COLLECTIF ENSADERS
La montagne sacrée, performance dessinée, 2010. Courtesy Collectif Ensaders
PORTRAIT D’ARTISTE / Collectif Ensaders : Kévin Lucbert, Nathanaël Mikles et Yann Bagot
Collectif Ensaders : Le dessin comme expérience d’une pensée commune
par Pauline Lisowski
Le dessin est un médium traversé de plus en plus par d’autres, la vidéo, la performance et témoigne d’une temporalité de gestes et de réflexions. Kevin Lucbert, Nathanaël Mikles et Yann Bagot, depuis leur rencontre à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris développent une pratique de dessin réalisé à plusieurs. En amont de leurs expériences graphiques sur le papier, ils échangent sur leur humeur du jour, leurs observations du monde et leurs réflexions sur l’actualité, à partir desquelles ils se donnent des règles, un protocole pour dessiner.
L’outil, la durée, une idée commune les guident dans leur imaginaire. Le dessin se remplit au fur et à mesure d’êtres, de figures, de signes qui l’habitent et évoquent un état du monde complexe. Ainsi en découlent des séries aux tonalités bien différentes qui pour certaines se révèlent ensuite par thématique ou par présence esthétique.
L’urbanisation grandissante, les enjeux liés à la nature, les constructions et les manières de consommer autrement apparaissent dans leurs dessins composés d’une multitude d’éléments, avec un certain goût pour le décalage comme dans la série Nous ne sommes pas seuls. La profusion crée une forme synthétique où il devient difficile de reconnaître l’identité de chaque artiste à l’intérieur de l’œuvre.
Ils se racontent des histoires en se plongeant dans le temps dans leur dessin. Celui-ci condense la mémoire de leurs flux de pensées ainsi restituées. Malgré l’absence de textes, des paroles se laissent deviner. Leur attention envers les faits actuels, les images qui circulent les amènent à traiter un sujet, à le pousser à l’extrême avec un humour teinté d’ironie.
Même si des histoires semblent se lire, des mystères persistent et notre regard peut se perdre parmi la densité d’éléments dans certains de leurs travaux. D’autres comme ceux de la série Une infime partie de la réalité présentent des variations autour d’un thème et incarnent un caractère encyclopédique. En couleurs, des dessins de la série Wonders and mysteries ont une apparence ludique et suggèrent des environnements étranges, la naissance de créatures dans leur habitat.
Les artistes se partagent l’espace de leur feuille, dessinent tous les trois simultanément et construisent leur territoire de création où des formes prennent vie. La durée qu’ils se fixent et parfois celle d’un concert dictent l’énergie qu’ils déploient dans leur œuvre. Cette contrainte les amène à inventer des manières rapides de nourrir graphiquement leur travail sur papier.
Durant des performances, ils libèrent un geste d’autant plus souple et rendent compte du mouvement de leurs corps qui se promènent dans leur support, devenu terrain de jeu. Au fur et à mesure de leurs expériences, ils tentent de se projeter dans un décor pour composer leur dessin de manière plus rapide.
Les travaux sur papier de ce collectif nous mènent à penser le dessin contemporain dans toute l’ampleur qu’il peut prendre, notamment lorsqu’il s’accompagne des arts vivants. Leurs dessins témoignent d’une fluidité d’un trait, porté par des règles de jeu. Ensemble, les trois artistes bâtissent des mondes et un langage graphique avec lequel ils ne font qu’un.
