles-mêmes jusqu’à former une constellation à l’allure d’étoiles. Il suffit de rapprocher le regard pour observer la force de ces étoiles solitaires, nées d’une minée appuyée, des « impacts » du crayon guidés par une main puissante et précise, d’un poids presque féroce, sur le ciel toujours immaculé de la feuille de papier dont l’espace se désemplit alors.

Le temps, et l’espace, donc : le format est l’unique choix vers lequel souhaite aller l’artiste, laissant vaquer ses autres décisions aux domaines de l’inconscient et du hasard. « Je souhaite prendre de moins en moins de décisions », le but étant de laisser la spontanéité prendre le pas sur un certain déterminisme de l’artiste. Gilgian Gelzer produit ainsi ce qu’il nomme des « événements graphiques », guidé par sa main à la fois douloureuse et teintée de mysticisme ou de magie, dans le cadre et la taille choisis de la feuille de papier.

Dans la quatrième pièce justement, le format ici s’amenuise et l’exposition prend même des allures de cabinet, en présentant deux ensembles variés de moyens et petits formats. Dans cette salle, Gilgian Gelzer évoque son besoin quotidien de pratiquer le dessin, y compris quand le temps et l’humeur ne sont pas aux grands formats. Ces charmantes cartes, intitulées « strokes », sont comme autant de coups de poings dans une sphère journalière et éventuellement routinière, de laquelle ils s’affranchissent par le fait même de leur propre existence, rendant ce moment unique, glissant vers l’intemporalité.

Si les  « événements graphiques » de Gilgian Gelzer ont surtout trait au dessin, sa pratique-maître qui déroule le fil de l’exposition, celle-ci tente également de réconcilier l’artiste avec la peinture, qu’il a laissé de côté il y a une dizaine d’année déjà. Dans cet espace, plus de ligne ni de point, mais de denses aplats de couleurs, des « plaques de tectonique » qui s’entrechoquent et se superposent, s’opposant et se mêlant dans un même temps. Un temps suspendu à la fois dans la rétine de l’observateur, au sein de la visite de l’exposition et dans la pratique même de l’artiste. Ces toiles en acrylique et crayons de couleurs, apparaissent comme autant de parenthèses.

A ce titre et également dans une pièce à part, « Nix » nait aussi d’un ensemble de photographies. L’objectif s’intéresse ici aux motifs accidentels, crées en particulier par la technicité et modulabilité de l’homme sur son environnent. Une flaque d’eau sur du goudron, une forêt de sapins déchirés par une piste de ski, les abords d’une route, des fissures, un banc,… Les photographies, de la taille d’une main, sont comme autant de constats de la force de l’homme, du résultat subtil de certains de ses agissements à l’échelle de la société. Gilgian Gelzer évoque son intérêt pour le « caractère abstrait de ce qu’il se passe dans la réalité » : les matières, les textures, les couleurs, ou encore les jeux d’échelle.

Photographies, peintures et dessins sont emprunts d’une matérialité : celles produites par l’homme pour les unes, la terre dans son sens organique pour les autres, et enfin le corps de l’artiste pour les derniers. La main de l’homme, et plus encore celle de l’artiste fait basculer sa propre corporalité et ses émotions en tension sur des pièces du réel choisies, dont la physicalité, alors, s’intensifie, quel qu’en soit la matière ou la manière.

Texte Laëtitia Toulout © 2018 Point contemporain

 

Infos pratiques

NIX,
une exposition rétrospective de Gilgian Gelzer qui a précédemment été présentée à la Fondation Fernet Branca, en Alsace.
Du 04 mars au 27 mai 2018,
Domaine de Kerguéhennec,
56500 Bignan 

 

Gilgian Gelzer
Né en 1951 à Berne.
Professeur à l’École supérieure des arts et des médias à Caen de 1987 à 2009, puis à l’École nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris de 2010 à 2016. Il s’intéresse à la matérialité dans un cadre spatio-temporel qu’il définit lui-même au sein de ses pratiques artistiques multiples que sont le dessin, la peinture et la photographie, une multiplicité de mediums présentée dans cette rétrospective, « Nix ».

 

Gilgian Gelzer, sans titre. Graphite et crayon couleur sur papier, 29,7x21cm. Courtesy artiste
Gilgian Gelzer, sans titre. Graphite et crayon couleur sur papier, 29,7x21cm. Courtesy artiste

 

Gilgian Gelzer, sans titre, 2016. Graphitesur papier, 140x110cm. Photo A Ricci
Gilgian Gelzer, sans titre, 2016. Graphitesur papier, 140x110cm. Photo A Ricci

 

Visuel de présentation : Gilgian Gelzer, Strokes, 2009-2017. Photo : Sarkantyu