LÉLIA DEMOISY : DES SCULPTURES, HYBRIDES DE NATURE

LÉLIA DEMOISY : DES SCULPTURES, HYBRIDES DE NATURE

Lélia Demoisy, Architecture, 2020. Bois de cèdre rouge, gomme laque, 90 x 220 x 90 cm 

PORTRAIT D’ARTISTE / Lélia Demoisy
par Pauline Lisowski 

Des sculptures, hybrides de nature

Après un parcours à l’école des arts décoratifs de Paris avec pour spécialité la scénographie, Lélia Demoisy décide de se consacrer à une pratique artistique de la sculpture à l’installation. Ses oeuvres oscillent de l’échelle de la graine à celle de l’espace extérieur. L’artiste nous fait réfléchir à notre posture d’être humain envers la nature, les végétaux et les arbres. Elle recueille, prend soin de différents bois et développe des techniques de façonnage de matériaux afin de leur donner une souplesse ou une rigidité. Ses travaux confrontent les espèces d’arbre avec l’acier et d’autres matières vivantes, plumes, peau, dents…. Ceux-ci présentent ainsi une ambiguïté entre la vraie nature et l’élément sculpté. 

Entre la délicatesse des lignes et le poids des matériaux, une tension rappelle la force et la fragilité du bois. Lélia Demoisy cultive une ambivalence entre les matières et les sensations, de la douceur des rondeurs au piquant de ses lignes d’acier. 

Les associations d’éléments évoquent des sutures, des réparations, une renaissance. Au fur et à mesure qu’elle modèle ses bois, elle tente de révéler une « beauté naturelle ». Son geste de sculptrice s’arrête dès que forme et matière fusionnent. Un nouvel être apparait alors pour nous faire songer à nos manières de maîtriser les arbres, ces êtres qui grandissent, poussent et communiquent entre eux. 

Sa série Silva Adamas La forêt d’acier relève à la fois d’un élan vers le haut et d’un développement de racines. Ses arborescences témoignent des formations naturelles, de notre attirance pour celles-ci. L’artiste tente des relations entre le vivant et le travail de l’Homme. À l’intérieur des lieux d’exposition, ses sculptures, êtres hybrides, paraissent prises au piège. L’arbre est figé dans sa croissance par les pousses et ses racines, en acier. À l’extérieur, ses sculptures prennent racine parmi la végétation qui les entoure et évoquent de nouvelles espèces, association de plusieurs, qui s’apportent les unes les autres. 

Sa série des Semis suggère un noyau protégé, surgissant ou même dévoré par des tiges d’acier. Ses oeuvres renvoient à la naissance et à la croissance du végétal, à la graine. Celles-ci convoquent un potentiel mouvement, un corps qui pourrait grandir et créer ses propres protections. 

Elle combine également les propriétés de la plante avec celles de l’animal. Dans la série Anima les formes rondes font écho aussi bien à celui-ci qu’à un élément organique. Lepus sollicite le toucher d’une matière, nouvelle peau, pour ressentir l’intérieur, l’inaccessible. Pinus, assemblage de morceaux de pommes de pin, recouverts de feuilles d’argent suggère une chrysalide, le développement d’un être, sa coquille, en transformation. L’artiste va jusqu’à conserver des couronnes de dents en céramique et les insère dans ses pièces en bois polis avec Dentine. Ces éléments deviennent bourgeons. Elle combine ainsi deux règnes pour révéler ce qu’est un individu, de la plante, à l’homme ou l’animal. 

Les explorations de contrées lointaines nourrissent sa démarche et le dépaysement procurent de nouvelles sensations donnant suite à des rencontres. Récemment, son voyage en Patagonie, lui a permis d’appréhender l’approche d’un peuple colonisateur de ces terres, envers les éléments de la nature. Elle a développé un travail artistique d’autant plus ancré dans l’histoire de la géographie du territoire qu’elle a parcouru en utilisant des essences locales de bois. Elle y a découvert des textes qui décrivaient l’urbanisation tracée au cordeau de ce pays. D’où sont nées les oeuvres Dividir la naturaliza en cuadras, des pièces qui s’apparentent à celles d’un jeu d’échec et suggèrent une nature domestiquée. Ses oeuvres présentent des dimensions cartographiques, telle la représentation de la topographie d’un lieu en volume. Les pièces Cajitas sont comme des petites boîtes et s’apparentent à un duo d’éléments, une paire d’objets, devenus précieux par la présence du métal. 

Les forêts pétrifiées en Argentine l’ont incitée à s’attacher aux bois fossilisés et à faire surgir la transformation de la matière issue de l’arbre en pierres. L’installation Fossilisation forcée convoque une archéologie de la matière. Composée de fragments de bois issus d’un tronc de cèdre en train de sécher, puis débité, qu’elle a sculpté, brulé, frotté, rebrulé puis enduit d’huile de lin, cette oeuvre donne à voir le cycle du vivant. 

Toujours en quête de nouvelles techniques à expérimenter, ses sérigraphies présentent Usnea Barbata, un lichen qui pousse sur les arbres. À partir de dessins de qu’elle assemble et compose, elle a créé plusieurs variantes de cette plante qui par différents niveaux de verts évoquent l’apparition spontanée du vivant dans des endroits initialement stériles. Ses Etudes sur l’émergence s’apparentent à des planches d’herbier et nécessitent un déplacement du regard des plus fin pour observer leur apparition et la vie que ces plantes incarnent. 

L’architecture, la structure de l’arbre qu’elle met en évidence dans ses oeuvres se remarque également dans d’autres êtres vivants. Le corps de l’arbre s’apparente à celui de l’animal et à celui de l’homme. Architecture réalisée à partir de branches de de Thuya suspendues suggère un squelette d’animal. 

L’artiste cherche le décalage et efface les gestes du travail pour préserver les propriétés de chaque essence de bois qu’elle récolte et sculpte. Par ailleurs, elle préfère s’abstraire de la présence du socle pour présenter ses sculptures. Celles-ci pouvant ainsi d’autant plus nous inciter à nous donner envie de les prendre dans nos mains. D’autres sont considérées avec une approche quasi scientifique à la manière d’un cabinet de curiosité. Elles inspirent à être contemplées, étudiées tout comme Olea serpens, qui peut prendre la forme d’un vocabulaire de signes graphiques. 

Il y a dans son travail des matériaux, une réflexion sur les ressemblances entre les règnes de l’ensemble des êtres vivants. D’où surgissent des émotions, des souvenirs, des sensations. Ses oeuvres témoignent de son expérience de contact avec le végétal et l’animal. Elles associent la main de l’homme et les processus de croissance des éléments pour nous inviter à un retour aux origines d’une proximité entre l’homme et la nature. 

Pauline Lisowski 

Lélia Demoisy, Lepus, 2019   Peau de lapin et bois de bouleau  25 x 35 x 22 cm
Lélia Demoisy, Lepus, 2019 Peau de lapin et bois de bouleau 25 x 35 x 22 cm
Lélia Demoisy, Fossilisation forcée, 2020   Bois de cèdre bleu  Transformation d'un tronc de cèdre bleu de 3 m de long et de 70 cm de diamètre en un tas de pierre  s'étalant sur une surface de 8 m². Un micro paysage minéral, carbonisé, qui a pourtant bien été vivant.
Lélia Demoisy, Fossilisation forcée, 2020 Bois de cèdre bleu
Transformation d’un tronc de cèdre bleu de 3 m de long et de 70 cm de diamètre en un tas de pierre s’étalant sur une surface de 8 m². Un micro paysage minéral, carbonisé, qui a pourtant bien été vivant.
Lélia Demoisy, Dentine, 2019   Céramique et bois de prunus
Lélia Demoisy, Dentine, 2019 Céramique et bois de prunus
Lélia Demoisy, ​Chrysalide, 2018   Pomme de pin et feuille d'argent  22 x 40 x 25 cm
Lélia Demoisy, ​Chrysalide, 2018 Pomme de pin et feuille d’argent 22 x 40 x 25 cm