Laura et Ricardo Nillni

Laura et Ricardo Nillni

FULCRUM, Laura & Ricardo NILLNI, 2019

ENTRETIEN / Propos de Laura et Ricardo Nillni réunis
par Pauline Lisowski

Pauline Lisowski : Quel fut le point de départ de votre démarche commune ? 

Laura Nillni et Ricardo Nillni : Elle est née du désir de voir l‘image s’animer. 

L’idée existait depuis notre rencontre, dans les années 1980, alors que nous étions encore étudiants à Buenos Aires, mais elle ne s’est matérialisée qu’en 1997, avec notre première vidéo « Le mal qui foudroie en plein bonheur », autour des installations de toupies de Laura.

Jusqu’en 2015, le point de départ était un premier montage de Laura à partir d’œuvres visuelles, prises de vue vidéo, photos et/ou dessins scannés. Ce matériel était visionné ensemble et retravaillé en collaboration. La musique, électroacoustique, réalisée par Ricardo en parallèle, venait s’ajouter ensuite en fonction de ce travail. La dramaturgie prenait forme à partir de nos échanges. 

Depuis 2015, il arrive souvent que ce soit la musique de Ricardo qui donne l’initiative de l’œuvre visuelle. Pour ces œuvres là, il s’agit de musique instrumentale enregistrée auparavant. Dans ces cas, ce sont les thématiques choisies par Ricardo pour ses œuvres qui vont influencer le travail de Laura. Mais dans tous les cas, les deux langages se complètent et aucun ne vient illustrer l’autre. Le résultat sera une troisième voie, née de cette rencontre.

LN : J’ai appris à travailler le temps et la durée qui sont des données propres à la musique davantage qu’aux arts visuels. Les films ont un scénario, né de la rencontre entre une matière brute et une organisation de celle-ci.

PL : Ricardo, de quelle manière développes-tu ta démarche de compositeur ?

RN : En ce qui concerne les aspects purement musicaux reliés au travail avec Laura on peut évoquer le souci des transparences sonores, la multiplicité des couches qui créent une profondeur d’écoute susceptible de percevoir synoptiquement ou de se perdre dans l’une ou l’autre couche du millefeuille.

PL : Laura, tes œuvres sont nourries de réflexions sur la nature, la littérature… Comment ta rencontre avec l’univers musical de Ricardo a-t-elle déclenché de nouvelles perspectives de création et de développement de techniques ?

LN : Avant de travailler sur des pièces communes, j’utilisais souvent des partitions de Ricardo que je marouflais sur mes pièces. En 1994, j’ai eu l’idée de faire une série de pièces à partir de plusieurs œuvres de compositeurs que j’aimais, comme Ligetti, Berio, Lachenmann, Boulez… Plus tard j’ai imaginé les sculptures murales avec des clous, dont les ombres portées génèrent de semblants de notes sur des portées vierges. J’ai également réalisé des pièces dans lesquelles je reliais une partition et une branche. Notre dernière œuvre commune,  Fulcrum, est un retour à celles-ci. 

Involuta m’a incité par son titre à travailler sur l’aérien d’où la couleur bleue et la forme enroulée du papier. Au départ, j’avais laissé le vent agir sur les partitions dessinées sur les feuilles de calque et celles-ci se sont naturellement enroulées. L’installation présente le choix d’un arrêt sur image de ce mouvement.

PL : De quelle façon vos œuvres vous amènent-elles à penser l’importance du temps dans vos deux pratiques respectives ?

RN : Dans l’installation Les papillons de Kafka tient compte de la temporalité musicale : La partition se dévoile en suivant un parcours.

PL : Laura, comment tes dessins et installations trouvent une nouvelle temporalité en fonction du temps de la composition de Ricardo ?

LN : Sol m’a amené à poursuivre un travail de dessin de partition à partir d’une composition qui réunissait déjà beaucoup de données, 5 éléments et 5 superpositions. Je réalisais à cette époque une série de dessins sur calque dans  laquelle j’avais utilisé des extraits de textes de Jorge Luis Borges superposés à des graphismes labyrinthiques. La transparence est une thématique qui nous est commune. La mise en espace des partitions s’est imposée d’une manière presque naturelle.

A partir de cette œuvre, une deuxième voie dans notre collaboration s’ouvre avec l’installation. Dessins et musique sont mis en espace.

PL : Comment ce travail in situ se développe et ajoute à vos démarches artistiques respectives ?

LN et RN : L’espace est une préoccupation permanente pour nos démarches respectives. Nous avons choisi des voies différentes à ce sujet. Pour les installations graphiques et musicales, le rapport avec le son est intime. Il faut être à l’intérieur pour l’entendre. Dans une installation comme Les Papillons de Kafka, il faut poursuivre le son en la parcourant. L’installation vidéo y répond d’une façon plus immersive. Nous avons créé Aliquando pour l’espace de la galerie Victor Sfez, Paris. L’installation a été reprise lors de la Nuit Blanche 2018 lors de laquelle Le son et l’image prenaient toute la place.

PL : De quelle manière vos œuvres pourraient-elles ensemble créer un autre rapport au temps de l’exposition ?

LN et RN : Pour les installations, le fait que les éléments sonores et visuels se complètent génère un temps qui est en quelque sorte un compromis des deux. La musique est diffusée en boucle, parfois c’est l’œuvre complète, parfois de façon fragmentaire, selon la représentation graphique. 

Pour notre production vidéo, un film a une durée qui lui est propre et il faut le regarder du début jusqu’à la fin pour avoir une idée authentique de l’œuvre. En général il s’agit de formes courtes. 

On pourrait dire la même chose pour nos installations qui sont musicales et non seulement sonores.

Le temps de la musique impose une durée qui est la durée de la composition de l’œuvre.

Un autre phénomène temporel  mais redevable à l’espace s’est vérifié aussi lors de nos expositions où l’on présente plusieurs installations. Si bien à courte distance chaque musique est autonome et intimement reliée à l’installation à laquelle elle appartient, il y a des angles morts qui n’évitent pas une perception du tout. L’écoute, dans ce cas, est analogue à la vision globale avec des temporalités croisées en plus.

Laura et Ricardo Nillni
Nés à Buenos Aires.
Travaillent en collaboration depuis 1996.

Représentés par la galerie Victor Sfez Paris