Maël Nozahic, arsenic et vieilles dentelles

Maël Nozahic, arsenic et vieilles dentelles

Maël Nozahic, Les oiseaux, technique mixte sur canivet, 7,6 x11,9 cm, 2013. Courtesy artiste

Reconnaissables à leurs bords dentelés, les Canivets de Maël Nozahic n’ont plus rien des saintes images retrouvées dans les affaires de sa grand-mère. Dans cette série où l’artiste pratique le collage, le repeint et le caviardage, les attributs de la religion catholique sont mis à mal et détournés de leurs dimensions exemplaires. Les martyres des saints ou la passion du Christ sont représentés à la façon cauchemardesque de Bosch, manière pour l’artiste d’en souligner la violence. La croix, les stigmates, traduisent une vision doloriste de la religion que l’habitude et des siècles de culte semblent avoir fait oublier. En isolant certains mots de prière et des expressions de soumission une dimension masochiste émerge même du rituel. La rémission des péchés, le pardon passe par un abandon du croyant à sa foi mais aussi par la souffrance dont le champ lexical est particulièrement développé.

Si la vie terrestre s’apparente à la traversée de la vallée de larmes, la religion catholique assure un paradis à ceux qui auront mis leurs pas dans les traces du Christ, à ceux qui auront obéit aux dogmes de l’église. Cette forme d’institution de la douleur transparait dans ces simples cartes et le vouvoiement dévoué est le reflet d’un rapport hiérarchique à une autorité morale supérieure. Les fluides, larmes ou sang, sont les preuves extrêmes de la dévotion et le coeur un emblème de foi. Maël Nozahic réactive ces images viscérales destinées à marquer durablement le croyant pour mieux s’en affranchir. Il s’agit de s’approprier un héritage et de refuser, parfois de façon potache, un rapport dévotionnel à l’image. Les centaines de canivets que l’on retrouve ainsi dans les braderies et vide-greniers laissent entrevoir l’empreinte sur plusieurs générations de l’iconographie populaire catholique.

Témoin d’une pratique collective autant que d’une foi individuelle, les canivets et leur production industrielle en disent long sur la dépendance de la société occidentale aux images et sa relation à la spiritualité. Complètement kitsch, ces cartes le plus souvent personnalisées d’un mot s’échangaient lors de moments particuliers. Baptême, communion, mariage ou deuil s’accompagnent de prières de circonstance. Au gré d’évènements familiaux et du temps liturgique ces images pieuses s’intercalent à une vie ordinaire, en marque page par exemple. Le réemploi de Maël Nozahic nous interroge sur cette manière a priori innocente, anodine de prolonger une éducation, de circonscrire une communauté. L’artiste en subvertissant cette forme, se joue ainsi de ces rappels constants à la vertu et à la moralité.

La colombe, symbole du Saint Esprit en prend ainsi pour son grade dans ces collages, tout comme les anges. Associées à des oiseaux dignes d’Hitchcock, ces créatures ailées deviennent des figures de cauchemar. Les associations surréalistes en font sinon des oiseaux de mauvais augure des messagers ambigus. D’autres séries sur papier de Maël Nozahic comme Céleste(s) ou Volatile réemploient des fragments de canivets dans une démarche syncrétique où affleure le surnaturel. Il y a quelque chose de magique dans cette manière de rallier dans la même image des idoles préhistoriques, des oiseaux et des figures de saints. L’artiste conçoit ainsi des grigris et met en image de nouveaux rites païens ; une manière de faire appel à notre sens du profane et de redéfinir hors d’une quelconque religion la notion de sacré.

Texte Henri Guette © 2018

Maël Nozahic, Le feu, technique mixte sur canivet, 8,2 x 12,4 cm, 2017. Courtesy artiste.
Maël Nozahic, Le feu, technique mixte sur canivet, 8,2 x 12,4 cm, 2017. Courtesy artiste.