[ENTRETIEN] Laura O’Rorke

[ENTRETIEN] Laura O’Rorke

Entretien avec Laura O’Rorke qui présente son projet Téloméris.

Artiste : Laura O’Rorke, née à Paris en 1988. Vit et travaille à Paris. DNSEP avec les félicitations du jury, Ecole Nationale supérieure de Paris/Cergy. DNAP avec mention, école supérieure de Nantes Métropole.

 

Téloméris est un projet artistique aux multiples ramifications mené depuis près d’un an et demi par Laura O’Rorke. Mêlant performances, chants, danses, écriture et sculpture, Téloméris développe l’idée de liens entre les hommes dans des perspectives à la fois archaïques et futuristes. Un projet en trois parties, Aposuspita, Hibrisae et Cristorgiallus, qui questionne d’une manière anthropologique, la notion de société humaine à travers ses codes et ses développements, sa rationalité comme sa démesure.
Le travail de Laura O’Rorke, par ses collaborations, témoigne d’un engagement « tentaculaire » vis-à-vis de l’art contemporain. Une façon d’atteindre une clair-voyance quant à la destinée d’une humanité qui voue une foi démesurée envers le progrès technologique.

Propos de Laura O’Rorke recueillis le 04 février 2016 :

« Téloméris est le titre d’un roman de science-fiction que je co-écris avec la journaliste Aude Jouanne. Nous venons de clore le premier chapitre de ce livre qui parle de trans-humanisme. Tout mon champ artistique est axé sur le rituel. Je m’intéresse beaucoup à la fête, à la cérémonie, à la question de la procession, du rapport entre l’art et le sacré ainsi qu’à la question de communauté. 
J’avais envie de transposer tout cela dans la science-fiction, de me poser dans des problématiques d’anticipation, de questionnement du futur.

Laura O'rorke Vidéo Quarry projetée l'Amour, Bagnolet, lors de la performance Aposuspita, mars 2015
Vidéo Quarry projetée à l’Amour, Bagnolet
lors de la performance Aposuspita, mars 2015

Le roman est comme un contexte, un décor, à une série de performances formant un triptyque qui compose les parties d’un rituel. L’ouvrage s’apparente à un récit post apocalyptique. Il raconte l’histoire d’une communauté alternative qui trouve un moyen de quitter la Terre en proie à une crise écologique sans précédent et à l’explosion de la démographie suite à la découverte d’un traitement moléculaire permettant à certains individus d’accéder à l’immortalité. Cette découverte a entraîné un clivage social entre des privilégiés s’enfermant dans des Bulles, îlots paradisiaques artificiels et les autres subissant la pollution, la pauvreté et la suppression de leurs droits sur une planète dont les ressources naturelles s’amoindrissent dangereusement. La communauté décide de coloniser une planète sauvage, afin de créer une nouvelle société vivant en harmonie avec la Nature, dans un fantasme de renaissance.

Le triptyque reprend à travers différents tableaux les composantes du rituel : les chants, la danse et le repas. Le premier chapitre Aposuspita est un opéra représentant une déesse martyre, créature sacrée au passé éclaté. Capable d’absorber les souffrances et les maux de sa communauté, son chant de lamentation, langage inconnu, ancestral et sacré, résonne en un cri puissant qui dévore les démons intérieurs, fantômes du passé, et spectres à venir afin de créer un ordre moral parmi les siens. Nous avons créé un langage inspiré de l’hébreux, du grec ancien et du latin en utilisant des mots clés ou des intentions comme dans les langages illustrés que l’on trouve dans les communautés mayas.

Le deuxième chapitre, Hibrisae, incarne la danse. Avec le concours de David Legrand, un chaman, et de quatre danseuses de formations différentes (classique, pôle danse et Hip Hop) afin d’explorer la diversité d’interprétation de la transe, j’ai élaboré une chorégraphie autour d’un texte qui prend la forme d’un discours déclamé avec la verve d’Antonin Artaud et inspiré, je crois, d’une nouvelle de Ballard. Les performeurs entrent dans une danse-transe qu’ils exécutent au milieu du public.

Le troisième chapitre, Cristorgiallus, est une installation représentant un Banquet composé d’une centaine de poteries cristallisées, qui sera activée par une performance culinaire. L’ensemble reprend l’idée de la forêt de cristal de Ballard, auteur emblématique de la science fiction, qui a été la référence de tout ce projet. Par la cristallisation des poteries, je voulais évoquer la question du temps. Un aspect figé qui ancre les poterie dans le passé comme une sorte d’archéologie et, en même temps, qui renvoie à une forme d’absolu en les faisant persister dans le futur. Le projet traite de la relation entre tradition et modernité, du mouvement actuel entre l’idée de retour aux sources et des projections futuristes.

Laura O'rorke Détail d'un élément en céramique et cristal d'alun du Banquet, dernier volet perforé du projet Téloméris, Exposition Polder II, Glassbox 2015
Détail d’un élément en céramique et cristal d’alun du Banquet,
dernier volet performé du projet Téloméris, exposition Polder II, Glassbox 2015

Le travail de la céramique est un travail tout nouveau pour moi, car mon champ d’action est plutôt la performance. Ces créations répondent au protocole du triptyque de performances où je voulais que tout soit réalisé à la main parce que je me suis projetée dans ce monde où tout est à reconstruire, où le mode de vie est primitif. Ces objets, fabriqués par la main de l’homme, ont une dimension organique. Cette installation incarne la relation entre l’homme et la nature, une nature qui reprend toujours ses droits matérialisée ici par la cristallisation. Les pièces que j’ai façonnées s’apparentent à des vestiges comparables à ceux qui sont découverts. Une archéologie du futur, et par là même, une opposition entre objet naturel et objet technologique ou du design.
J’ai eu l’opportunité lors d’une exploration urbaine de visiter une carrière abandonnée en banlieue parisienne de près de 100 kilomètres carrés qui servait pendant la guerre à construire des missiles V7. Après quatre heures d’exploration à la lampe torche, je n’ai vu qu’une infime partie de ce lieu resté presque intact dont les espaces sont partiellement recouverts de mycélium, formant une évanescence organique qui a inspiré toute l’esthétique du projet.

Laura O'rorke, Chandeliers cristal de sel, éléments du Banquet, dernier volet perforé du projet Téloméris Exposition Polder II, Glassbox, 2015
Chandeliers cristal de sel, éléments du Banquet, dernier volet performé du projet Téloméris, exposition Polder II, Glassbox, 2015

Je présente à l’espace d’art Glassbox toutes les poteries, vaisselles, bougeoirs qui seront activés dans l’installation Le Banquet. Il y aura des pots ainsi qu’une centaine de bougeoirs. J’ai pour cela utilisé la technique du colombin. La forme de ces céramiques est conventionnelle et brute. Pour l‘émaillage j’ai mélangé des oxydes et des émaux sombres mats, afin de donner l’aspect de forêt d’hiver, nue qui serait recouverte par la cristallisation, habillée par la matière organique. Une esthétique obscure et mystérieuse qui se réfère tout autant aux anciennes civilisations qu’à la science fiction. La cristallisation est une réaction géologique assez simple que j’ai reproduite ici en immergeant les céramiques dans des solutions salines. Les cristaux s’accrochent plus sur les parties mates qui sont non émaillées. Je fais le même processus avec de la pierre d’Alun que je fais cuire. En réglant la cuisson à des températures différentes, j’obtiens différents effets. Pour l’anecdote, le sel utilisé pour la cristallisation vient du plus grand désert de sel en Bolivie existant, le salar d’Uyuni. J’ai participé à un rituel à l’ayahuasca, plante utilisée par certaines communautés d’Amazonie dans des rituels sacrés. J’ai écrit ce que j’ai vu dans ce rituel dans le Discours, texte incarné par David Legrand dans le deuxième chapitre. Ce texte se réfère à une expérience personnelle fictionnalisée dans un oratio de prêtre du nouveau monde : Voyage interne pour fiction anthropologique…

Laura O'rorke, élément en céramique et cristal d'alun du Banquet, dernier volet performé du projet Téloméris exposition Polder II, Glassbox, 2015
Laura O’rorke, élément en céramique et cristal d’alun du Banquet, dernier volet performé du projet Téloméris, exposition Polder II, Glassbox, 2015

Pour cette performance, je suis aussi en train de créer un alambic d’huile essentielle ainsi que des cuves destinées à la macération des fruits pour créer mon propre alcool. Les poteries serviront de contenants pour des plantes, des bougies, des mets et cet alcool. Dans les aliments, chaque élément sera choisi soit par rapport à des expérimentations personnelles de rituels, soit dans les symboliques qu’elles suggèrent. J’aimerais utiliser des essences de plantes hallucinogènes de Peyotl. Par le fait que les spectateurs pourront participer au Banquet, ce dernier chapitre sera le plus immersif. « 

 

Pour en savoir plus :

Chaîne vimeo de Laura Olympia O’Rorke : https://vimeo.com

Le projet est soutenu par GLASSBOX, une association créée en 1997 par une dizaine de jeunes diplômés des Beaux-arts de Paris visant à promouvoir la jeune création en art. Installée au 4 rue Morêt, Paris 11, l’espace accueille depuis différents formats d’expositions, des cycles d’écoutes, des performances culinaires et des résidences de production. Source : http://www.glassbox.fr

David Legrand est artiste créateur de la galerie du cartable, membre du collectif Bandits-mages, acolyte de Michel Aubry, acteur, vidéaste, performeur polymorphe et imitateur. http://galerieduplatane.blogspot.fr

Francois X est un artiste et producteur parisien, membre fondateur avec Heartbeat du label Demented et résident de la soirée Concrete. http://www.francois-x.com

Visuel de présentation : Aposuspita, performance de Laura O’rorke en collaboration avec le producteur Francois x et la chanteuse lyrique Alexia P. Exposition Industries, 5 mars 2015 à l’Amour Bagnolet. Photo : Manuel Obadia-Wills

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