MANU LI WANXU

MANU LI WANXU

PORTRAIT D’ARTISTE / Manu Li Wanxu dans le cadre de la Résidence à la bastide de Richeaume (avril-mai 2018) / Voyons Voir | art contemporain et territoire

Résidence d’artiste, hospitalité, rencontre – 21/09/2018 par Christian Dumon

Ces quelques lignes sont le résultat de nos fréquentes rencontres avec Manu Li Wanxu, pendant le temps de sa résidence et après : je ne me place pas en expert artistique, mais en partenaire de cette résidence, dans le rapport d’hospitalité, dans la relation humaine qui s’établit entre l’artiste invité et ses hôtes. 

Souvenirs partagés 

La famille de Manu Li Wanxu, d’origine coréenne, résidait dans un petit village du Nord-Est de la Chine, dans une sorte de lotissement, chaque terrain étant délimité par des clôtures. La maison de son grand-père était placée sur le même terrain que celle de ses parents. Très jeune, pour suivre sa scolarité, il a dû aller vivre dans un village voisin, en pension chez des cousins. Ce fut sa première expérience de l’éloignement, d’une forme d’exil, qui l’a préparé à sa vie actuelle. Et, c’est à Richeaume, que, paradoxalement, il s’est retrouvé en terrain connu, dans la mémoire des sensations de son enfance en Chine. La petite maison qu’il a occupée pendant quelques semaines au printemps dernier, se situe à proximité de deux autres maisons : les trois maisons, formant les trois sommets d’un triangle, sont raccordées par de petits sentiers, tracés dans l’herbe par le passage répété des petits-enfants, des grands-parents, des parents, d’une maison à l’autre. En parlant avec lui, nos souvenirs d’enfance remontaient à la surface ; au pied de sainte Victoire, nous partagions avec lui, en quelque sorte, une mémoire de la Chine du nord-est. 

 Un projet en mouvement. 

Comme le rappelle très justement Pierre Oudart, directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille et commissaire de la résidence, il y avait au départ, d’un côté son dossier de candidature et de l’autre la réalité, une « réalité qui défie la fiction, qui créait une situation artistique nouvelle et forte ! Comment Manu allait-il intégrer cette situation imprévue dans son travail ? L’enjeu pour un artiste en résidence, est de savoir adapter, et même modifier son projet en fonction du contexte. Cela, même certains artistes confirmés éprouvent parfois des difficultés à le faire. Manu Li Wanxu y est parvenu. » Je partage complètement cette intuition de Pierre Oudart, exprimée en juillet dernier, à l’occasion de la sortie de résidence. 

Manu Li Wanxu a tout de suite annoncé que son projet n’était pas enfermé dans le produit matériel, cette « Serre », cette maison en torchis d’argile rouge, évoquant la maison de ses parents en Chine du nord-est, qui fut présentée au public lors de la journée inaugurale de sortie de résidence. Le processus était selon lui, plus important que le produit matériel. Pas seulement le processus, mais aussi le vide autour de l’objet, l’espace, le paysage…. Pas seulement, l’espace, mais aussi le temps, le caractère éphémère de cette structure de torchis d’argile et de paille, que chaque gros orage sculpte et détruit progressivement… Pas seulement l’espace et le temps, mais aussi la question de l’identité : qui est l’artiste, qui crée, qui s’exprime dans cette confrontation au lieu, à l’environnement physique et humain ? 

L’espace de la résidence 

Avant son séjour à l’Ecole des Beaux Arts de Marseille, Manu Li Wanxu a travaillé cinq ans à Pékin, dans une galerie d’art, où il était chargé du contact entre artistes et clients, chargé de l’accrochage des oeuvres, de la mise en page des catalogues et des brochures. Graphiste de formation, il fournissait un service de qualité, qui convenait en général au galeriste comme aux artistes. Mais lorsqu’il interrogeait les artistes sur le sens de leur travail, pour mieux en assurer la médiation, il n’obtenait que des réponses incomplètes. La plupart des artistes semblaient ne pas avoir de demande particulière, mise à part la réussite commerciale de leur exposition. Les oeuvres, une fois produites, étaient en apparence réduites à des objets décoratifs sans contenu, l’accrochage sur les murs de la galerie, comme la mise en page dans les brochures, ne répondant qu’à une demande décorative superficielle. 

C’est à l’Ecole des Beaux Arts de Marseille que Manu Li Wanxu a pris conscience de l’importance de l’espace pour l’oeuvre d’art : l’espace, la circulation du visiteur est en réalité, un des « matériaux » de l’oeuvre d’art. Il exploite son expérience dans la galerie de Pékin, mais « en sens opposé ». Il se confronte à l’espace comme à tous les matériaux qu’il emploie. En photo, il voit la nécessité de décentrer le sujet, de même que la calligraphie chinoise traditionnelle insiste sur la notion centrale du vide. 

La première question qu’il s’est naturellement posée en découvrant l’espace de sa résidence a été de trouver un emplacement pour son projet de « Serre ». La petite construction de torchis d’argile rouge, semblait bien hors d’échelle, à côté du paysage de vignes de la plaine de l’Arc, dominée par la chaîne de sainte Victoire, longue de 15 kilomètres, haute de plus de mille mètres. Même en réduisant l’espace au terrain proche, il devait décider où l’implanter : dans le triangle délimité par les trois maisons, par rapport aux croisements de chemins, chemins à voitures, petits sentiers sinueux, tracés par le va-et-vient des divers membres de la famille, du petit-fils aux grands-parents. Deux autres lieux attiraient son attention à proximité : d’une part, la carrière d’argile de Richeaume sud, à 600 mètres de la bastide, exploitée par le groupe Monier pour une unité de production de tuiles à Marseille et, d’autre part, le site funéraire de l’ancienne villa romaine de Richeaume, à 100 mètres au nord. Coïncidence : les tombes romaines sont constituées de tuiles plates, d’argile rouge, en forme symbolique de maison souterraine. Manu Li Wanxu a ressenti très fortement la tension entre le bruit de la carrière d’argile, parcourue par de très gros engins, et le silence du site funéraire, de la nécropole romaine, que les archéologues ont dégagée et fouillée pendant dix ans avant de tout recouvrir de terre, en rétablissant la situation initiale. 

Finalement, Manu Li Wanxu a choisi la discrétion. Pour répondre à cette question d’emplacement de la « Serre », il a choisi de faire un geste qui ne dérange pas l’environnement, qui ne perturbe pas l’ambiance du lieu, mais qui soit inspiré par l’équilibre subtil entre les trois maisons. Et pour répondre à la tension entre la carrière et la nécropole romaine, il a aussi décidé de creuser un chemin étroit, rectiligne, à côté de la Serre, traversant la végétation exubérante du terrain sur une centaine de mètres, suivant une ligne virtuelle, qui part de la carrière d’argile pour se diriger vers la nécropole romaine. 

La « Serre », une forme simple, dans un matériau simple, intérieur/extérieur. 

Quoi de plus simple que la forme symbolique d’une maison ? Ce retour conscient vers la maison de torchis de son enfance est dénué de toute nostalgie. Il s’agit d’une forme symbolique, d’une sorte de maquette dont les proportions et les dimensions n’évoquent ni la maison de son enfance, qui orne ses cartes de visite, ni celles des maisons provençales. Quelque chose intrigue les observateurs : pourquoi la structure de bois, qui supporte les panneaux de torchis, est-elle à l’extérieur du volume de terre rouge et non cachée à l’intérieur, comme l’on pourrait s’y attendre ? Manu Li Wanxu fait alors un geste d’ouverture avec ses mains, comme s’il ouvrait une orange, pour en faire ressortir la pulpe intérieure. La peau de l’orange devient alors l’intérieur et la pulpe devient l’extérieur. La peau de torchis d’argile et de paille devient l’intérieur et la structure de bois devient l’extérieur. En permutant ainsi intérieur et extérieur, la « Serre », sorte d’autoportrait de l’artiste, inverse notre vision du monde. Manu Li Wanxu observe que dans cette vision suivant laquelle l’intérieur devient l’extérieur, tout l’espace environnant devient son être intérieur. L’espace entre les trois maisons, l’espace entre la carrière et la nécropole romaine, la chaîne de Sainte Victoire, la planète entière, le cosmos deviennent son être intérieur, son identité, son humanité. 

Le temps d’une résidence 

A côté de la notion d’espace et d’environnement, il y a évidemment la question du temps. Manu Li Wanxu évoque volontiers l’architecture, au coeur de sa démarche d’artiste. Il admire l’architecture occidentale, dans sa grande tradition de la pierre de taille, qui symbolise la longue durée, l’éternité, particulièrement dans l’architecture sacrée. A cette symbolique de stabilité, d’éternité, il oppose la notion de changement, d’un monde qui se transforme, dans la ligne de la tradition orientale. En Orient, les sanctuaires, les temples, souvent en bois, sont périodiquement reconstruits par chaque génération, en respectant une tradition vivante, en transformation permanente. Dans sa démarche d’artiste, Manu veut travailler dans l’éphémère, pour jouer avec la qualité et avec le temps, avec des matériaux simples, avec la banalité des matériaux de la vie quotidienne : tissus, grillage, assiettes, terre crue (et non cuite), torchis d’argile et de paille. Aujourd’hui, quelques mois après sa construction, le torchis d’argile et de paille de la « Serre » se creuse et se transforme à chaque orage violent, comme une sculpture vivante. 

Le temps de la résidence a été presqu’entièrement dédié à la fabrication des panneaux de torchis. Il a fallu triturer la masse d’argile et la mélanger à la paille. L’artiste opère à même le sol, à l’horizontale, déployant une armature souple faite d’un grillage à poule, doublé d’un tissu de jute, sur laquelle il étale l’argile malléable, chargée d’eau. Après quelques jours de séchage, aidé de quelques camarades des Beaux Arts, il a suspendu ces panneaux de torchis à la structure de bois. Ce travail de préparation représente pour Manu Li Wanxu un temps fort, comparable au temps de la cuisson en cuisine, ou au temps de fermentation du chou dans la fabrication du « Kimchi », plat coréen qui a inspiré plusieurs de ses oeuvres récentes. Le temps, comme l’espace, sont des matériaux de l’oeuvre. 

Résidence temporaire, résidence permanente, hospitalité 

Dans cette confrontation à l’espace et au temps de sa résidence, Manu Li Wanxu ouvre un dialogue avec ses hôtes. Il nous oblige à nous interroger avec lui : quelle est notre vocation, quel est le sens de notre vie, pour nous, ses hôtes, qui vivons en permanence dans ce lieu ? Il nous oblige à aller plus loin dans notre prise de conscience : quelle est notre identité profonde ? Nous qui, finalement comme lui, sommes de passage, pour un temps limité, dans cet espace d’argile rouge ? 

Christian Dumon
Administration dans le privé et dans le public ( Ministère de la Culture, Ville d’Aix-en-Provence)1970 – 1981 ;
au Ministère des Affaires étrangères de 1982 à 2011 – echanges culturels ; Stockholm, Cologne, Varsovie, Bruxelles, Stuttgart ; Négociations mondiales d’environnement, Paris, Tokyo, New York. Depuis 2012, retraité.

Manu Li Wanxu, La Serre
Manu Li Wanxu, La Serre, 2018
Manu Li Wanxu, La Serre, 2018
Manu Li Wanxu, Le Chemin, 2018
Manu Li Wanxu, La Serre, 2018
Manu Li Wanxu, La Serre, 2018

Manu Li Wanxu
Diplômé de Les Beaux Arts de Marseille en 2015

https://manuliwanxu.tumblr.com