LAURENCE FAVORY, UNE FEMME AU FORT

LAURENCE FAVORY, UNE FEMME AU FORT

Vue de l’exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort
photo : Noé Pradel-Fraysse 

ENTRETIEN / Laurence Favory avec Pauline Lisowski à l’occasion de l’exposition Une femme au fort jusqu’au 17 octobre 2020 au Fort d’Aubervilliers

Laurence Favory a établi son atelier au Fort d’Aubervilliers, ce lieu désormais dédié à la culture et en attente de travaux d’aménagement. Pour cette exposition personnelle, elle investit une ancienne casemate par un accrochage de peintures et ponctue les espaces extérieurs avec des œuvres qui invitent à regarder plus loin et à se promener dans cet espace chargé d’histoire. Laurence Favory dresse une série de portraits associés à un légume ou à une plante et présente des compositions florales. 

L’artiste observe avec attention son environnement et ses rencontres quotidiennes donnent lieu à des collages, points de départ de ses peintures et dessins. Elle s’attache à nous faire prendre conscience de la nature qui se trouve à proximité de chez soi. Ici, au fort, la végétation spontanée et rudérale a repris ses droits. Dans ce terrain en transition, le vide accueille une biodiversité et laisse place à un silence qui invite à la concentration et à raconter des histoires à partir des plantes et des hommes. 

Cette exposition a bénéficié du soutien de la ville d’Aubervilliers, du département de la Seine-Saint-Denis et notamment du regard fin de Samia Khitmane, responsable du pôle arts visuels/bureau des tournages à la Direction des Affaires culturelles.

Pauline Lisowski : Quelle a été l’origine de votre installation au Fort d’Aubervilliers ? Quelle influence a ce lieu sur votre pratique artistique ?

LF : Avec Jean-Michel Pradel-Fraysse, mon compagnon depuis 36 ans, sculpteur, nous avions à Montrouge un box de voitures transformé en atelier, situé dans une cour d’immeuble. Une préemption a eu lieu et ce lieu a été démoli (aujourd’hui c’est un jardin…). C’est une agence d’Etat, l’afrtp, qui nous en a informés et nous a proposé les casemates dans le Fort d’Aubervilliers. Fort démilitarisé dans les années 70, devenu une immense casse auto avec des milliers de voitures et carcasses, un magasin de pièces détachées, de la mécanique sauvage. Univers masculin… Quand je me suis installée il y a 15 ans, j’étais enthousiaste : pour la première fois j’avais un atelier pour moi toute seule. Ma casemate était un espace où j’arrivais, fermais la porte… Je peignais énormément.

Tout au long des années, des saisons, j’ai observé ce fort, ses activités, ses occupants (humains, animaux, végétaux), ses transformations.

En 2014, les voitures sont parties, de nouveaux occupants sont arrivés, un projet de construction a été mis en route.

C’est un territoire en perpétuel mouvement, imprévisible, qui « muscle » les capacités d’adaptation et de création. Quand je m’y trouve, je me sens hors du temps, en pleine déconnection, à 5 minutes d’une station de métro…

PL : La nature est ici au centre de vos préoccupations de peintre. De quelle manière s’exprime-t-elle ? Quelle est votre intérêt pour les plantes et quel axe choisissez-vous pour les donner à voir ?

LF : Mon intérêt pour les plantes, le monde végétal, remonte à l’enfance, durant laquelle j’aimais me promener dans la nature pendant des heures, faire des bouquets de fleurs sauvages, sentir les saisons.

Aujourd’hui je ne peux m’empêcher de planter, de faire pousser, dès que j’arrive quelque part.

Comme le dit Gilles Clément : « …quand on jardine, on est dans ce que j’appelle un territoire mental d’espérances… ».

Pour moi c’est aussi un territoire d’étonnement, d’observation, d’humilité. 

J’enseigne le modèle vivant-morphologie à l’école des Beaux-arts de Versailles et mon regard morphologique se porte aussi sur les plantes : comment la forme se développe pour chacune en une infinie de mécanismes, d’astuces, d’intelligence.

J’aime avoir les mains dans le vivant.
Ma peinture s’en nourrit.

PL : Comment sont nés les portraits de la série Transitions énergétiques ? Que souhaitez-vous mettre en évidence pour ces associations ?

LF : Le titre de cette série « transitions énergétiques » est une réaction à différents concepts, entendus ou lus presque quotidiennement ces dernières années : transition énergétique ; diversification du bouquet énergétique ; croissance verte ; énergie vertueuse ; etc. Elle est constituée de sept toiles ; L’humain y est placé délibérément au centre, cadré au niveau du torse. Un homme élégant dont la tête est un végétal en pleine croissance. La position des mains, seul morceau visible de chair, exprime la personnalité et la nature profonde de l’être représenté.

Cette série parle de nos propres transitions, transformations intérieures, comme de notre énergie et de ses principes.

PL : La série d’assiettes sur lesquelles sont représentées des saynètes fait écho à un art de la table et à l’histoire des éléments de décoration. Quel est l’enjeu de cette série ?

LF : Des collages en sont le point de départ, réalisés à partir d’un livre trouvé dans une flaque d’eau dans le Fort d’Aubervilliers : Un magasin pittoresque, datéde 1848, où les nombreuses illustrations sont des gravures. On retrouve sur cette série d’assiettes des morceaux de collages Magasin Pittoresque.

C’est une manière de revisiter une vaisselle classique, celle des assiettes parlantes qui étaient au 19ème siècle comme des bandes dessinées, des morceaux d’Histoire (les faïences de Sarreguemines, Gien, Lunéville, etc.) témoignage illustré de la société de l’époque. La vaisselle pouvait être un média, une prise de parole. La gazette dans l’assiette.

PL : La plante surgit comme motif dans vos peintures aux couleurs vibrantes et chatoyantes. N’y-a-t-il pas là l’expression d’un attrait pour le délicat, l’éphémère et l’admiration que nous pouvons éprouver face aux fleurs ?

LF : Oui tout à fait, la couleur, la fragilité me touchent. 
Il s’agit également de parler de sexe et de mort.

Cela me fait penser à un texte qu’une amie, Lorraine Verner, historienne et théoricienne des arts, m’a gentiment envoyé après avoir vu mon exposition.

Il est extrait de la correspondance d’André Gide (avec Paul Valéry) en 1891
« Ce délire de croire que l’on peut cueillir son rêve, sans que la brusque cueillaison de ce corymbe chimérique n’en fasse déchoir les pétales au froid vent de la réalité. »

PL : Vos œuvres présentent également une dimension sociale forte, avec la présence de textes et un intérêt pour les situations de la vie de tous les jours. Vous pratiquez un art du collage qui vous permet ensuite de peindre avec un camaïeu de couleurs chatoyantes, fortes. Vos œuvres ont-elles pour vocation de mettre en lumière les petits détails auxquels on ne prête pas forcément attention ?

LF : Oui c’est toujours cette histoire de regard. Prendre le temps d’observer.
Il y a tant de grandeur dans l’infini petit.

J’aime travailler par séries, raconter des histoires avec différents points de vue, en résonnance avec notre réalité quotidienne et contemporaine.

Peinture, collage, écriture me permettent de répondre aux interrogations qui me viennent. L’humain en est le sujet principal.

PL : Une sculpture est également présente dans l’exposition, un être entre-deux. Comment celle-ci participe-elle du récit que vous proposez ?

C’est une cage thoracique, plus grande que nature. Elle a été réalisée, à quatre mains, pendant le confinement. Avec Jean-Michel cela faisait longtemps que nous voulions réaliser une pièce ensemble. Le confinement l’a rendu possible. Pour nous deux cela avait du sens de représenter cette partie du squelette, protectrice des organes vitaux comme les poumons, le cœur.

Nous l’avons faite avec ce que nous avions sous la main, deux vieilles Singer, des tissus, du fil de fer.

PL : Vous investissez à la fois une casemate, devenue espace d’exposition et son environnement extérieur. Vous avez installé des peintures cachées qui supposent qu’on prenne le temps de parcourir un vaste terrain à la végétation rudérale. Quel enjeu a pour vous cette scénographie ?

Ces sept peintures font partie d’une série : Fleur(x). C’est une réaction de femme, j’ai eu envie de réagir par rapport à l’utilisation de l’image sexuelle de la femme pour tout et n’importe quoi.

Par ces peintures je montre le sexe féminin comme une fleur parmi les fleurs.

Cette installation je l’ai pensée à partir du site. J’avais envie de « sortir » la peinture dans cet espace de nature difficile. Ce sont les impressions réduites des sept grandes toiles originelles aux fonds laqués, fragiles. Le sujet se prêtait à un regard un peu voyeur, ou intime. J’imaginai les gens se baisser, se rapprocher pour voir à travers les petites ouvertures faites dans la palissade.

Ces toiles sont comme des mandalas où le regard circule, empruntant à chaque fois un chemin différent comme dans un jardin.

PL : Avez-vous un rôle politique et un engagement spécifique en tant que femme artiste au Fort d’Aubervilliers ?

L’engagement est un fait : première femme artiste au Fort. Les hommes se sont amusés à me rendre la vie difficile, uriner sur ma porte, déposer des déchets devant mon atelier, voler le câble électrique etc…aujourd’hui une de mes œuvres (un croquis écrit) a été découpée pour en faire une nappe et y boire des coups. Là on s’attaque à ma création.

Quand j’ai choisi « Une femme au Fort » comme titre de cette exposition je savais que je m’exposais, il est en lui-même un engagement. C’est le rôle de l’art, faire bouger, réagir, arrêter d’être des moutons ou des pigeons.

Heureusement j’ai le bonheur d’avoir des hommes magnifiques auprès de moi, mon mari Jean-Michel, mes fils Noé et Eliot (artistes musiciens) et beaucoup d’autres comme Mickaël Faure directeur de l’école des beaux-arts de Versailles et artiste, qui m’a beaucoup aidé sur les « croquis écrits », à la virgule près et ça n’est pas rien. Le combat féminin aujourd’hui ne peut se faire qu’avec eux, en tout cas c’est ce que je pense, et ce que je vis.

Vue de l'exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort  photo : Noé Pradel-Fraysse
Vue de l’exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort photo : Noé Pradel-Fraysse
Vue de l'exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort  photo : Noé Pradel-Fraysse
Vue de l’exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort photo : Noé Pradel-Fraysse
Vue de l'exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort  photo : Noé Pradel-Fraysse
Vue de l’exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort photo : Laurence Favory
Vue de l'exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort  photo : Noé Pradel-Fraysse
Vue de l’exposition Laurence Favory, Une Femme au Fort photo : Noé Pradel-Fraysse

LAURENCE FAVORY – BIOGRAPHIE
Laurence Favory est née en 1962 à Paris.
Vit et travaille à Paris et au Fort d’Aubervilliers
Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris section peinture (1988).
http://www.laurencefavory.net/index.html

https://www.tourisme-plainecommune-paris.com/que-faire/ou-sortir/agenda/une-femme-au-fort-2901553