MIREILLE BLANC [ENTRETIEN]

MIREILLE BLANC [ENTRETIEN]

« Mon travail porte sur l’aspect énigmatique du réel. Je peins la manière dont les objets du quotidien, à la fois étranges et familiers, m’apparaissent. » Mireille Blanc

Ancienne élève de Philippe Cognée aux Beaux-Arts de Paris, Mireille Blanc a développé un travail autour des notions de perception, de rendu, et de sensibilité. À partir d’images sources qu’elle recadre, elle extrait des motifs aux tonalités un peu surannées, parfois même kitsch, qu’elle travaille en peinture ou dessin. Guidée par son intuition, ses peintures dessinent un univers passé au filtre d’un temps révolu dont certains éléments restent définitivement brouillés.

Quelles sont les images sources à l’origine de tes travaux ?

J’ai un inventaire d’images venant d’horizons très différents : des objets divers, des photographies que je prends ou provenant d’albums de famille, des références à l’Histoire de l’Art. Je commence par faire de ces trouvailles toute une série de photographies que je retravaille longuement. Cette première étape nécessite parfois plus de temps que la peinture elle-même. J’en extrais des détails jusqu’à épuiser l’image d’origine, puis je soumets les sujets à la peinture.

Comment choisis-tu ces éléments ?

Il y a une grande part d’intuition. Ce sont des images ou objets qui m’interpellent pour leur aspect énigmatique – où quelque chose m’échappe. Puis, à partir de photographies, je cadre, plutôt que je ne compose. J’extirpe des fragments.

« Le recadrage, terme photographique, pose la question de l’objet duquel le motif est extrait. Le doute du visible et l’incertitude qui en découle créent une tension que je recherche. »

Quand je travaille à partir d’une photo, je rends visibles les caches qui me servent à déterminer mon cadrage, ainsi que les scotchs, les plis, etc, reprenant parfois l’ensemble en photo pour mettre encore un peu plus à distance le sujet. Je procède par filtres successifs.

Ces éléments « sources » font-ils référence à des micro-récits personnels ?

Je travaille contre toute narration – avec l’idée d’une peinture silencieuse. Mais il est évident que chacun peut y reconstituer ses propres histoires. Même en travaillant contre l’idée d’UN sujet, il est vrai qu’il y a tout de même des éléments récurrents dans mes travaux (motifs de vêtements, bibelots, gâteaux). Cela vient toujours d’une rencontre avec une image qui s’impose.

Parfois le motif se dissout, se perd dans la matière…
N’est-ce pas là que le tableau se joue et prend de la distance par rapport à l’image source ? 

Il y a de cela. J’épuise les images que j’utilise et je les fais tendre vers une « forme d’abstraction », un point où je ne sais plus moi-même à quoi j’ai à faire et où le regardeur ne peut plus immédiatement identifier ce qui est représenté.

Travailles-tu tes peintures à partir de dessins, de croquis ?

Je ne fais pas de dessins préparatoires, je réalise juste une esquisse au fusain sur la toile. Le dessin est pour moi une pratique parallèle à celle de la peinture. Mes fusains sur calque ont un mode d’élaboration vraiment différent des peintures. Si je peins une toile en une session pendant laquelle je reviens très peu sur les parties que j’ai peintes, le dessin sur calque peut être plus long car je procède par strates successives.

Pourquoi ton choix s’est porté sur le papier calque ?

J’aime sa texture, sans grain, très lisse, sa teinte grise, un peu moins impressionnante que peut l’être le papier blanc. Il a un aspect comparable à du papier photo ce qui renvoie aussi aux images sources que j’utilise. Enfin, ce gris initial rejoint un peu ma palette qui tend vers le gris.

Ta palette de peinture donne le sentiment d’être un peu voilée, diffuse… 

J’ai tendance, dans un premier temps, à désaturer mes images sources. Et même si j’utilise des bleus ou des jaunes très francs, je me rends compte qu’à la fin d’un temps de peinture ma palette est souvent grise. Elle évolue au rythme de ma séance de travail, je ne la nettoie pas. Hormis pour les grands formats, je travaille très souvent en une seule session, dans un temps très condensé. Mais même si mes couleurs paraissent sourdes, on perçoit en s’approchant de la toile des touches très colorées. J’utilise aussi depuis peu le spray pour venir parasiter et brouiller l’image, comme pour Fleurs Waïkiki.

« J’aime quand le motif n’est pas forcément identifiable, qu’il ne se révèle pas immédiatement. »

Est-ce par les titres des oeuvres, parfois énigmatiques, que l’on peut deviner ce détail originel que tu as volontairement brouillé ?

Pas toujours. Titrer une oeuvre est compliqué parce que je ne veux pas que le titre en dise trop ou qu’il nomme. Les titres peuvent mener sur une autre voie, je ne veux pas qu’ils soient trop narratifs. Composés souvent d’un mot, ils s’apparentent à un indice – d’ailleurs, quand je parle de ma peinture, je la définis comme indicielle.

Il y a un contraste entre la tonalité de ta palette et le choix des sujets… 

Les couleurs seraient celles du passé, et font ainsi référence à ces sujets de mémoire qui portent en eux l’idée de disparition. Sujets parfois très kitsch, avec des motifs improbables, comme certaines formes d’objets en porcelaine que j’ai pu connaître enfant. Des objets à la limite du repoussant mais qui éveillent mon intérêt pictural avec une matière assez jouissive à travailler.

Une matière d’ailleurs très dense…

Les cadrages sont souvent resserrés et la matière, en effet, dense ; il y a là pour moi une forme d’adéquation. Je m’intéresse à la dimension haptique, comme si le regard touchait

Texte initialement paru dans la revue Point contemporain #3 © Point contemporain 2017

Mireille Blanc.
Vit et travaille à Paris.

Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris.

Lauréate du Prix international de peinture Novembre à Vitry 2016.

www.mireilleblanc.com

 

Mireille Blenc Fleurs Waïkiki, 2015. Huile sur toile, 60 x 70 cm. Courtesy de l’artiste.
Fleurs Waïkiki, 2015. Huile sur toile, 60 x 70 cm.
Courtesy de l’artiste.

 

Mireille Blanc, Morhange, 2014. Fusain sur calque, 29,7 x 42 cm. Courtesy de l’artiste.
Morhange, 2014. Fusain sur calque, 29,7 x 42 cm. Courtesy de l’artiste.

 

Visuel de présentation : Aussière, 2016. Huile sur toile, 41 x 60 cm. Courtesy de l’artiste.

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