Les mystérieux dispositifs d’Annabel Aoun Blanco

Les mystérieux dispositifs d’Annabel Aoun Blanco

Annabel AOUN BLANCO, desvoilés, série de 14 images, 2016
© Annabel Aoun Blanco

EN DIRECT / Exposition « Éloigne moi de toi » d’Annabel Aoun Blanco du 27 avril au 29 décembre 2019 au Musée Réattu Arles
Par Margot Rouas, collectif 1 :61

« Annabel Aoun Blanco définit un genre nouveau d’image qu’on pourrait appeler “l’apparition disparaissante“, si cet adjectif si convenable pour la qualifier existait. »
Extrait du catalogue de l’exposition, Robert Pujade,
« À la recherche du souvenir Pur »

Déambuler au sein de l’exposition « Éloigne moi de toi » au Musée Réattu, c’est découvrir des images teintées de magie. Magie : tel est le mot qu’emploie la photographe-vidéaste plasticienne pour décrire ses mystérieuses apparitions/disparitions de visages. Nul besoin de connaître précisément la technique ou le processus1 pour entrer dans son œuvre qui interroge des notions universelles : la vie/ la mort, la mémoire/ l’oubli, le temps et l’espace. 

L’exposition porte en son nom – Éloigne moi de toi – toute l’ambivalence de ce projet artistique dont l’enjeu repose en grande partie sur le rapport à l’autre. Ce titre parle autant de distance, de séparation et d’absence, que de relation, de singularité et de regard. Annabel Aoun Blanco2 part d’un lien très particulier à ses modèles et entretient cette complexité tout au long de son travail. Elle ouvre ainsi tout un ensemble de réflexions sur la réalité, l’acte de représenter et sur l’image : Que fait l’image ? Qui crée l’image ? L’image préexiste-t-elle ou apparaît-elle dans les yeux de celui qui regarde? Qu’est-ce qui fait exister l’autre ? 

Toutes ces questions surgissent devant la révélation progressive et cyclique de la figure humaine, qui va parfois jusqu’à la disparition complète du sujet comme le diptyque Éloigne moi de toi. 

Annabel Aoun Blanco, Éloigne moi de toi, diptyque, tirages Fine Art contrecollés sur dibond noir, 40x31,6 cm chaque, 2017 © Annabel Aoun Blanco
Annabel Aoun Blanco, Éloigne moi de toi, diptyque, 2017
Tirages Fine Art contrecollés sur dibond noir, 40×31,6 cm chaque
© Annabel Aoun Blanco

Dès lors, en concevant son projet autour de différents cycles, ses images évoquent le souvenir et l’oubli. Nombreuses sont les séries qui effacent progressivement les traits des modèles et qui soulèvent une pensée autour de la représentation ou de l’impossibilité de représenter, amenant chacun à se questionner sur la manière dont on se symbolise l’autre dans sa singularité. 

Et c’est aussi d’une réflexion sur la mort qu’il s’agit, autant du point de vue du modèle, de l’artiste que du spectateur. La « micro expérience de la mort » du modèle face à l’objectif décrite par Roland Barthes semble ici se confirmer à mesure que le modèle perd lentement son identité pour se retrouver dans l’anonymat. L’artiste se confronte, pour sa part, à la fabrication d’empreintes de modèles vivants pour tenter de saisir une forme d’universalité de la figure. On comprend alors qu’une étrange aura émane devant ces visages qui rappellent les masques mortuaires et perturbent profondément nos repères : trouble de l’identité, du temps, de l’espace.

Annabel Aoun Blanco, Coups après coups, série de 4 photographies, tirages Fine Art contrecollés sur dibond noir, 60x40 cm chaque, 2017, © Annabel Aoun Blanco
Annabel Aoun Blanco, Coups après coups, série de 4 photographies, 2017
Tirages Fine Art contrecollés sur dibond noir, 60×40 cm chaque
© Annabel Aoun Blanco

Si Annabel Aoun Blanco parvient si aisément à ouvrir des questionnements, c’est aussi parce qu’elle joue constamment avec différents médiums. Elle hybride photos et vidéos qu’elle interroge en se référant à l’idée platonicienne : « le temps est l’image mobile de l’éternité immobile. » La photo serait cette « éternité immobile » et la vidéo cette « image mobile » ; mais leur va et vient instaure une dynamique intrigante. Aussi l’artiste accorde-t-elle une place éminente au geste et à l’écrit : chaque titre faisant écho à l’action de l’artiste (Caresses) sur la matière : eau, lait, plâtre, sable, cendre, etc. 

Grâce à ses propositions singulières, l’exposition « Éloigne moi de toi » présente des approches plastiques et conceptuelles. Elle appelle des lectures allant de la sémiologie à la phénoménologie, tout en faisant écho à des textes majeurs de l’histoire de l’art, comme ceux de Hans Belting sur l’image (La vraie image : Croire aux images ?). Pour autant, loin de délaisser l’émotion, ces œuvres – exposées pour la première fois dans une institution de renom dirigée par Daniel Rouvier – effleurent souvent une spiritualité. Le bâtiment du Musée Réattu contribue enfin manifestement à susciter ces sentiments devant des œuvres qui, on l’espère, en émouvront plus d’un… 

1 Le spectateur curieux pourra néanmoins retrouver des explications plus approfondies au sein du catalogue de l’exposition. http://www.museereattu.arles.fr
2 Annabel Aoun Blanco, d’origine franco-libano-vénézuélienne, est née en 1987 à Paris. Formée à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne (EESAB), Rennes, elle vit et travaille à Paris. Elle est représentée par la Galerie Agathe Gaillard à Paris. 

Margot Rouas

Annabel Aoun Blanco, Caresses, tirage Fine Art contrecollé sur dibond blanc, 90x60 cm, 2017, © Annabel Aoun Blanco
Annabel Aoun Blanco, Caresses, 2017
Tirage Fine Art contrecollé sur dibond blanc, 90×60 cm
© Annabel Aoun Blanco