[FOCUS] Joris Henne, Cima Grande

[FOCUS] Joris Henne, Cima Grande

Focus sur l’oeuvre, Cima Grande de l’artiste Joris Henne présentée lors de l’exposition annuelle Jeune Création 66ème édition, Galerie Thaddaeus Ropac Paris-Pantin.

Oeuvre : Cima Grande, expédition n°1 La Bête, 2014, Polyuréthane, bois, 400x150x150cm et tirages sur bâche, bois.

Né au pied du Mont Ventoux, Joris Henne partage le temps de la pratique artistique avec celui de l’expérience de la nature et plus particulièrement de la montagne. Il livre ses sculptures, des silhouettes d’animaux mastodontes qu’il transporte lui-même, aux intempéries du climat montagnard pour les re-découvrir après de longs mois transformées par les forces de la nature.
L’œuvre présentée est le fruit d’une expédition au double caractère artistique et scientifique souligné par la présence des caissons et sangles de transport et le dispositif de présentation des photographies. Une oeuvre à la dimension unique et performative où l’art se charge d’une part d’aventure, où il peut être pensé comme réussite ou échec.

Propos de Joris Henne recueillis le 15 janvier 2016 à l’exposition annuelle de Jeune Création à la Galerie Thaddaeus Ropac Pantin :

« Cima grande est la présentation d’une expédition qui a réussi. J’ai transporté à dos d’homme une sculpture de dinosaure au sommet du Mont Ventoux. Un moment difficile, au tout début de l’hiver, où j’ai hissé en pleine tempête l’animal jusqu’au sommet puis l’ai arrimé solidement au sol avec des pitons car le vent y soufflait très fort. L’animal est un deinopthérium dont j’ai vu le squelette au Muséum d’histoire naturelle dans la galerie de paléontologie et dont la forme m’a fasciné. Quand j’ai vu le crâne la première fois, j’ai cru voir un énorme monstre carnivore.

J’ai toujours eu cette fascination pour des animaux qui ont été réels mais qui donnent le sentiment d’être mythologiques et pour lesquels on éprouve une sorte de crainte universelle. Face à eux, on est pris dans l’ambivalence d’une force de la nature et d’une beauté, on est dans un merveilleux.

Je suis remonté une semaine plus tard dans une fenêtre de beau temps pour prendre en photo l’animal en situation. L’installation photographique me permet de montrer à quel point cette sculpture a été soumise à des conditions climatiques extrêmes. Elle est restée au sommet quatre ou cinq mois. Je me suis posé la contrainte de la déposer au début de la saison hivernale quand tout commençait à geler et de la reprendre à la fin au moment du dégel quand il a été possible d’y accéder.

Je pose toujours un cadre avec des contraintes, une fenêtre dans laquelle se passent des transformations plus poétiques.

La « bête » se compose d’une structure alvéolaire légère proche des jouets en bois de squelettes de dinosaures. Ainsi, malgré sa longueur de plus de 2m80 et son volume important, elle ne pèse que 20kg. Je dois chercher des solutions techniques, les bons procédés et matériaux, afin que l’expédition puisse réussir. La recherche sur la forme est elle-aussi importante, elle conditionne une certaine esthétique. Ainsi le squelette de l’animal se compose en panneaux de polystyrène extrudés que j’ai complètement bâchés. À l’intérieur des alvéoles, j’ai injecté de la mousse expansive que j’ai ensuite sculptée pour donner la forme à l’animal. Une forme qui disparaît peu à peu tout au long du séjour en raison de l’érosion due aux conditions climatiques extrêmes qui règnent au sommet.

Je présente de l’animal ce qu’il reste de son passage de l’hiver au sommet. Je ne cherche pas à reformer l’animal quand des parties ou les membres se sont détachés du corps comme ici la tête. Toutefois je sangle le tout afin qu’il ne se disloque pas. Certains endroits s’apparentent à de la roche qui aurait été soumise à des tempêtes de sable.

Joris Henne, Cima grande, exposition annuelle Jeune Création 66ème édition Galerie Thadeus Ropac Pantin

Ma pratique artistique est liée à celle de l’alpinisme avec la motivation de mêler l’art à cette approche de l’effort et de la nature. J’ai aussi la volonté de faire vivre à ces sculptures qui sont par leur forme même la quintessence de ce que je vois en montagne, une aventure effrayante et séduisante. Je laisse le soin à la nature de les transformer, d’en compléter la forme à sa manière inimitable et incontrôlable.

La notion de performance, de contrainte physique, fait partie de l’installation car je porte sur le dos jusqu’au sommet de la montagne une sculpture de près de trois mètres de haut.

Le Mont Ventoux est une montagne qui fait partie d’une mythologie personnelle. Beaucoup de facteurs exceptionnels s’y rattachent comme des records d’enneigement au sommet, ou des mesures de vents les plus forts. Le milieu naturel y est très dur. Les équipes d’expédition viennent s’y entraîner car sur ce mont les conditions climatiques sont les plus proches de celles mesurées au Pôle Nord. Elles sont à ce point similaires qu’il y poussent même du lichen. Le Mont Ventoux a aussi cette particularité d’être parcouru d’un réseau souterrain issu de projets militaires datant du temps de la Guerre Froide. Cela participe aussi au mythe de la montagne.

J’ai tenté de monter une deuxième expédition avec une sculpture identique en Italie dans les Dolomites, un endroit où la montagne par sa forme ressemblait à ma sculpture. Cette tentative a été un échec car je n’ai pas réussi à transporter l’animal jusqu’au sommet. C’était trop dangereux, j’ai abandonné. Ce projet s’appelle aussi Cima Grande. J’ai présenté ces deux projets, l’expédition n°1 réussie du Mont Ventoux et l’expédition n°2 qui a été un échec pour laquelle la bête a été exposée encore dans son dispositif de protection, prête à repartir. »