Les éditions extensibles

Les éditions extensibles

ÉDITION / Les éditions extensibles, dirigées par Sébastien Souchon et Adrien van Melle

Le parcours de Sébastien Souchon et d’Adrien van Melle est exemplaire de celui de jeunes artistes qui, récemment sortis d’une école d’art, s’engagent au travers de multiples expériences et développent des projets dans les domaines du commissariat d’exposition ou de l’édition. Une manière de traverser ces premières années professionnelles qui suivent la scolarité sans s’aliéner à une manière de faire, de revêtir et de solidariser ces identités multiples qui régissent et unissent de plus en plus les champs de la création. Les artistes émergents ont, par nécessité, acquis cette capacité à maîtriser de nombreux outils, des arts plastiques, du langage ou du multimédia. Les éditions extensibles et leurs collections créées et dirigées par Sébastien Souchon et Adrien van Melle nourrissent les facettes de leur riche parcours qui se concentre autour du domaine du langage et plus particulièrement de l’écriture de fiction. Composés de récits écrits par des artistes plasticiens, les recueils Sur la page, abandonnés, prennent, sous la sélection et la direction éditoriale de Sébastien Souchon et d’Adrien van Melle, la dimension d’œuvres plastiques au travers des expositions qui leurs succèdent. Des récits purement fictionnels, d’anticipation ou en forme d’autobiographie dans lesquels il nous semble retrouver la figure de l’artiste de manière émouvante. Une autre manière de s’exposer, de se révéler et de façonner sa propre existence. Chaque année, une exposition collective accompagne cette publication et renforce le lien entre écriture fictionnelle et production plastique. Un prolongement de l’écriture que l’on retrouve également dans VOLUME un concept d’exposition qui repose sur la correspondance de récits entre Sébastien Souchon, Adrien van Melle et un artiste invité. Depuis peu, un programme de résidence est également proposé AU LIEU, l’espace de travail et d’exposition des éditions extensibles. 

Quel est le point de départ des éditions extensibles ?

Sébastien Souchon : Les éditions extensibles sont un territoire de dialogue. Il existe tout un environnement satellitaire d’écrits autour de l’oeuvre d’art, des penseurs, qui pour beaucoup ne sont pas artistes. Des philosophes, critiques ou écrivains qui apportent une transversalité par la théorie et permettent aux plasticiens de penser leur oeuvre. Nous voulions toutefois échapper à la fusion entre littérature et critique d’art, écriture et oeuvre conceptuelle ou de la critique performée pour amener un contenu plus proche du domaine littéraire qui soit de l’ordre de la fiction. Un projet qui, dès sa création, a été pensé pour s’ouvrir sur des expositions et proposer des résidences avec toujours l’envie quelle que soit la forme, d’appliquer la fiction dans ces territoires et de les développer en rapport avec l’écriture. Nous avons commencé Adrien et moi par une correspondance initiée par un premier texte de fiction auquel l’autre a répondu. Un échange qui s’est poursuivi de texte en texte en s’appuyant à chaque fois sur un point de récit. Nous avons pu, à travers cet exercice de formats courts, expérimenter plusieurs formes d’écriture très épanouissantes. Nous avons alors cherché d’autres artistes intéressés par la question littéraire et les avons invités à nous envoyer des textes de fiction accompagnés d’un travail lui-même influencé par la littérature. C’est ainsi que nous avons conçu le premier volume du recueil Sur la page, abandonnés.

Cette notion de fiction était-elle déjà présente dans vos propres réflexions et productions ?

Adrien van Melle : Nous devrions situer cet intérêt sur le récit qui est un terme plus général que celui de fiction. Nous sommes sensibles au fait que l’œuvre soit porteuse d’un bout de littérature, que ce soit d’un mot ou d’un court texte. Aux Beaux-Arts de Paris, j’intégrais des textes à mes dispositifs comme pour Une et trois chaises, Jules Wouters (2018) avec ce principe de rencontre entre œuvre et texte. Sébastien donnait une grande importance aux mots en imbriquant du récit dans des œuvres qui se répondent. Nous avions toujours eu cette tentation d’aller vers d’autres médiums à travers le récit littéraire, cinématographique, la performance et les arts vivants… tout en restant dans le champ des arts plastiques.

Sébastien : La fonction fictionnelle enrichit nos travaux respectifs en tant que plasticiens d’une multiplicité de prismes. Les personnages nous permettent d’affirmer des personnalités et des identités très diverses. Dans les œuvres d’Adrien, elles se muent en artistes qui ont tous une histoire personnelle qui évolue dans le temps comme ce personnage fictif, Jules Wouters, qui est artiste et dont Adrien présente un récit dans le second volume des correspondances, de mon côté il est question d’un écrivain Lubomir Hodzic qui, dans un contexte d’anticipation, a racheté mon nom et écrit des ouvrages de science fiction dans une revue régionale. Nos personnages évoluent au rythme de nos écrits et de nos projets et alimentent des récits, sous forme de textes et d’expositions.

Est-ce une façon de nous parler de l’artiste d’aujourd’hui, de rendre compte de sa vie ?

Adrien :  Nous sommes dans une construction d’histoires complexes mais pas inaccessibles, hors des productions codées telles qu’elles peuvent être façonnées par un certain monde de l’art contemporain. Des histoires qui ne sont plus détachées de l’artiste mais en rapport avec sa personnalité et ses goûts.  Nous même, tout en poursuivant nos recherches artistiques, nous avons monté une maison d’édition, créé un lieu d’exposition et de résidence artistique, exerçant à la fois dans le milieu associatif et professionnel. Nous retrouvons dans nos travaux plastiques et littéraires, la vie explosée de l’artiste d’aujourd’hui.

Sébastien : Ces activités multiples autour de l’édition et de la création artistique (pratique plasticienne, commissariats, écriture) posent en effet la question de l’autorité qui se déploie et confère à l’artiste un statut d’auteur qui passe par différents médias. Il est pertinent d’évoquer une vision, une sensibilité ou un goût qui ne s’exerce pas uniquement dans le contexte de l’exposition, mais peut tout aussi bien s’exécuter dans un champ plus littéraire, voire dans un processus éditorial de choix d’artistes portés sur telle ou telle question pour travailler ensemble à une problématique artistico-littéraire. Nous défendons une position d’auteurs par le prisme des éditions. Ce qui ne fait pas de nous des éditeurs pour autant car nous n’intervenons pas sur le contenu des écrits mais nous produisons les services nécessaires à l’existence d’un projet qui fédère des plasticiens qui ont des préoccupations communes.

Quels sont ces artistes qui ont répondu à votre appel à candidature pour Sur la page, abandonnés ?

Adrien : Il s’agit majoritairement d’artistes de notre génération et issus d’écoles d’art françaises, suisses ou belges. Nous avons aujourd’hui publié et exposé près de quatre vingt artistes. Nous avons eu le plaisir de travailler à plusieurs reprises et sur divers projets avec certains d’entre eux. Pour nombre de ces artistes, il s’agissait d’une première publication.

Sébastien : Rendre leur écriture publique nous donne une entrée plus confidentielle dans la rencontre avec leur pensée. Dans les écoles d’art s’enseigne souvent un discours critique qui engendre une approche très consciente de ce que nous faisons, idem pour les textes de dossiers de candidature, etc. Nous prenons de fait le contre-pied de ce rapport récurrent au texte et nous encourageons une approche plus sincère, plus intime. 

Ils nous invitent dans cet intervalle entre autobiographie, autofiction, récit de fiction…

Adrien : Ce parti pris du récit nous a permis de garder cette part intimiste et de refuser les travaux d’écriture conceptuels, trop formalistes ou discursifs, qui auraient pu être perçus comme le pur prolongement d’œuvres elles aussi conceptuelles. Des formes trop impersonnelles, car elles aussi très codifiées, dont se sont emparées depuis longtemps les artistes d’art contemporain. Nous voulions voir des barrières s’effondrer et libérer l’écriture avec le récit. Une manière de retrouver une authenticité quand on sait que beaucoup de sortants d’école d’art ont développé une identité et un regard critique avant même de savoir de quoi ils allaient avoir envie de parler. 

Sébastien : Dans un récit, il plus difficile de tricher. Nous voulions donner une lourdeur à l’inscription de soi dans l’écriture. Une manière d’avancer à découvert sans technique d’apparat. Nous ont rejoint beaucoup d’artistes qui partagent cette approche.

Sébastien Souchon et Adrien van Melle, exposition Sur la page, abandonnés vol.3 Au Lieu Paris mai 2019
Sébastien Souchon et Adrien van Melle, exposition Sur la page, abandonnés vol.3
Au Lieu Paris mai 2019

Le cycle d’expositions Sur la page, abandonnés est-il un moyen de rendre compte d’un travail plastique avec pour point d’appui les écrits qui ont été édités en amont ?

Adrien : Il a toujours été évident pour nous de présenter les œuvres dans un contexte d’exposition et non de manière illustrative dans la collection Sur la page, abandonnés. Le format de recueil a pour objet de publier des textes purement littéraires et d’oublier dans un premier temps le travail plastique des artistes. Lors des deux premières expositions, nous avons voulu que les œuvres ne soient pas directement reliées aux textes publiés quelques mois plus tôt. Des écrits qui, sans avoir de connexions directes, nous éclairent beaucoup et nous donnent une lecture plus intéressante des travaux. Sans être des écrivains, il ressort quelque chose de spontané, avec parfois des maladresses, qui nous donne accès à l’intimité des artistes.

La création de la résidence VERSION D’ESSAI est une manière d’ancrer toujours plus ce partage d’un même intérêt pour l’écriture ?

Sébastien : La résidence VERSION D’ESSAI est une invitation faite à un artiste écrivain à travailler chez nous pendant deux mois pour réaliser une exposition et une édition. Notre choix, pour ce premier appel à candidature, s’est porté sur Mélanie Yvon, une auteure dont le récit entre complètement en correspondance avec son travail plastique sans que l’un soit la simple illustration de l’autre.

Adrien : Grâce au support de la Ville de Paris, Mélanie Yvon a été sélectionnée pour être notre première résidente. Elle fait de la performance, de l’installation et elle a déjà publié un roman. Elle réfléchit à ce lien entre oeuvre et littérature depuis longtemps. Nous l’avons accueillie AU LIEU où elle a pu disposer d’un espace de travail, d’un bureau et d’un budget. Elle a été complètement libre dans sa production.

Lancement Sur la page, abandonnés vol.3 librairie du Palais de Tokyo Paris
Lancement Sur la page, abandonnés vol.3 librairie du Palais de Tokyo Paris

Quels sont vos prochains projets ?

Adrien : Le prochain événement AU LIEU sera l’exposition Sur la page, abandonnés volume 3 qui regroupe vingt et un artistes. Dans le même temps, nous travaillons à des performances en duo. Après avoir performé ces dernières semaines au WIELS à Bruxelles et dans la librairie du Palais de Tokyo lors de nos lancements nous réitérerons l’expérience pour le finissage du salon de Montrouge.

Sébastien : Nous avons également sur le feu quelques publications d’objets intégrés à des fictions au sein d’une collection nommée Objet Fictionnel. Enfin, nous avons récemment monté une micro librairie dans la galerie d’AU LIEU avec nos publications et des livres d’artistes avec lesquels nous avons travaillés. Nous avons très envie de continuer à l’enrichir d’ouvrages qui nous plaisent, c’est aussi une partie très enthousiasmante !

Propos de Sébastien Souchon et Adrien van Melle recueillis par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © Point contemporain 2019

AU LIEU,
ÉDITIONS EXTENSIBLES
44 RUE BOURET
75019 PARIS
www.leseditionsextensibles.com