Jérôme PIERRE « Les feuilles de l’être »

Jérôme PIERRE « Les feuilles de l’être »

Installation in situ / Le K.A.B

La genèse du projet :
A partir d’une réflexion sur les liens invisibles entre les pièces d’un puzzle, ainsi que l’analyse de ce qu’est un lien au travers de la corde et du fil, mon travail s’est déroulé vers une multitude de réflexions donnant corps à différents travaux. Dans un puzzle les pièces sont liées entre elles par le motif et en quelque sorte, finaliser sa reconstruction est identique au démêlage d’une pelote de nœuds. Le fil qui date de -30000 ans avant JC et qui est omniprésent dans nos vies, (du cheveux aux tissus ou dans nos communications sans fil) est un éléments archétypal structurant et possède une forte symbolique. L’analyse de tous ces éléments amène alors à un réseau de pièces dans lequel je procède par rebonds.

L’Installation :
Après avoir posé et finalisé conceptuellement cette pièce, un nouveau champ de réflexion s’est ouvert sur le cycle de l’arbre et par analogie à la mémoire. 
Les feuilles d’arbres reliées aux branches, chutent à l’automne et rompent leurs liens pour la continuité du cycle. Lorsque les feuilles tombent à l’automne, elles entrent dans une autre phase de la vie de l’arbre et de son renouvellement. Elles se métamorphosent en terre et nourrissent tout un écosystème jusqu’à nourrir l’arbre qui les a fait naître. En représentant par des fils, les liens entre les feuilles et les branches, c’est l’interruption du cycle qui apparaît et la feuille devient en tant que mémoire un poids pour l’arbre. 
En imaginant répéter cette action à chaque saison, l’arbre serait mis en péril et ploierait sous le poids de ses souvenirs.

Réflexions :
Notre époque oscille entre un devoir de mémoire du point de vue de l’histoire et du droit à l’oublie du point de vue de nos traces sur Internet. Cette installation s’inscrit alors avec son apparente simplicité dans une réelle contemporanéité des questionnements sociaux, écologiques et prospectifs. 
Sur internet cohabite l’ensemble de la connaissance passée et historique ainsi que le présent du flux de nos vies qui s’y déverse en un flot continu. Du point de vue de la machine, les données du passé coexistent au même niveau que le présent dans une unique temporalité, ces données sont accessibles au même instant. Seul le futur se distingue, mais il est alors orienté par la simultanéité du passé et du présent, ce qui génère alors une mémoire globale et intemporelle. 
L’oublie possède sa nécessité dans le renouvellement et dans le cycle de l’histoire, mais se souvenir est aussi important que d’oublier. 
Il faut que l’enfant se brûle pour comprendre le danger du feu, le corps peut garder des traces mais la douleur disparaît. Une idée de cette douleur persiste afin d’alerter sur les dangers à éviter. Le fait que le corps ne garde pas de souvenirs de la sensation physique de la douleur (seul des réminiscences) permet à l’humain de progresser en minimisant la souffrance. 
Le poids de la mémoire et de l’oubli au jardin des Batignolles prennent d’autant plus de sens. L’écriture de l’histoire est une lutte politique et une lutte de pouvoir, elle s’inscrit dans les livres, dans les manuels d’éducation et omet ou écarte des souvenirs selon une volonté de construction d’avenir. Le Square des Batignolles était un haut lieu de la Commune de Paris et des massacres qui s’en suivirent. Dans ce square furent exécutés sommairement des Communards, puis jetés dans une fosse commune au cœur du parc sur lequel fut construit le kiosque à musique. L’oubli volontaire de la Commune de Paris par l’état français dominé par une classe souhaitant écrire son histoire, finit par resurgir de façon naturelle grâce aux idées que la Commune portait. Ces idées d’horizontalité du pouvoir étant alors sans doute trop avant-gardistes pour l’époque, ou trop juvéniles face aux structures en place. La Commune resurgit historiquement à l’heure de l’hyper-connectivité des personnes au travers des réseaux et des nécessités d’alternative face aux urgences écologiques et sociales. 
Le trop plein de mémoire comme l’arbre supportant ses feuilles malgré lui, est une image de notre devenir. Les natifs de cette contemporanéité (nos enfants) ne percevront sans doute pas les changements. Pour eux il en aura toujours été ainsi et la mémoire du monde passé apparaîtra comme un mythe. 
Le cycles des arbres et de la nature portent en eux des leçons philosophiques sur lesquels nous nous devons de réfléchir pour imaginer ce que nous souhaitons oublier ou nous rappeler. 

Jérôme Pierre
Né en 1979, plasticien depuis 2009. 
Vie entre paris et la bretagne (Plouha) 
Travaux aux frontières de la philosophie et du design. 
Sujets sous jacent à l’oeuvre : La relation entre l’efficience et le hasard, la géométrie, les pavages, les relations homme-machine, l’economie et la prospective… 

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